La décision par la conseil d’administration d’Arcelor, le 25 juin 2006, de s’incliner devant l’OPA hostile de Mittal au terme de cinq mois de suspense – cèdera, cèdera pas ? – ne sera sans doute pas accueillie avec joie par les travailleurs. Fusion rime en général avec économies d’échelle et Mittal (43% de la nouvelle entité), pas plus qu’Arcelor, n’est réputé pour s’embarrasser de préoccupations sociales. Arcelor, pour mémoire, c’est en Belgique quelque 13.000 emplois directs. Le deal intervenu, qui doit encore être entériné par l’Assemble générale, est en même temps la énième illustration de la dictature des capitaux spéculatifs sur la politique industrielle des nations, une situation dont ce dossier a fourni un des plus ironiques paradoxes. Voici peu, en effet, on a vu le ministre français Thierry Breton clamer que la décision ultime devait appartenir aux actionnaires (donc les spéculateurs) tandis que, à l’opposé, le PDG d’Arcelor Guy Dollé jugeait que c’est le législateur, et non le marché, qui en devait en être le principal arbitre. Le monde à l’envers. Qui a donc conduit Mittal à emporter la mise. Façon de parler. Car les vrais vainqueurs sont plutôt ces fonds spéculatifs que la presse nomme déjà les "trente salopards" (the "dirty thirty") et qui, forts d’environ 30% du capital d’Arcelor, exercent depuis le 30 mai 2006 une pression de tous les instants pour faire capoter les résistances d’Arcelor – et ce, comme le relève John Plender dans le Financial Times, dans une totale absence de transparence, et même de légitimité, puisque nul ne sait s’ils possèdent réellement les titres dont ils se prévalent pour, en coulisse, faire entendre leur voix. Ils ont emporté la mise et leur choix d’investir, massivement et à très court terme, dans des actions Arcelor sera sans nul doute bien récompensé : Mittal (via des prêts d’un secteur bancaire qui, lui-même, empoche 100 millions de dollars en commissions) va racheter les titres Arcelor à 40 euros, soit 60% plus cher qu’ils ne valaient en janvier 2006... Un bénéfice plus que juteux, en d’autres termes. Qui va payer ? Les travailleurs d’Arcelor et de Mittal ne se font pas beaucoup d’illusions là-dessus.

Sources : Financial Times des 26 et 27 juin 2006, le Canard Enchaîne du 28 juin 2006 et archives Gresea.
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