La sécurité sociale belge a récemment fêté ses 75 ans d’existence. 75 ans d’une histoire mouvementée, entre progrès et reculs. Cette histoire est toutefois méconnue, et encore plus les enjeux politiques qui sous-tendent notre modèle de sécurité sociale, trop souvent réduits à des considérations techniques et/ou d’efficacité. Pourtant, la « sécu » est plus qu’une simple assurance, et les choix qui la concernent peuvent dessiner des projets de société parfois radicalement antagonistes.

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La sécurité sociale belge a récemment fêté ses 75 ans d’existence. 75 ans d’une histoire mouvementée, entre progrès et reculs. Cette histoire est toutefois méconnue, et encore plus les enjeux politiques qui sous-tendent notre modèle de sécurité sociale, trop souvent réduits à des considérations techniques et/ou d’efficacité. Pourtant, la « sécu » est plus qu’une simple assurance, et les choix qui la concernent peuvent dessiner des projets de société parfois radicalement antagonistes.

La « sécurité sociale » est une notion relativement récente, surtout si on la compare à l’autre pilier qui sous-tend la notion plus large de « protection sociale », à savoir l’« assistance sociale ». « L’assistance sociale » fonctionne selon le vieux principe de la charité. Celle-ci vise à corriger les infortunes de la vie par des actes de générosité unilatérale. Par choix ou obligation morale (notamment religieuse), ceux qui ont réussi viennent en aide à ceux dont les malheurs ont conduit à ne plus pouvoir s’assumer eux-mêmes. Dans un cadre libéral, ce principe se justifie par le fait que les individus restent libres de déterminer ce qu’ils donnent, combien ils donnent, à qui ils donnent, etc. Par ailleurs, la responsabilité individuelle est également préservée dans la mesure où l’on aide des personnes qui ne sont pas responsables de leurs malheurs. Pour les autres, la solution consiste à miser sur la prévoyance, et à mettre en place des dispositifs de conditionnalité qui permettent de s’assurer que l’aide est méritée et qu’elle serve de leçon [1].

La charité et l’assistance sociale ont toujours bien cadré avec les intérêts des classes dirigeantes, dans la mesure où elles n’impliquent aucune remise en cause structurelle des rapports d’exploitation et de domination. Pour leurs « bénéficiaires », la situation est différente. Le principe de l’assistance est en effet par définition aléatoire, culpabilisant et stigmatisant. Il va en outre se révéler progressivement insuffisant et inadapté pour traiter de la multiplication des problématiques sociales liées à l’industrialisation, que ça soit en termes de moyens, de type de risques couverts ou encore de traitement des « bénéficiaires ».

La « sécurité sociale » émerge dès lors en parallèle, selon une double filiation. Celle des sociétés de secours mutuel, tout d’abord, mises progressivement en place par les ouvriers eux-mêmes pour se prémunir contre les risques liés à leurs conditions de travail et de vie, mais aussi comme moyen de lutte et de résistance contre l’arbitraire patronal. Celle des assurances sociales, ensuite, défendues notamment par des figures « éclairées » de la bourgeoisie, souvent des juristes ou des médecins, mais aussi quelques capitalistes « progressistes ». Le raisonnement qui les sous-tend, c’est qu’il existe désormais des risques sociaux dont on ne peut attribuer la responsabilité ni aux travailleurs, ni à aux employeurs, mais bien au fonctionnement même de l’économie. Or, ces risques menacent aussi bien des individus isolés que la société dans son ensemble. D’où l’idée qu’à ces risques sociaux correspondent des assurances sociales qui permettent d’en limiter les impacts sur les individus et la société. Dans les années 1870, le chancelier allemand Bismarck est ainsi le premier chef d’État à établir un système moderne d’assurances sociales, notamment dans l’objectif d’arrimer la classe ouvrière allemande à son projet de construction nationale.

Dès son origine, la sécurité sociale affiche donc une ambivalence entre un rôle de pacification sociale aux mains des classes dirigeantes et un rôle subversif d’entraide et d’instrument de lutte aux mains de la classe ouvrière.

Le « Pacte social » de 1944

En Belgique, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la protection sociale repose sur un mélange de caisses de secours sectorielles et de dispositifs complémentaires d’assistance publique largement administrés par les communes [2]. Le caractère fragmentaire et volontaire de cette protection sociale est toutefois doublement problématique. D’abord, parce que des caisses isolées sont moins à même de faire face à des chocs économiques importants qu’une caisse centralisée. Ensuite, parce que seuls les travailleurs les mieux lotis peuvent se permettre d’y contribuer, laissant les autres (la grande majorité) privés de protection.

Des propositions de loi vont bien être introduites pour tenter de réformer le système et aller vers un principe centralisé et obligatoire, mais jusque-là elles se heurtent toutes aux divisions qui règnent notamment entre catholiques, libéraux et socialistes. La Seconde Guerre mondiale va toutefois changer la donne. Durant l’occupation, un groupe de travail réunissant des représentants du patronat, des syndicats et de l’État commence à se réunir clandestinement pour jeter les bases de la future reconstruction sociale et économique du pays. Cette dynamique n’est pas propre à la Belgique. Elle s’inscrit dans des efforts plus larges, au sein du camp allié, pour tirer les leçons de la guerre et de la décennie de crise économique et sociale qui l’a précédée. C’est dans ce contexte que l’idée d’une « sécurité sociale » universelle et obligatoire va progressivement s’imposer. En Belgique, elle est finalement consacrée dans le « pacte social » conclu en 1944. Ce pacte consacre le caractère capitaliste de l’économie belge, mais en échange de l’engagement des capitalistes à garantir le plein emploi, la participation des travailleurs aux fruits de la croissance et leur protection contre les aléas de l’existence, le tout dans un cadre tripartite. En matière de protection sociale, l’accord prévoit ainsi la création d’une sécurité sociale centralisée et obligatoire dont les fondements juridiques seront formellement posés en 1944 avec l’adoption de « l’arrêté-loi concernant la sécurité sociale des travailleurs ».

Beaucoup présentent l’adoption et le contenu du pacte social comme le triomphe d’une idée dont le temps était venu, un triomphe favorisé par le sentiment d’unité et de cohésion nationale lié à la terrible épreuve de la guerre [3]. Sans nier l’importance de ce facteur, il ne doit toutefois pas occulter deux autres éléments au moins aussi fondamentaux. D’abord, le fait que cet accord est aussi (et peut-être surtout) le fruit d’un rapport de force relativement équilibré entre patronat et syndicats, ces derniers pouvant notamment compter sur la crainte qu’inspire alors une classe ouvrière largement armée et au sein de laquelle le parti communiste, et plus largement les thèses qu’il incarne, exercent une influence considérable. Ensuite, le fait que chaque partie au pacte y voyait des avantages qui lui étaient propres (pour faire court, des relations sociales pacifiées et la garantie du maintien de leur contrôle sur l’économie pour les capitalistes vs une amélioration des conditions de travail et de vie, ainsi qu’une certaine démocratisation de l’économie pour les syndicats). Ce n’est donc pas tant le consensus soudain sur une idée abstraite de progrès qui a permis la création de la sécurité sociale, qu’un rapport de force et des conditions historiques particulières qui ont permis à ce compromis d’être acceptable par toutes les parties à ce moment précis de l’histoire.

Caractéristiques du modèle belge

La sécurité sociale belge fonctionne selon un modèle contributif de type « bismarckien ». En clair, ce sont des cotisations versées en même temps que les salaires des travailleurs qui financent principalement le système et qui ouvrent la plupart des droits à indemnisation des salariés. À la différence de l’impôt, le versement de ces cotisations intervient au moment de la répartition primaire des revenus entre travail et capital. Elles font donc partie intégrante du salaire, mais d’un salaire socialisé. À ce titre, la gestion des caisses qui les récoltent est généralement dévolue dans ce type de système soit à un organe paritaire (qui allie représentants des travailleurs et des employeurs) comme c’est le cas en Belgique pour l’ONSS, soit exclusivement aux organisations représentatives des salariés, comme ce fut par exemple le cas en France jusqu’au milieu des années 1960 [4]. L’État n’intervient que de manière résiduelle pour compenser les écarts éventuels entre recettes et dépenses et plus largement pour gérer les dispositifs d’assistance qui visent ceux qui passeraient à travers les mailles de la sécurité sociale.

Ce système s’oppose aux systèmes de type « beveridgiens » [5] qui reposent quant à eux sur un financement par l’impôt et dont la gestion revient dès lors à l’État. En effet, l’impôt intervient au moment de la répartition secondaire des revenus et on ne peut plus le considérer comme du salaire puisqu’il porte sur des flux divers (revenus, propriété, consommation) et qu’il a vocation à financer de la dépense publique en général. Du point de vue des travailleurs, chacun de ces systèmes a des avantages et des inconvénients. On reproche ainsi souvent aux systèmes bismarckiens d’exclure de leur fonctionnement les catégories de travailleurs et plus largement d’individus qui échappent au statut « classique » de l’emploi salarié à temps plein. En Belgique, par exemple, le travail à mi-temps ne permet pas d’ouvrir son droit aux allocations de chômage, une situation dont souffrent tout particulièrement les femmes puisqu’elles sont surreprésentées dans ce type d’emploi. De la même manière, dans beaucoup de pays du Sud, l’immense majorité des travailleurs relèvent du secteur informel, ce qui les exclut aussi de facto de la possibilité de bénéficier d’une sécurité sociale conçue sur un mode bismarckien. À l’inverse, les systèmes fondés sur l’impôt sont donc plus facilement universalisables dans la mesure où ils sont « non contributifs », au sens où les droits à indemnisation ne dépendent pas d’une contribution préalable tirée des revenus du travail. Ce n’est pas en tant que travailleur que vous pouvez en bénéficier, mais simplement en tant que citoyen. Cette caractéristique a toutefois aussi ses désavantages. Le premier c’est de rendre le financement et la gestion de ce type de système dépendants de l’État (et donc tributaires d’éventuels changements de majorité politique), alors qu’ils sont davantage sanctuarisés dans un modèle bismarckien. Le second, c’est de favoriser le glissement de ces systèmes vers une logique tutélaire dans laquelle l’État administre une forme de solidarité, voire de charité, descendante dont il fixe unilatéralement les conditions, les limites, les contreparties, etc., alors que les modèles contributifs favorisent plutôt une logique d’auto-administration et de reconnaissance de l’indemnisation comme un droit solidaire et non un privilège.

Mythes et réalités des « Trente Glorieuses »

En Belgique, mais aussi dans le reste de ce qui constitue alors le « premier monde industrialisé », les trois décennies qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale constituent l’âge d’or de la sécurité sociale. On assiste en effet à son développement et à son renforcement, à la fois en termes de couverture et de conditions d’indemnisation, grâce à un contexte socio-économique, mais aussi politique et idéologique relativement favorable : des taux de croissance exceptionnels, le plein emploi et le développement de nouveaux droits économiques et sociaux qui favorisent un meilleur partage des richesses et plus largement une relative démocratisation de l’économie. Dans ce contexte, le pacte social semble fonctionner à merveille. Croissance et hausse de la productivité d’un côté, sécurité d’existence et accès à la consommation de masse de l’autre.

Il faut toutefois se garder des illusions rétrospectives qui conduisent aujourd’hui à qualifier cette période de « Trente Glorieuses ». D’abord, parce qu’elle reposait sur des conditions de possibilité qui ne sont plus forcément réunies aujourd’hui, à commencer par la nécessité d’un effort de reconstruction nationale, la lutte contre le communisme ou encore le pillage du Tiers-Monde. Ensuite, parce que les « succès » et « l’harmonie » de cette époque sont à relativiser. Des pans entiers de la population en étaient exclus et les conflits sociaux étaient très nombreux et violents. Enfin, parce que les progrès de cette période étaient traversés par une contradiction fondamentale : ils reposaient avant tout sur un partage des fruits d’une croissance qui s’est révélée intenable d’un point de vue écologique, mais aussi économique. En effet, pour des raisons endogènes et exogènes, il est devenu de plus en plus difficile de continuer de satisfaire à la fois les exigences de l’accumulation capitaliste et la satisfaction des demandes de démocratisation de l’économie de plus en plus radicales en provenance du monde du travail.

Contre-révolution néolibérale et fin du pacte social

Pour différentes raisons, cette contradiction devient particulièrement aiguë dans le courant des années 1970. Le Tiers-Monde se rebiffe, la croissance et les profits stagnent et les salariés sont plus exigeants que jamais, notamment dans la foulée des événements de mai 1968. Dans ce contexte, les deux « chocs pétroliers » de 1973 et 1979 serviront d’étincelle qui mettra le feu aux poudres. La crise économique qui s’ensuit est alors mise à profit par une alliance de forces économiques et politiques conservatrices qui va chercher à rétablir les taux de profit ainsi que son contrôle sur l’économie. Cette entreprise est menée sous la houlette du « néolibéralisme », une obscure doctrine économique développée à la fin des années 1930 mais restée plusieurs décennies dans l’ombre de sa rivale keynésienne [6]. Or, devant l’incapacité de cette dernière à répondre efficacement à la crise et grâce à des soutiens politiques et économiques influents, le néolibéralisme s’impose progressivement comme nouvelle orthodoxie économique, avec comme points de basculement décisifs les élections de Margaret Thatcher comme Première ministre du Royaume-Uni en 1979 et de Ronald Reagan comme président des États-Unis en 1980.

Dès ce moment, le compromis plus ou moins tacite qui avait fondé, du moins en théorie, la plupart des modèles économiques et sociaux de l’après-guerre vole en éclat. Au plein emploi se substitue en effet la lutte contre l’inflation comme priorité économique absolue, à la sécurité d’emploi et d’existence se substitue la « flexibilité » comme garantie d’un retour à la croissance des profits, et à la démocratisation (relative) de l’économie se substitue la quasi-constitutionnalisation de son orientation néolibérale. En Belgique, c’est aux Gouvernements « Mertens-Gol » que revient la tâche d’opérer cette rupture, une tâche qui nécessitera le recours aux pouvoirs spéciaux, une façon particulièrement explicite de (ré)affirmer la primauté des intérêts du capital sur ceux de la démocratie.

De l’austérité à « l’État social actif »

On réduit toutefois trop souvent le néolibéralisme à une forme d’ultralibéralisme préoccupée uniquement par le démantèlement de l’État. En réalité, les néolibéraux ne sont pas contre l’État. À la différence des libéraux classiques, ils considèrent d’ailleurs que ce dernier est nécessaire au fonctionnement du marché [7]. Ce qu’ils rejettent, ce sont les interventions étatiques qui vont à l’encontre du marché. Dans cette optique, leurs premières préoccupations, une fois au pouvoir, consisteront donc effectivement à démanteler autant que faire se peut les différentes formes d’interventionnisme étatique et syndical qui visaient à encastrer l’économie dans des critères non-marchands, mais en travaillant aussi, en parallèle, à redéployer de nouvelles formes d’interventionnisme (plus) favorables à la logique du marché.

La sécurité sociale offre justement un bon exemple de cette double logique. Dès les années 1980, on assiste en effet à une multiplication des attaques contre ce qui est alors présenté comme des protections excessives qui entravent le fonctionnement normal de l’économie. Les « ponctions » qu’opèrerait la sécurité sociale sur les richesses produites sont présentées comme insoutenables et elles sont en outre accusées d’alimenter une forme d’assistanat dans la population qui freinerait le dynamisme de l’économie. On assiste alors au commencement d’une double politique systématique (qui perdure à l’heure actuelle) d’exonérations de cotisations sociales censées permettre aux entreprises de regagner en compétitivité et en rentabilité et un durcissement des conditions d’accès et d’octroi des bénéfices de la sécurité sociale légitimé cette fois par la nécessité de faire des économies et par la lutte contre l’assistanat [8].

Toutefois, à cette logique de recul de la sécurité sociale va s’ajouter à partir de la fin des années 1990, une logique de redéploiement de ses modalités mêmes de fonctionnement sous la bannière de « l’État social actif ». Cette notion a été popularisée dans les milieux de la « troisième voie » sociale-démocrate à travers des individus comme Bill Clinton aux États-Unis, Anthony Blair au Royaume-Uni ou encore Gerhard Schröder en Allemagne. Tous cherchent une alternative à la fois au néolibéralisme « pur et dur » qui commence alors à souffrir des contestations de plus en plus sérieuses, mais aussi au retour à un État-providence dont ils estiment qu’il a largement prouvé son inefficacité. Dans ce contexte, « l’activation » des prestations sociales de l’État – c’est-à-dire le fait de les rendre conditionnelles à la preuve d’une recherche active d’emploi de la part de leurs bénéficiaires – offre au moins trois avantages. D’abord, elle permet de maintenir un filet de sécurité minimale pour les perdants de la compétition économique. Ensuite, elle le fait sans risquer d’entretenir un « assistanat passif ». Enfin, au contraire, elle permet même de dynamiser le marché du travail en accentuant la concurrence qui y règne et en favorisant au passage une hausse globale des qualifications et de la « motivations » des travailleurs.

On le voit, à travers l’activation, la protection sociale est donc passée d’un outil de protection, voire de lutte, contre la marchandisation du travail et de l’économie, à un vecteur à part entière de cette marchandisation et de la mise en concurrence qui l’accompagne.

75 ans, et après ?

En Belgique, ce sont les années 2000 qui ont été le théâtre de la mise en place de l’État social actif, d’abord dans les CPAS (rebaptisés en 2002 « Centres publics d’action sociale » et non plus « d’aide sociale), puis dans les allocations de chômage (avec l’arrivée en 2004 de l’obligation « active » de recherche d’emploi). La logique a ensuite été approfondie sous les gouvernements successifs, mais singulièrement sous celui de Charles Michel, à partir de 2014, avec une activation toujours plus disciplinaire et surtout toujours plus étendue, puisqu’elle concerne désormais des catégories d’individus qui en avaient été préservés jusque-là (les personnes âgées, les malades de longue durée, les migrants, etc.). Ce sont donc aujourd’hui tous les piliers de la sécurité sociale (chômage, retraite, maladie) qui sont de plus en plus enrôlés au service de la mise en marché de la société. En parallèle, le financement même du système dans son ensemble continue lui aussi d’être attaqué : d’une part, à travers la poursuite des politiques de baisses des cotisations sociales sous prétexte de compétitivité et/ou d’aide au pouvoir d’achat ; d’autre part, à travers le refus de l’État de compenser ces pertes sous prétexte d’austérité budgétaire.

Dans ce contexte, plusieurs questions se posent pour les travailleurs et le camp progressiste dans son ensemble. D’abord, quel attachement faut-il continuer d’avoir pour un « pacte social » auquel les employeurs et l’État ont renoncé il y a maintenant plusieurs décennies ? Ensuite, si l’on prend acte de la fin de ce pacte, que souhaite-t-on lui substituer ? Deux possibilités émergent ici en particulier. Prôner un nouveau pacte, mais dont il faudrait préciser le contenu ainsi que les conditions de possibilité, compte-tenu, d’une part des contraintes économiques et écologiques actuelles, mais aussi de l’état du rapport de force entre le travail et le capital.

Rompre avec l’idée même de pacte pour envisager une économie par et pour les travailleurs. Les conditions de possibilité se posent évidemment ici aussi avec au moins autant d’acuité, mais en termes de contenu, on pourrait déjà s’appuyer sur les réalisations passées de la classe ouvrière, à commencer par la sécurité sociale, pour en imaginer les contours. À condition toutefois de savoir reconnaître ce que ces conquêtes ont pu avoir de révolutionnaire…

 


Cet article est la version longue d’un article à paraître dans la revue Santé Conjuguée (n°92, septembre 2020) de la Fédération des maisons médicales (FMM) : https://www.maisonmedicale.org/-Sante-conjuguee-.html. ]]

 


Pour citer cet article : Cédric Leterme, "La sécurité sociale à la croisée des chemins : bilan et perspectives", Gresea, septembre 2020, article disponible à l’adresse https://gresea.be/La-securite-sociale-a-la-croisee-des-chemins-bilan-et-perspectives

Notes

[1Sur ces questions, lire notamment : R. Castel (1995), Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard ; F. Ewald (1986), L’État providence, Paris, Grasset ; ou encore K. Polanyi (2009), La Grande Transformation, Paris, Gallimard.

[2Pour une histoire plus détaillée de la sécurité sociale belge, lire notamment G. Vanthemsche (1994), La sécurité sociale : les origines du système belge : le présent face à son passé, Bruxelles, De Boeck-Wesmael. Dans un style plus accessible, la BD de H. Franssen (2020), Un cœur en commun - La belge histoire de la sécurité sociale (éditions Delcourt) offre également une bonne entrée en matière.

[3On retrouve notamment cette idée plusieurs fois dans la BD de Harald citée ci-dessus.

[4Sur ce point, lire notamment : B. Friot et C. Jakse, « Une autre histoire de la Sécurité sociale », Le Monde diplomatique, Décembre 2015.

[5Du nom de Lord William Beveridge, un économiste et homme politique anglais qui a notamment jeté les bases de la sécurité sociale anglaise dans un rapport de 1942 qui a toutefois eu un retentissement bien au-delà des frontières du Royaume-Uni.

[6Sur cette séquence historique particulière, lire notamment l’excellent livre de D. Harvey (2014), Une brève histoire du néolibéralisme, Paris, Les Prairies ordinaires.

[7Pour plus de détails sur ce point, lire notamment : P. Dardot et C. Laval (2009), La nouvelle raison du monde : Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte.

[8Lire notamment : C. Leterme (2019), « Déconstruire les théories du chômage et les politiques de l’emploi en Belgique », GRESEA : http://www.gresea.be/Deconstruire-les-theories-du-chomage-et-les-politiques-de-l-emploi-en-Belgique.