En 2006, à l’occasion d’un séminaire de formation syndicale coorganisé par le la FGTB et le syndicat slovène ZSSS, le GRESEA a produit une allocution en anglais sur les tendances lourdes de la mondialisation et leurs influences sur le travail syndical. Avec le recul, il est apparu utile à l’équipe du GRESEA de traduire ce texte et de le diffuser auprès du public francophone.
L’unité des syndicats, les tendances et menaces de la mondialisation et l’Union européenne élargie. Un champ d’investigation immense. Nous pourrions afin de discuter de ces problématiques pendant des jours. Cela n’entre pas dans les intentions du Gresea. L’idée est de faire le tour des sujets auxquels nous sommes confrontés et de trouver des moyens, tous ensemble, collectivement, afin d’agir et de transformer à notre avantage les inquiétantes tendances observables au niveau mondial.
Commençons par replacer les choses dans leur contexte en procédant à une rapide vue d’ensemble de la "consolidation" des syndicats en Europe.
La Confédération Européenne des Syndicats (CES), qui est le principal représentant syndical à ce niveau, est passée de 17 à 73 membres au cours de la période 1973-2003. Ce qui représente plus qu’un quadruplement de ses effectifs sur une période de 30 ans.
Cela n’a pas facilité l’implication politique des syndicats dans la construction européenne, et ce tout particulièrement à une époque où, comme Corinne Gobin l’a indiqué [1], le changement néolibéral – démarrant au milieu des années septante – a conduit à délégitimer les syndicats à tous les niveaux, politique (les lois antisyndicales), judiciaire (les menaces sur le droit de grève) et économique (sous-traitance, précarisation et externalisation).
Jusqu’à la fin des années 80, indique Gobin, "la CES a continué à suivre une ligne réformiste social-démocrate" mais cette politique s’est émiettée avec la chute des pays communistes. Dorénavant "la CES éprouve de plus en plus de difficultés pour se redéfinir elle-même sur une scène politique où tous les partis politiques importants se focalisent à restreindre toutes les formes d’interventions étatiques." Cette difficulté a été soulignée au congrès de la CES à Prague en 2003 quand la FGTB socialiste belge a boycotté l’événement, afin de protester contre la tendance dans la CES qui entend privilégier les actions de lobbying au détriment de l’action syndicale stricto sensu.
La CES a toujours promu l’intégration européenne, mais pas celle qui est appliquée de force actuellement. Il peut être utile de récapituler rapidement, et de façon très synthétique, les événements qui ont conduit au divorce prévalant actuellement entre les syndicats, les mouvements sociaux et l’opinion publique, d’une part, et le processus d’intégration, de l’autre. Je viens d’utiliser le terme "appliqué de force" pour évoquer le processus de construction européenne. Ceci a été fait à dessein parce que l’un des facteurs majeurs qui a conduit au rejet populaire du traité constitutionnel européen-nous reviendrons là-dessus plus tard- était qu’il était destiné à faire "appliquer "l’économie de marché à tous les états membres et à tous les citoyens, à jamais pour ainsi dire. C’était nouveau. Ce fut compris comme quelque chose de très déplaisant. Clairement, ce n’était pas le projet original.
Le projet original, en 1950, était plutôt naïf et technocratique. La grande idée était que, dans un monde dominé par les grands marchés et (deux) très grandes super puissances, l’Europe avait tout intérêt à suivre l’adaptation – s’adapter ou périr.
Les étendards brandis à l’époque rendaient un hommage appuyé à la "civilisation" et au "progrès économique". L’intégration européenne devait mener à la prospérité pour tous. Il est bon de se souvenir aussi que ce mouvement a commencé au début de la guerre froide – ce n’est pas une coïncidence si tous les leaders de l’intégration européenne ont souligné les mérites d’un "monde libre", ni que le processus, au commencement, ait reçu un prêt de 100 millions de dollars en provenance des États-Unis. Pour les syndicats, cependant, l’objectif général de progrès économique et social, contenu dans les traités s’accordait bien avec la revendication fondamentale ayant trait à la formation de la redistribution des revenus à l’intérieur de l’État providence, cet objectif pouvant être mis en œuvre au niveau européen. C’était avant le retour de manivelle néolibéral.
Cela a donné naissance à une nouvelle époque, des temps bien difficiles. Avant de regarder à la manière dont les syndicats ont relevé ce défi, identifions certaines des caractéristiques majeures de la mondialisation aujourd’hui.
Tendance de la mondialisation n°1 – Le travail perd du terrain par rapport au Capital
Comme le magazine "The Economist" l’a bien illustré, les nouveaux venus dans l’économie mondiale ont apporté avec eux peu de capital en valeur et, dès lors "avec deux fois plus de travailleurs et si peu de changement dans la taille du stock du capital mondial, la proportion du capital mondial par rapport au travail a chuté presque de moitié en quelques années : probablement le plus important changement de ce type intervenu dans l’histoire. Et, puisque cette proportion détermine les rémunérations afférentes au travail et au capital, il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour repérer les récentes tendances intervenues dans les salaires et les profits."
On ne doit pas être surpris, en d’autres termes, si les salaires réels moyens dans la plupart des pays développés "ont été à la traîne loin derrière les gains de productivité", ni par le fait que, dans ces pays, "les salaires en proportion du revenu total sont actuellement proches de leur plus bas niveau depuis des décennies" [2].
Tendance de la mondialisation n°2 – Le Capital réussit toujours de meilleurs résultats en terme de profits
Aux Etats Unis, les 500 plus grandes compagnies (Standard & Poor Index) sont parvenues en 2005 à réussir leur 10e croissance trimestrielle consécutive à deux chiffres, "une série sans précédent" selon le Wall Street Journal. [3] C’est, comme le Financial Times l’a observé [4], pour les grandes sociétés américaines "leur plus grande période ininterrompue de croissance à 2 chiffres des revenus depuis que les enregistrements ont commencé en 1950"- et la "plus longue période de croissance des profits des entreprises". Le Financial Times ajoute avec une dose d’humour involontaire que "les analystes attribuent une partie de cette croissance aux augmentations relativement faibles intervenues dans la rémunération des employés au cours des récentes années." Qui l’eut cru ?
Le capital s’enrichit mais…pas pour son propre bien. Comme le "International Herald Tribune" l’a en fait remarqué, "les profits des entreprises ont été phénoménaux (..), mais sont principalement destinés à enrichir les actionnaires, pas à créer de l’emploi et à payer de plus hauts salaires – ou à bâtir les fondations d’un emploi solide en investissant dans des usines et des équipements" [5]. Sans enchaînements, passons directement au point 3.
Tendance de la mondialisation n°3– Un chômage explosif
Les derniers chiffres du chômage au niveau mondial étayaient certaines remarques gênantes exprimées à l’OIT récemment. Il va sans dire que ces chiffres ne sont guère brillants. Selon l’OIT, rapporte l’"International Herald Tribune [6]", la croissance économique moyenne a été, au cours des 10 dernières années, bien au dessous de la croissance de l’emploi, ce qui signifie, en d’autres termes, que "les emplois ne sont pas créés assez vite pour rester en phase avec le nombre de personnes qui rentrent sur le marché du travail".
Les sans emplois représentent à l’heure actuelle 190 millions de personnes de par le monde, un chiffre qui, s’il était juste augmenté de quelques pourcents, remarque l’OIT, pourrait être dangereux : "si nous ne nous occupons pas de ces problèmes, nous allons faire face à des problèmes de sécurité significatifs."
Plutôt gênant. Et là, on touche à une autre tendance de la mondialisation.
Tendance de la Mondialisation n°4 – les inégalités augmentent partout dans le monde
Aux États-Unis, ces jours ci, la normalité est que vous avez 0,1 % de gens riches qui se portent très bien et puis ensuite, et on en parle beaucoup moins, "les 90 pourcent du bas", dont les revenus chutent de manière régulière [7].
Au Royaume Uni, la situation est telle qu’un commentateur la compare à "l’âge sombre de Dickens", remarquant que "la vérité est que l’injustice d’une richesse extraordinaire qui côtoie une pauvreté désespérante n’est pas une pièce de musée. Cela se passe dans la Grande-Bretagne du 21e siècle. On est en train de mettre en place un système de classes qui n’a jamais connu d’équivalent dans le monde. Le précédent le plus évident est la révolution française, où le fossé entre la richesse extrême et la classe moyenne crût de manière si aigue que de l’agitation sociale en résultât." [8]
On peut rétorquer que ni les USA ni le Royaume-Uni, les deux champions de la politique néo-libérale, ne sont de bons exemples – et que les conditions sociales sont bien meilleures ailleurs. Faux. Récemment, une association de parents a sorti une étude [9] sur la pauvreté enfantine dans l’Union Européenne. Elle révélait que dans la plupart des pays européens la pauvreté enfantine a augmenté durant la période qui va de 1990 à 2000. En Belgique, elle a doublé, passant de 3,8 à 7,7 %. Même chose en Allemagne, où elle est passée de 4,1 à 9 %. En Pologne, elle a grimpé de 8,4 à 12,7 %. Etc., etc.
Tendance de la Mondialisation n° 5 – Un système économique de guerre totale
La mondialisation n’a pas seulement conduit à des "conditions dickensiennes" à travers le monde. Elle a également, via une vigoureuse consolidation des compagnies transnationales, rendu possible un renouvellement du rapport de forces qui existait durant la révolution industrielle, la seule différence étant que les travailleurs exploités des grandes sociétés occidentales ne vivent plus à domicile mais, bien plus loin, en Inde, en Chine, et même en Europe de l’est.
C’est une restructuration radicale du système de production mondial par lequel les oligopoles, via des délocalisation brutales, réussissent à opposer "les fournisseurs contre les fournisseurs, les communautés contre les communautés et les travailleurs contre les travailleurs" [10]. D’aucuns disent que c’est un système qui devient fou. C’est aussi une forme d’autodestruction avec la quelle il faut rompre .
Pour les travailleurs, cependant, la leçon est très claire. Où qu’ils soient, ils sont aujourd’hui mis sous pression afin d’être "plus" performant (c’est à dire de travailler plus pour être moins bien payé), parce qu’il y a toujours un autre travailleur, en Inde, en Chine ou du reste en Europe orientale qui peut être utilisé pour améliorer le "benchmarking" des compagnies multinationales.
C’est l’un des dossiers majeurs auxquels sont confrontés aujourd’hui les syndicats. Comment réussir la solidarité dans une ère de guerre totale, de compétition mondiale généralisée.
C’est spécialement vrai dans l’Union élargie. La CES est forte de plus de 60 millions de travailleurs, mais cette force constitue aussi sa faiblesse. Au plus on est et plus il est difficile de parvenir à l’unité. Les travailleurs des 25 états membres partagent-ils les mêmes objectifs ? Certains auteurs sont très sceptiques, par exemple Bleitrach, Bedaj et Vivas : "L’élargissement fut la condamnation à mort de la capacité de" l’Union européenne à contre balancer l’hégémonie politique des États-Unis" [11]. L’OTAN et la guerre en Irak en sont un bon exemple. Nous avons tous en mémoire l’attitude très différente adaptée par la France et l’Allemagne d’une part, et par la Pologne d’autre part.
Supprimer l’Otan’s Way of life ?
L’OTAN aurait dû être la victime collatérale de "la faillite du communisme" du fait que ses adversaires ont disparu, mais l’organisation existe toujours en 2006 "grâce" à la guerre dans l’ancienne Yougoslavie. Quand l’état fédéral yougoslave a cessé d’exister, l’OTAN a lancé une opération d’embargo sur les armes contre le régime de Milosevic de 1992 à 1996. On peut considérer cet épisode de notre histoire comme logique, justifié et dans une certaine mesure inéluctable. Mais, dans le même temps, avant même d’évoquer un éventuel élargissement de l’Union européenne, la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque avaient rejoint l’OTAN. Il n’y a évidemment aucun rapport entre ceci et la guerre en Yougoslavie. La force emblématique de ce changement diplomatique est visible à l’œil nu. Revenir au sein du giron européen ne fut pas un parcours facile. Avant d’atteindre la ligne d’arrivée, l’OTAN était une première étape à franchir. Et ce n’est pas vraiment une surprise.
L’alliance conclue entre les forces des États-Unis et la bourgeoisie européenne remonte à 1949. Redoutant une attaque rouge et par dessus tout une révolution sociale en interne, la bourgeoisie européenne s’est alliée à l’armée des États-Unis. Quatre ans plus tôt, les élections italiennes avaient été truquées afin d’éviter une victoire communiste. Ce fait montre qu’il existe un lien ancien entre les intérêts de la classe dirigeante occidentale et l’OTAN. Accepter l’un sans l’autre est une illusion. Le signal était, en tout cas, des plus clairs. D’abord et avant tout, la condition pour exister dans le village mondial était d’imposer la nouvelle politique sociale européenne et les méthodes d’ajustement testées ailleurs. Les politiciens locaux ont compris.
D’année en année, l’OTAN a, sans cesse, rendu sa présence un peu plus palpable partout en Europe. Les interventions se sont multipliées : en Bosnie de 1995 à 2004 et finalement au Kosovo à partir de 1999. Et, ce qui est plus intéressant, en 1996, la France a rejoint le comité militaire que De Gaulle avait quitté trois décennies auparavant. L’idée d’un pays fortement indépendant en Europe était dépassée. Les élites européennes n’ont pas voulu construire une contre puissance politique et militaire contre les États-Unis. Et en 2004, l’Estonie, la Lituanie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Lettonie sont devenus membres de l’OTAN.
Après le Kosovo, l’OTAN a adopté un nouveau concept stratégique dans lequel il est stipulé que l’alliance est responsable du maintien de la paix en Afrique et en Asie, mais pas en Amérique du Sud et en Amérique Centrale (les USA maintenant leur droit unique de la doctrine Monroe d’intervenir dans les Amériques). Alors, le bras armé du capitalisme pourrait remplacer les Nations Unies. Certains leaders régionaux à l’est étaient des eurosceptiques. Parfois ils ont été dépeints comme étant des dictateurs néocommunistes et boycottés, par exemple, Mecciar en Slovaquie. D’autres étaient simplement des disciples du thatchérisme (Viktor Orban en Hongrie), des politiciens catholiques conservateurs (par exemple l’aile droite polonaise) ou sociaux-démocrates. La méfiance vis-à-vis de l’Europe dans ces pays est indéniable, si pas rampante. Même chose à l’"ouest". Par exemple, après les refus intéressants français et hollandais de la constitution européenne, la Pologne a repoussé le référendum et personne ne sait ce qui se passera finalement. Les Nations sont elles en train de revenir sur le devant de la scène ? Et cela est-il constitutif d’une nouvelle étape dans le processus européen ? C’est la preuve que les peuples se battent pour la liberté et pas pour les profits. Je vous laisse ceci pour que vous y réfléchissiez et en discutiez.
A l’Ouest, un point de vue populaire décrit les nouveaux états membres comme des concurrents. Leur intégration serait un danger pour notre marché du travail et causerait des déplacements d’entreprises. Ce point de vue n’est pas faux, mais simpliste. Le premier "ancien état socialiste" à rejoindre l’Union Européenne a été la République Démocratique Allemande (RDA) en 1990. Pour des raisons politiques, tout le monde en Europe a accepté que le chancelier Kohl fixe une parité parfaite entre les monnaies est et ouest allemandes. Cela impliquait que la RDA recevrait des aides pour rattraper le niveau de la république fédérale. C’est le seul exemple de redistribution internationale en Europe depuis le Plan Marshall. Un tel fait nous montre qu’une "autre Europe" n’est pas une utopie mais que cette ambition implique de revisiter les options de la Banque Centrale Européenne et de briser les liens avec les USA en éliminant l’OTAN.
Si l’OTAN constitue un cas d’espèce intéressant à mettre en évidence, il en va de même pour le projet de constitution européenne, la directive Bolkenstein et la question des restrictions sur la mobilité du travail. Le traité constitutionnel européen a opposé la CES à la CGSP (la centrale générale des services publics/socialiste) qui avait appelé à voter non. Le second a vu, encore, la CES accepter le compromis ayant trait à la directive Bolkenstein émanant du parlement de européen tandis que les syndicats belges ont organisé une manifestation alternative avec d’autres jusqu’au-boutistes pour exprimer leur refus. Finalement, la question de la mobilité a vu la CES et la CISL se joindre à l’appel du Commissaire de la CE Spidla en faveur de la levée de toutes les restrictions, initiative soumise à une rebuffade de la part des syndicats belges. Résultat : le gouvernement a maintenu chez nous les restrictions contre le souhait de la fédération des employeurs (FEB) (apparemment sur la même ligne que la CES dans ce cas d’espèce…)
En d’autres termes, se concentrer sur les défis du syndicalisme européen nous amène à développer une approche reposant sur deux objectifs. Tout d’abord, nous devons examiner les difficultés d’organisation du mouvement syndical à l’intérieur de l’Europe. Enfin, nous devons nous occuper des défis qui se trouvent au delà de l’Europe.
Les syndicats réellement unis ?
Une Europe sociale forte ne verra jamais le jour s’il n’y a pas de dialogue social à l’échelle continentale. C’est la raison pour laquelle la CES doit devenir une organisation de mobilisation et pas simplement un autre groupe de pression dans la constellation européenne. Pas surprenant que les résultats du dialogue social européen soient maigres et que les employeurs européens parviennent à démanteler de nombreux droits acquis des travailleurs.
Ce manque de mobilisation interne est dû à deux facteurs. Premièrement, le taux d’adhésion varie en Europe et il y a aussi un taux qui baisse dans certains pays européens tels que la France, le Royaume Uni et maintenant l’Allemagne. En second lieu, il y a une certaine division à l’intérieur des syndicats. Mais cette hétérogénéité est peut être le prix fort à payer pour la pluralité.
D’autres faits sont problématiques pour ce qui est de l’émergence d’un syndicalisme européen. Fondamentalement, l’indépendance de la CES par rapport à la Commission devrait demeurer un objectif crucial dans les années à venir. C’est la raison pour laquelle les moyens financiers propres de la CES doivent être augmentés. En outre, depuis l’élargissement, il est grand temps d’impliquer de nouveaux états membres sur la base d’une offensive syndicale. Le dialogue social en Europe devra également s’occuper d’autres sources de conflit. Au sein de la CES, les syndicats nordiques "bloquent" au sujet de la politique fiscale en Europe, et probablement à juste titre. Leur but est de préserver leur propre état social et qui pourrait le leur reprocher ? Ces difficultés montrent que le combat en faveur d’une solidarité des syndicats en Europe n’est pas une tâche facile.
Trois problèmes majeurs quant à l’avenir du dialogue social en Europe peuvent, en outré, être distingués.
Tout d’abord, les employeurs regroupés au sein de l’UNICE (Union of Industrial and Employers’ Confederations of Europe) tentent de pervertir l’essence même du dialogue social. Pour les patrons, le dialogue social ne peut en aucun cas donner lieu à des décisions obligatoires. Afin que les accords bilatéraux constituent une autre forme de code de bonne conduite dans le cadre de la responsabilité sociale de l’entreprise. Cette tendance est réellement dangereuse et doit être dénoncée comme constituant une volonté de rogner les ailes du dialogue social.
Ensuite, l’élargissement ne constitue pas en soi un problème pour le mouvement syndical international. Mais il est indéniable que la mise en œuvre de ce choix politique est contestable. Aussi faut-il mettre un stop à la concurrence entre les travailleurs et la remplacer par un système de solidarité au bénéfice des nouveaux états membres. Ainsi, les fonds structurels doivent être augmentés dans cette optique.
Enfin, un mouvement continental doit être organisé afin de mettre en pièces la tendance actuelle qui consiste à transformer les salaires en un élément d’ajustement structurel de nos économies. Cela n’a vraiment aucun sens. Car les chiffres montrent qu’au cours des vingt dernières années, la proportion des salaires dans les PIB nationaux a diminué partout en Europe.
Les syndicats devront s’atteler à ces trois tâches essentielles à l’avenir (la protection des salaires, le refus des employeurs d’un dialogue social efficace et un encadrement social progressif de l’élargissement). En agissant de la sorte, ils seront en phase avec le rejet manifeste dans l’opinion publique d’un projet européen reposant uniquement sur le libre marché. Cependant, ce soutien ne sera pas suffisant. Réaliser l’unité à une échelle plus grande est nécessaire pour combattre le retour de bâton capitaliste.
Afin de préciser ce que représente "une échelle plus grande ", il convient de citer Samir Amin, l’économiste marxiste égyptien.
Dans une interview récente [12] sur la nécessité de défaire le libéralisme économique et la domination mondiale militaire américaine, Samir Amin a insisté sur le fait qu’ "une pré-condition redonner la priorité aux politiques nationales sur les politiques internationales. Les nations ont besoin d’autodétermination – pas pour des raisons culturelles, ni parce qu’elles sont blanches ou noires, chrétiennes ou musulmanes,- mais en raison de leur histoire politique. Un haut degré d’indépendance est nécessaire afin de réduire les inégalités dans le monde aujourd’hui. C’est sur cette base que nous devons définir l’unité de la classe ouvrière. Ce débat doit venir de la base. Je ne vois pas de contradictions entre les niveaux nationaux et internationaux, mais je pense qu’aucun progrès ne sera jamais réalisé au niveau international aussi longtemps qu’il n’y a pas de progrès au niveau national. Les choses commencent toujours à se produire à la base par le biais d’un processus qui va du bas vers le haut et ce, essentiellement, à un niveau national."
Voilà un signal clair s’il en est. Les gens ont besoin de compter d’abord sur eux-mêmes et de se relier les uns aux autres en utilisant de nouvelles méthodes à travers la mise en réseaux, l’action coordonnée et les circuits parallèles de communication. La CES et sa mégamachine institutionnelle peuvent bien sûr être pratiques à condition qu’elles soient conçues pour une utilisation locale, c’est-à-dire nationale. Les Comités d’Entreprises Européens constituent, à cet égard, un exemple intéressant. Bien peu de choses, il est vrai, ont été résolues à l’intérieur de cette structure mais elle permet, en revanche, à des travailleurs issus de différents pays de se rencontrer, de se connaître et de planifier ensemble un certain nombre d’actions, en d’autres termes : résister et aller de l’avant.