Les émissions de gaz à effet de serre (GES) associés à l’alimentation représentent entre 25 et 35% des émissions mondiales. Si la plus grande part provient de l’élevage, du déboisement et de la fabrication d’engrais à partir de ressources fossiles, les agro-industries jouent un rôle non négligeable. En Belgique, les émissions de l’agro-business ont crû de 30% entre 2009 et 2020 ! Explications.
En Wallonie, les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à l’industrie agro-alimentaire ont cru de 30% entre 2009 et 2020. Principalement en cause : l’industrie de la pomme de terre et la production de bioéthanol. La Région a pourtant injecté 740 millions d’aide dans tout le secteur. Problème : aucun mécanisme de contrôle et de sanction n’a été prévu.
Depuis l’accord de Paris (COP21) en 2015, les négociations climatiques internationales portent sur la neutralité carbone. Il s’agit, à l’horizon 2050, de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), notamment en stockant du carbone dans les sols – par la favorisation des prairies permanentes et des forêts – ou par des techniques de géoingéniérie largement décriées [1], comme le captage et la séquestration du carbone.
Les industries, premières émettrices de CO2 en Wallonie
Au niveau wallon, les industries (tous secteurs confondus sauf énergie) constituent le premier poste d’émissions, avec 32 % du CO2 émis, devant le transport routier (21%), le secteur résidentiel (18%) et l’agriculture (13%) [2].
Depuis 2003, les « accords de branche » - un contrat entre la région et une fédération sectorielle – encadrent ces émissions industrielles. Ces accords, volontaires, visent à améliorer l’efficacité énergétique des industries, à réduire leurs émissions, mais aussi à leur octroyer des avantages financiers : réduction des accises sur le gaz, quotas de certificats verts, etc. Des aides qui sont en réalité un moyen non dissimulé d’améliorer la compétitivité de l’économie wallonne. La région a également promis de ne pas imposer d’exigences environnementales supplémentaires aux industriels par voie réglementaire [3] jusqu’à la fin des accords.
La première génération d’accords de branche couvrait la période 2003-2012. Depuis 2014, 14 fédérations industrielles - représentant plus de 90% des consommations énergétiques industrielles wallonnes - ont signé des accords de branches dits de « 2e génération » qui doivent échoir fin 2023. Les accords de 3e génération entreront en application en 2024.
La Fevia, la Fédération de l’industrie alimentaire belge, représente 68 firmes qui ont signé l’accord de branche « énergie », parmi lesquelles les multinationales Coca-Cola, Ferrero, Cargill, Spadel, Inbev ou Mondelez. Entre 2005 et 2023, cet accord visait à améliorer l’efficacité énergétique de 22,5% et à réduire les émissions de CO2 sectorielles de 27,8%. Fin 2020, la Fevia annonçait fièrement avoir atteint à 95% [4] le premier de ces deux objectifs, et à 100% le second.
Malgré leur réussite affichée, les accords de branche font l’objet de critiques. Récemment, la FGTB Wallonne, la CSC et Canopea [5] pointaient plusieurs faiblesses. La première concerne le volume des aides publiques octroyées - trois fois supérieures aux investissements consentis par les entreprises. Autrement dit, les investissements des industriels wallons pour leur efficacité énergétique et la réduction du CO2 ont été financés aux trois quarts par des fonds publics. Selon la FGTB, ces accords ont couté 740 millions d’€ à la Wallonie entre 2014 et 2019, soit 32 millions d’€ par entreprise sur 6 ans ou 531.000€ par an [6] en moyenne.
L’essentiel des aides s’est fait via des ristournes sur les prix de l’énergie (accises ou certificats verts). Les secteurs s’engageant à réduire leurs émissions de GES ont donc bénéficié d’un accès moins couteux aux énergies fossiles… En contradiction totale avec l’ambition d’une économie décarbonée.
Les deux syndicats et Canopea expliquent par ailleurs que les accords de branche n’ont pas conduit à modifier les comportements des entreprises en matière d’investissements. En fait, les aides octroyées ont constitué un véritable effet d’aubaine pour les industriels, qui les auraient de toute façon effectué sans soutien public.
Autre critique : les accords sont négociés entre la région et les entreprises sans que les représentants des travailleurs ne soient consultés. La seule possibilité pour les syndicats de se prononcer sur les accords de branche est de passer par une demande d’avis au CESE, le Conseil économique, social et environnemental wallon.
Enfin, aucun mécanisme n’a été prévu pour que les entreprises ne respectant pas leurs engagements ne rétrocèdent les aides octroyées.
Accord de branche : des objectifs à revoir
L’un des points noirs des accords de branche est à rechercher dans la définition de ses objectifs. La réduction des émissions de CO2 est l’un des indicateurs phare de l’accord. Problème, les objectifs ne sont pas définis en termes absolus mais relatifs. L’objectif porte ainsi sur la baisse de l’empreinte carbone par euro produit ou par unité de valeur ajouté, et non sur la réduction totale des émissions de CO2.
Résultat : après 15 années de baisse, les émissions de CO2 de l’industrie alimentaire belge ont augmenté, passant de 1.887 à 2.445 kt CO2 entre 2009 et 2020. Plus 30% en 10 ans ! Les efforts du secteur agroalimentaire pour réduire son empreinte ont été annihilés par la croissance de la production.
Source : https://www.fevia.be/fr/reduire-davantage-les-emissions-de-co2-par-unite-daliments-produits
Un autre indicateur de l’empreinte environnementale de l’agro-industrie est sa consommation d’énergie. Un rapport publié en 2022 [7] par le SPW Energie nous apporte quelques éclairages sur le sujet concernant les industries du sud du pays.
L’une des conclusions de cette étude est que l’énergie utilisée par l’industrie alimentaire wallonne a plus que doublé depuis 1990. De 2010 à 2019, les industries wallonnes ont ainsi réduit leur consommation d’énergie de 14% - une diminution largement imputable au déclin de la sidérurgie wallonne – tandis que le secteur alimentaire l’accroissait de 24% (voir infographie).
Source : Bilan énergétique de la Wallonie de l’année 2019. Chapitre 3 : Bilan de l’Industrie, p.23. (2022)
Comment expliquer ce bilan ? Il faut d’abord observer le périmètre d’activité de l’industrie alimentaire wallonne. Il s’agit de l’un des rares secteurs industriels en croissance, dans un contexte de désindustrialisation au niveau régional. L’emploi y a cru de 30% (+ 5.500 emplois) entre 1995 et 2019.
Ensuite, la consommation d’énergie et les émissions des GES différent selon les entreprises. Deux activités sont responsables des plus fortes hausses : l’industrie de la pomme de terre et la production de bioéthanol. La transformation de pomme de terre est concentrée dans le Hainaut, avec Clarebout et Lutosa/McCain comme principaux acteurs. Entre 2008 et 2019, les fournitures de gaz et d’électricité aux producteurs de frites, chips et purée ont plus que doublé, comme la production de frites destinées à l’exportation.
Un autre site industriel a tiré les consommations énergétiques de l’agroalimentaire à la hausse : la bioraffinerie de Wanze, d’une capacité de production de 300.000 m2 de bioéthanol, de 200.000 tonnes d’aliments pour bétail et de 55.000 t de gluten. BioWanze est alimenté par la biomasse à 65% (750.000t de blé et 400.000t de betteraves, dont une petite moitié est produite localement). Les 35% restant sont issus du gaz. Depuis 2021, BioWanze construit une seconde chaudière à biomasse, alimentée au bois. Une fois en service, elle devrait fournir 90% des besoins en énergie du site.
Croissance vs. efficacité énergétique
Les efforts de l’agro-industrie pour réduire son empreinte carbone varient donc selon les entreprises et leurs activités. Une chose est claire, aucune firme n’a l’intention de compresser sa production pour devenir climatiquement plus vertueuse. Dans ces conditions, malgré une amélioration globale de l’efficacité énergétique, la quantité de GES émis continue de croitre. Après 20 ans et deux générations d’accords, les émissions totales de CO2 du secteur sont même remontées de 30 % par rapport à leur niveau de 2009.
Quelle conclusion tirer de ces différents constats ? L’emploi et la compétitivité demeurent le leitmotiv des pouvoirs publics, avant la protection de l’environnement. Les accords de branche énergie, s’ils comportent incontestablement un volet « environnemental », sont d’abord pensés comme un outil d’attraction ou de maintien des entreprises sur le territoire wallon.
En Wallonie, la croissance de la consommation énergétique de l’agroalimentaire a fortement reposé sur le développement de la transformation de la pomme de terre et sur la production de biocarburants. Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes loin d’un développement durable, d’une économie locale ou même de la neutralité carbone, pour des pratiques qui posent également des questions sur le fond : l’utilisation de 750.000t de blé pour fabriquer des carburants – dans un contexte de tension sur les prix des céréales - n’entre-elle pas en contradiction avec les besoins alimentaires humains ? doit-on étendre la production de pomme de terre dans le seul but d’accroitre les exportations ?
Quoi qu’il en soit, une évidence : l’empreinte environnementale des systèmes alimentaires ne se réduit pas. L’espoir ? Que la future génération d’accords de branche tire parti des faiblesses des accords passées, en insistant sur la baisse absolue des émissions de GES plutôt que sur une baisse des émissions par produit. Ou encore en orientant l’agro-industrie wallonne non pas vers plus d’exportations mais bien vers une plus grande souveraineté alimentaire. On peut toujours rêver.
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