Tout comme WalMart, Amazon ne produit rien. Il ne fait que vendre. C’est astucieux. L’astuce WalMart consiste à se rendre indispensable en tant que maillon obligé entre producteur et consommateur. Aux États-Unis, pari gagné : en vingt ans, ses ventes ont été multipliées par dix, passant de 44 à 450 milliards de dollars entre 1991 et 2011. Dans le commerce de détail, WalMart détient désormais plus de 10% des parts de marché. Amazon fait le même pari. Ses ventes ont atteint 48 milliards de dollars en 2011, ce qui lui a permis d’augmenter sa surface de bureaux et d’entrepôts de 1.7000.000 mètres carrés, l’équivalent de 234 terrains de foot. Il dispose pour cela, comme WalMart et d’autres géants de la grande distribution, d’un levier puissant. Amazon ne produit rien, il ne fait que vendre. Son gain vient donc... De quoi, au fait ? Largement, des producteurs dont il vend les marchandises et qui lui font fonction de banquier. Tout ce que Amazon achète des producteurs est payé après 90 jours. Tout ce qu’il vend à ses propres clients lui est payé endéans 16 jours. Cela fait un décalage de plus de deux mois (74 jours) durant lesquels Amazon dispose d’un capital coquet (pour mémoire 48 milliards de dollars en 2011) qui, certes, ne lui "appartient" pas ("emprunt" sans intérêt) mais qu’il peut employer à sa guise, pour l’investir, pour le placer en banque ("prêt" avec intérêt) ou pour payer ses factures. Durant les cinq dernières années, ce capital représentait près d’un tiers du cash flow d’Amazon. L’ingénierie fiscale est un autre levier : pour attirer la clientèle en comprimant les prix de vente, Amazon a installé ses centres de distribution dans les États qui, aux USA, n’appliquent pas de TVA. Son problème principal est de rester indispensable. Contraint de relever progressivement ses prix, croissance oblige, Amazon risque de voir ses clients "retourner vers les commerces traditionnels" (libraires, petits magasins), note le Financial Times. Là, c’est supposer que ces petits commerces ont réussi à survivre sous les assauts des ventes en ligne d’Amazon. A Paris, la célèbre librairie Shakespeare vient de mettre la clé sous le paillasson, victime d’Amazon & Cie. C’est souvent ainsi. Lorsqu’on juge qu’un commerçant est vraiment devenu trop grand et puissant, que ses prix n’ont plus rien d’avantageux et que sa gamme de produits, tout à fait standardisée, n’a plus rien d’attrayant, il est souvent trop tard. La "concurrence" a entre-temps disparu. Il n’y a nulle part ailleurs où aller.
Source : Financial Times, dossier "Lex in depth" sur Amazon, Robert Armstrong et Stuart Kirk, 13 juillet 2012.[!sommaire]