Une rapide reconfiguration du marché du lithium se dessine. Le lithium est le métal le plus léger. Il a aussi la capacité de stocker facilement de l’énergie électrique. Ces caractéristiques en font une matière première pour les batteries rechargeables. Cette application semblerait avoir un bel avenir devant elle. D’où une vraie frénésie autour des gisements.
Les dernières nouvelles font état de projets d’extraction de lithium en Serbie (par le ’major’ [1] , c’est-à-dire le grand groupe minier Rio Tinto), en Irlande (le projet ’Avalonia’) ainsi qu’au Mali et au Niger. Cela relève du spectaculaire, ou plutôt de la spéculation, puisqu’il ne suffit pas de creuser pour extraire ce métal de la croûte terrestre ou de construire une usine pour le raffiner. Jusqu’à nouvel ordre, les procédés pour produire du lithium sont compliqués et ne sont mis au point qu’après de longues années d’expérimentations en laboratoire. En plus, deux méthodes d’extraction existent : l’extraction des saumures contenues dans des grands lacs salés, c’est la moins couteuse et économiquement la plus rentable, et l’extraction à partir de la roche dans des mines. L’extraction des saumures est la plus courante, mais chaque saumure est d’une composition différente et demande son propre procédé chimique. Une extraction de lithium clé-sur-porte, cela n’existe pas ! [2]
Les producteurs établis maintiennent donc leur emprise sur ce marché. Ils sont quatre. Il s’agit des groupes états-uniens Albemarle (qui a repris Rockwood en 2014) et FMC, du groupe chilien SQM (ou Soquimich) et du groupe chinois Tianqi. Un autre groupe chinois, Ganfeng, suit une stratégie particulière pour se joindre aux Big Four.
On peut aisément identifier les sites de production pour les Occidentaux. Cela est moins évident pour les Chinois. Albemarle possède la concession de Silver Peak au Nevada (à quelques 400 kilomètres de la Giga-usine du constructeur de véhicules électriques Tesla) et une autre dans le désert d’Atacama au Nord du Chili. FMC produit du lithium en Argentine dans le lac de l’Hombre Muerto. SQM, originaire du Chili, dispose également d’une concession dans l’Atacama.
L’entreprise chinoise Tianqi a d’abord acheté une participation dans la mine ’traditionnelle’ (de la roche contenant du lithium) de Greenbushes en Australie. Celle-ci appartenait auparavant à l’entreprise Talison. [3] Aujourd’hui, Tianqi est propriétaire majoritaire (à 51%), tandis que Albemarle y possède 49%. Tianqi semble développer un site d’extraction de lithium dans l’Ouest de la province du Sichuan, dans une "préfecture autonome du Tibet". La filiale Talison Lithium pour sa part voudrait développer le projet Salares-7 dans le Sud de la région d’Atacama au Chili.
Ganfeng a grandi rapidement, mais en aval de la chaîne du lithium, c’est-à-dire, en produisant des applications contenant du lithium. Ce n’est qu’actuellement que Ganfeng se manifeste plus en amont, en s’associant à des entreprises de moindre taille. Ainsi, Ganfeng a conclu un accord avec NeoMetals en Australie pour acheter le lithium produit par celui-ci à Mount Marion.
Des dizaines de nouvelles entreprises ’juniors’ [4] se lancent actuellement dans le secteur du lithium. Les raisons de cette frénésie ne sont pas difficiles à concevoir. La première, c’est l’augmentation de la consommation de lithium (réelle ou prévue) dans les batteries rechargeables pour appareils électroniques et surtout dans des véhicules "à énergie alternative". Les constructeurs d’automobiles annoncent l’arrivée – en masse, espèrent-ils – de véhicules électriques et hybrides depuis des années. "Un parc de 5 millions de véhicules électriques ou hybrides rechargeables à l’horizon 2030 [en France] est tout à fait envisageable", prédisait un analyste il y a peu. [5] On en est loin. La France notait 83.000 immatriculations de véhicules électriques particuliers en 2016.
Faut-il redévelopper les transports en communs, ou bien faire croître les flottes de véhicules individuels dans nos villes ? La question n’intéresse pas la "communauté des investisseurs". Pour eux la croissance de la demande sera linéaire. Leurs analystes prévoient que la demande de lithium évoluera de "184.000 tonnes en 2015 à 534.000 tonnes en 2025" (selon la Deutsche Bank) et même de "175.000 tonnes en 2015 à 775.000 tonnes en 2025" (selon Morningstar). [6] Mais l’offre sera en dessous de la demande, de 100.000 tonnes selon Morningstar. Cette tension est déjà présente aujourd’hui, et elle a donné lieu à une forte hausse du prix du lithium en 2016. C’est à ce moment que les fonds spéculatifs et les ’juniors’ du lithium entrent en jeu, parce qu’ils peuvent faire des affaires.
Il est probable que la concentration dans le secteur va aller en s’accentuant. Souvent, des juniors sont précurseurs dans l’exploration de projets qu’ils vendent ensuite aux plus grands. Mais puisque la production de lithium est en fin de compte une activité de chimistes, ceux-là aussi se montrent intéressés. En 2016, le groupe allemand BASF s’est approché de Albemarle, un des Big Four du lithium, et a acheté la filiale Chemetall (d’origine allemande) pour 3,2 milliards de dollars. BASF a ainsi rejoint ses concurrents qui se sont tous lancés dans des fusions d’envergure. [7]
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