Dans le monde boursier, le BEL 20 constitue la référence de l’économie belge. Les médias y font régulièrement référence et publient les performances de ces entreprises, « locomotives » de l’économie belge. L’indice sélectionne en effet annuellement 20 entreprises cotées en bourses, sur base de critères financiers divers. Unique liste des grandes entreprises en Belgique, cet indice n’en donne pas moins une vision limitée du pouvoir économique en Belgique (Romain Gelin, Qui sont les actionnaires du BEL 20 ?, Gresea Échos n° 90, pages 20-27, juin 2017). C’est pourquoi nous proposons dans cet article de construire un indicateur alternatif rendant mieux compte du pouvoir économique en Belgique.
C’est la société privée Euronext qui décide des critères d’entrée dans le BEL 20, ces derniers étant susceptibles d’évoluer au cours du temps. Pour faire partie du BEL 20, une entreprise doit tout d’abord être cotée en bourse, éliminant de facto du tableau certaines grandes entreprises en Belgique comme la FN Herstal par exemple. Les conditions d’entrée se basent ensuite principalement sur des critères financiers : le capital flottant des candidats doit être supérieur à 300.000 fois le niveau du BEL 20 et le volume d’actions échangées doit représenter au moins 35% du capital flottant. Le capital flottant d’une entreprise désigne la partie du capital considérée comme facilement échangeable sur le marché boursier, soit généralement l’ensemble des parts d’actions détenues qui représentent moins de 5% du capital total [1]. Enfin, les entreprises du BEL 20 doivent porter la couleur de la Belgique, soit en ayant la bourse Euronext Bruxelles pour cotation de référence, soit en ayant au minimum 15% des effectifs en Belgique [2]. Or, la Belgique est une économie très ouverte. De grandes entreprises étrangères y sont présentes sans pour autant avoir Bruxelles pour cotation de référence ou au minimum 15% de leurs effectifs en Belgique.
Le tableau 1 reprend à titre d’information la liste des entreprises du BEL 20 depuis sa dernière modification en mars 2019. Ainsi, l’entreprise Engie est sortie de l’indice lors de la révision trimestrielle de mars 2019, car sa cotation principale est à Paris et que moins de 5% de ses effectifs travaillent désormais en Belgique [3]. Malgré ce faible pourcentage, l’effectif d’Engie en Belgique était en 2015 de 19.146,2 ETP (équivalent temps plein), plaçant la compagnie en 4e place des plus gros employeurs belges [4]. L’indice BEL 20, car il évolue constamment et ne représente qu’une certaine catégorie d’entreprises belges, n’offre dès lors qu’une vision réductrice du pouvoir économique en Belgique.
Nous ne contestons pas que les entreprises du BEL 20 et leurs actionnaires exercent bel et bien une influence sur l’économie belge. L’actionnariat de l’indice belge est extrêmement concentré au sein de quelques familles belges qui disposent de facto d’un grand pouvoir économique. Cependant, en représentant principalement les holdings et les fondations belges, le BEL 20 ne peut être utilisé comme référence unique du pouvoir économique belge. Dans les pages qui suivent, nous allons donc tenter de construire un BEL 20 alternatif à partir des indicateurs de valeur ajoutée, d’emploi et des ventes.
Tableau 1. Entreprises du BEL 20 depuis mars 2019
Source : Euronext - BEL 20, mars 2019
Chiffre d’affaires, valeur ajoutée et emploi
Chaque classement, chaque indicateur relève d’un certain niveau de subjectivité. Le magazine Fortune, par exemple, publie chaque année le Fortune Global 500 [5]. Il s’agit d’un classement des 500 plus grandes entreprises mondiales. Pour classer les entreprises, Forbes utilise le chiffre d’affaires. Le Financial Times, le quotidien financier de la City, publie une liste similaire (Financial Times Global 500), mais utilise la capitalisation boursière pour départager les entreprises. Les résultats sont parfois très différents. Quels critères peuvent permettre d’identifier les entreprises détentrices du pouvoir économique ? Tout d’abord, comme le montre le magazine Fortune, les entreprises avec un grand chiffre d’affaires détiennent un certain pouvoir économique. Le chiffre d’affaires désigne le montant total des ventes d’une entreprise sur une année. En modifiant les échanges nationaux et internationaux et donc les flux de richesse circulant en Belgique, les firmes ont un impact sur la compétitivité de l’économie belge. Dans son tableau de bord de la compétitivité de l’économie belge, le ministère de l’Économie ne cache pas l’importance du chiffre d’affaires pour une petite économie comme la nôtre : « en Belgique, les entreprises présentant un chiffre d’affaires exprimé en milliards sont presque toutes des multinationales qui se focalisent sur le marché international. […] En raison de leur impact économique direct et indirect, ces entreprises sont cruciales pour notre économie, bien que le nombre de PME soit proportionnellement beaucoup plus élevé. La présence de ces entreprises stimule d’autres entreprises via le transfert de connaissances et de personnel et les avantages logistiques et les attire également » [6]. Pour la Wallonie, le CRISP souligne également l’importance des grandes entreprises – plus particulièrement les groupes étrangers- dans les ventes réalisées sur la région. Ainsi, en avril 2016, parmi les 73.962 entreprises présentes en Wallonie, seuls 2% sont sous le contrôle d’un groupe étranger, mais ces filiales de multinationales contrôlent 53,3% du chiffre d’affaires total des sociétés présentes en Wallonie [7] ! Chaque année, les rapports du CRISP montrent que cette dépendance par rapport aux groupes étrangers s’accentue. À tout le moins pour la Wallonie. Les discours politiques incantatoires sur les PME comme moteur de l’économie belge n’y changeront rien. Les ventes en Belgique sont une affaire de multinationales et, comme nous le verrons, pas nécessairement de celles qui composent le BEL 20.
Le chiffre d’affaires peut cependant favoriser les entreprises de commerce et laisser de côté toute une série d’entreprises, pourtant importantes pour l’économie belge. Complémentaire au chiffre d’affaires, la valeur ajoutée indique la richesse monétaire créée sur le territoire belge pendant une période. Il s’agit de la différence entre le chiffre d’affaires réalisé par une entreprise et les coûts des biens et des services qui ont été nécessaires pour réaliser ce chiffre d’affaires. Ces biens et services forment dès lors le chiffre d’affaires d’une autre firme. La somme des valeurs ajoutées de toutes les sociétés, administrations et organisations présentes sur le territoire belge constitue le produit intérieur brut (PIB) du pays. La valeur ajoutée brute d’une entreprise modifie donc le résultat économique - « la croissance »- national. Les entreprises avec une grande valeur ajoutée brute détiennent donc un pouvoir économique, car l’intensité de leur activité économique peut modifier la création de richesse en Belgique.
Enfin, l’emploi est au cœur des relations qui se nouent entre le pouvoir politique et le monde des entreprises depuis les années 1970, qui ont vu la montée d’un chômage de masse dans nos économies. Le concept de compétitivité appliqué au territoire présuppose que seul l’investissement de l’entreprise privée est potentiellement capable de créer des emplois. Le rôle économique du pouvoir politique national est donc d’attirer ou de maintenir les entreprises sur son territoire à grand coup d’avantages fiscaux ou de subventions. Dans ce cadre conceptuel ascientifique, lorsqu’une entreprise menace de délocaliser une filiale ou de mettre en place un plan de licenciement, les États sont souvent prêts à de grandes concessions afin de « sauver l’emploi ». Une entreprise avec un grand nombre de travailleurs a donc, via le chantage à l’emploi ou à la délocalisation, un grand pouvoir économique. Le magazine Médor a très bien démontré cela en analysant le cas de l’usine Audi à Forest (Bruxelles) [8].
En observant le chiffre d’affaires, la valeur ajoutée brute et le nombre de travailleurs d’une entreprise, on peut donc, selon nous, construire un échantillon plus représentatif du pouvoir économique. Bien sûr, comme nous l’expliquons dans le troisième article, le pouvoir économique ne se résume pas à des indicateurs quantitatifs. Nous avons opté pour cette grille de lecture du pouvoir, car elle se base sur des données chiffrées et disponibles. De plus, les résultats obtenus via cette méthode font émerger des entreprises qui ont, pour certaines, marqué l’histoire économique du pays. Elle n’a pas la prétention d’être la seule grille de lecture du pouvoir économique. À titre d’exemple, il serait pertinent d’avoir une analyse répertoriant les nombreux cas où des propositions de lois ont été modifiées suite à l’intervention d’entreprises.
Qui sont les grandes entreprises non financières en Belgique ?
Les tableaux 2, 3 et 4 montrent un classement des entreprises selon les trois critères choisis : chiffre d’affaires, valeur ajoutée brute et emploi. Les classements ont été obtenus sur base des comptes annuels des entreprises déposés à la Banque Nationale belge pour l’année 2015. Nous avons opté pour l’année 2015 comme année de référence du classement, car c’est l’année à jour la plus récente et pour laquelle nous disposons du recul critique nécessaire. Nous avons exclu du classement certaines catégories d’entreprises. Les entreprises financières tout d’abord, car elles présentent des comptes et bilans sous un format différent des entreprises non-financières, empêchant par là toute comparaison. Cela pose évidemment un premier problème, car la Belgique reste une place financière et bancaire importante même si certaines banques belges sont désormais passées sous contrôle étranger. Ensuite, nous avons exclu les entreprises d’intérim. Ces dernières faussent en effet les données, car la richesse créée par les intérimaires est comptabilisée non pas au sein de l’entreprise d’intérim, mais au sein de celles qui ont fait appel aux intérimaires. Enfin, nous avons retiré du classement les entreprises non marchandes. Dans un deuxième temps, les données des entreprises ont été consolidées, en agrégeant pour chacune l’ensemble des données des filiales enregistrées en Belgique. Les chiffres concernant Engie, par exemple, additionnent les résultats de Fabricom, Cofely, Axima, Énergie Lab, Tractebel, Electrabel, Synatom et N-Allo.
Le tableau 2 reprend les plus grandes entreprises en termes de chiffre d’affaires. Seul un tiers d’entre elles (10 sur 30) sont des entreprises dont la maison-mère se situe en Belgique. L’automobile et l’énergie sont en tête du classement. Remarquons également la place importante occupée par les entreprises du secteur de la grande distribution. Ceci est cohérent et s’explique simplement par le fait qu’en tant qu’entreprises de commerce, elles achètent et vendent beaucoup, générant par là un chiffre d’affaires important.
Tableau 2. Les 30 plus grands chiffres d’affaires en Belgique
Entreprise | Pays | Activité | Chiffre d’affaires | |
1 | Total | FR | Énergie | 25.086.661.138 € |
2 | ExxonMobil | US | Énergie | 23.575.798.411 € |
3 | TOYOTA | JP | Automobile | 21.469.194.730 € |
4 | ENGIE | FR | Énergie | 19.169.137.800 € |
5 | Colruyt | BE | Grande distribution | 9.783.385.344 € |
6 | ArcelorMittal | LU | Sidérurgie | 7.740.655.290 € |
7 | Volvo | SE | Automobile | 7.723.336.402 € |
8 | Janssen Pharma. | US | Pharmaceutique | 7.649.450.562 € |
9 | Carrefour | FR | Grande distribution | 5.812.653.699 € |
10 | BASF | DE | Chimie | 5.803.575.763 € |
11 | Proximus | BE | Communication | 5.657.845.602 € |
12 | Delhaize | BE | Grande distribution | 4.909.377.211 € |
13 | Avnet | US | Électronique | 4.506.297.427 € |
14 | UCB | BE | Pharmaceutique | 3.718.229.409 € |
15 | EDF | FR | Distribution d’électricité | 3.544.620.070 € |
16 | Mazda | JP | Automobile | 3.538.477.042 € |
17 | Cargill | US | Alimentation | 3.535.631.872 € |
18 | GSK | UK | Pharmaceutique | 3.414.215.867 € |
19 | D’ieteren | BE | Automobile | 3.389.030.602 € |
20 | Umicore | BE | Technologie des matériaux | 2.927.698.276 € |
21 | Philip Morris | SZ | Industrie du tabac | 2.913.295.660 € |
22 | Bridgestone | JP | Automobile | 2.688.823.609 € |
23 | Telenet | BE | Communication | 2.672.960.870 € |
24 | bpost | BE | Communication | 2.624.464.053 € |
25 | Kuwait Petroleum | KU | Énergie | 2.584.558.003 € |
26 | Sappi | ZA | Papeterie | 2.493.556.563 € |
27 | SNCB | BE | Transport | 2.463.455.319 € |
28 | Barry Callebaut | SZ | Alimentation | 2.361.686.191 € |
29 | Aurubis Belgium | DE | Métallurgie | 2.239.424.121 € |
30 | AB Inbev | BE | Brasserie | 2.166.093.487 € |
Source : Afin-a, traitement Gresea, 2019
Les entreprises avec une grande valeur ajoutée brute sont reprises dans le tableau 3. Elles sont un peu plus « belges » que celles avec un grand chiffre d’affaires (14 sur 30) et la grande distribution apparaît plus tard dans le classement. Ce qui s’explique par le fait que la grande distribution transforme moins les produits que les entreprises manufacturières de la chimie, de la sidérurgie ou l’automobile par exemple. Elles produisent donc moins de valeur ajoutée. On remarque une assez grande variété dans les secteurs représentés, mais l’énergie et l’automobile sont toujours assez présents. Notons aussi la présence de BP (British Petroleum) qui arrive en 14e place du tableau alors que l’entreprise ne possède en Belgique que trois filiales et que 843 millions des 942 millions de valeur ajoutée brute proviennent de la filiale dénommée BP Irak, qui n’emploie personne en Belgique…
Tableau 3. Les 30 plus grandes valeurs ajoutées brutes en Belgique
Entreprises | Pays | Activité | Valeur ajoutée brute | |
---|---|---|---|---|
1 | Total | FR | Énergie | 2.987.342.752 € |
2 | Janssen Pharma | US | Pharmaceutique | 2.759.669.780 € |
3 | Proximus | BE | Communication | 2.694.011.205 € |
4 | ENGIE | FR | Énergie | 2.243.342.718 € |
5 | HR RAIL | BE | Transport | 2.034.834.882 € |
6 | GSK | UK | Pharmaceutique | 1.963.663.602 € |
7 | bpost | BE | Communication | 1.742.545.495 € |
8 | BASF | DE | Chimie | 1.741.802.498 € |
9 | Colruyt | BE | Grande distribution | 1.704.365.153 € |
10 | Telenet | BE | Communication | 1.474.054.502 € |
11 | UCB | BE | Pharmaceutique | 1.434.369.417 € |
12 | ArcelorMittal | LU | Sidérurgie | 1.360.651.672 € |
13 | ExxonMobil | US | Énergie | 1.273.111.382 € |
14 | BP (British Petroleum) |
UK | Énergie | 942.835.311 € |
15 | Atlas Copco | SE | Industrie manufacturière | 862.997.202 € |
16 | Coca-cola | US | Alimentation | 836.228.371 € |
17 | Delhaize | BE | Grande distribution | 794.615.305 € |
18 | AB Inbev | BE | Brasserie | 792.413.985 € |
19 | Volvo | SE | Automobile | 662.555.463 € |
20 | Kuwait Petroleum | KU | Énergie | 616.486.600 € |
21 | Ores | BE | Distribution d’électricité | 612.892.772 € |
22 | TOYOTA | JP | Automobile | 610.394.163 € |
23 | Carrefour | FR | Grande distribution | 606.416.659 € |
24 | Centrale der Werkgevers aan de Haven van Antwerpen | BE | Activité de services administratifs (employeur des dockers) |
570.998.317 € |
25 | Solvay | BE | Chimie | 504.856.944 € |
26 | Shell | NL | Énergie | 503.213.530 € |
27 | De Lijn | BE | Transport | 492.814.097 € |
28 | Euronav | BE | Transport | 490.679.339 € |
29 | Orange | FR | Communications | 454.390.667 € |
30 | Fluvius | BE | Distribution d’électricité | 435.779.522 € |
Source : Afin-a, traitement Gresea, 2019
Enfin, le tableau 4 classe les entreprises avec le plus grand nombre d’équivalents temps plein (ETP). Plus de la moitié des plus grands employeurs sont belges. On remarque également la forte présence d’entreprises publiques ou d’entreprises publiques autonomes [9] : HR Rail, De Lijn, Stib, Proximus (État actionnaire à 58,51%), bpost (51,04%). Pour ces dernières, vu que l’État en est actionnaire majoritaire, le chantage à l’emploi ou à la délocalisation ne s’exerce évidemment pas. La surreprésentation des entreprises publiques dans ce classement vient plutôt contredire, si besoin en était, le dogme néolibéral voulant que seul le secteur privé « crée » l’emploi.
À elles seules, les 30 entreprises qui engagent le plus détiennent un total de 255.150 ETP en 2015. Sachant que l’on comptait en 2015 un total de 2.357.466 ETP, les entreprises sélectionnées représentent à elles seules plus de 10% de l’emploi [10] !
Tableau 4. Les 30 plus grands employeurs en Belgique
Entreprises | Pays | Activité | Nombre d’ETP | |
---|---|---|---|---|
1 | HR RAIL | BE | Transport | 33.272 |
2 | bpost | BE | Communication | 24.616 |
3 | Colruyt | BE | Grande distribution | 22.934 |
4 | ENGIE | FR | Énergie | 19.013 |
5 | Proximus | BE | Communication | 13.501 |
6 | Delhaize | BE | Grande distribution | 13.073 |
7 | ArcelorMittal | LU | Sidérurgie | 10.719 |
8 | Centrale der Werkgevers aan de Haven van Antwerpen | BE | Activité de services administratifs (employeur des dockers) | 8.901 |
9 | Carrefour | FR | Grande distribution | 8.827 |
10 | GSK | UK | Pharmaceutique | 8.730 |
11 | Volvo | SE | Automobile | 8.561 |
12 | Stib | BE | Transport | 7.848 |
13 | De Lijn | BE | Transport | 7.624 |
14 | CHALLENGE - RMF INTERNATIONAL INC. | US | Industrie manufacturière | 6.696 |
15 | ISS FACILITY SERVICES | DA | Service de nettoyage/entretien | 6.280 |
16 | G4S | SE | Sécurité | 5.626 |
17 | Securitas | UK | Sécurité | 5.179 |
18 | Janssen Pharmaceutica | US | Pharmaceutique | 4.445 |
19 | Fluvius | BE | Distribution d’électricité | 4.348 |
20 | Intercommunale de Santé Publique du Pays de Charleroi | BE | Santé humaine et action sociale | 4.343 |
21 | Total | FR | Énergie | 4.252 |
22 | VanHool | BE | Automobile (bus, autocars, remorques) | 3.913 |
23 | BASF | DE | Chimie | 3.356 |
24 | MAKRO Cash & Carry Belgium | DE | Commerce de gros | 3.330 |
25 | Sodexo | FR | HORECA | 3.300 |
26 | Telenet | BE | Communication | 3.248 |
27 | CNH Industrial | UK | Automobile | 3.188 |
28 | Centre Hospitalier La Citadelle | BE | Santé humaine et action sociale | 2.955 |
29 | Umicore | BE | Technologie des matériaux | 2.904 |
30 | Atlas Copco | SE | Industrie manufacturière | 2.853 |
Source : Afin-a, traitement Gresea, 2019
Ceci sans compter évidemment la sous-traitance qui, dans le chef de certaines multinationales, peut doubler voire tripler l’emploi sous influence des décisions du donneur d’ordre.
Toutes les entreprises présentes dans les classements ont un certain pouvoir économique. Cependant, celles qui cumulent un grand CA, une grande VAB et de nombreux ETP en ont d’autant plus. Le tableau 5 montre un classement des entreprises belges selon les trois critères choisis : chiffre d’affaires, valeur ajoutée brute et emploi. Afin d’élaborer un classement, chaque entreprise a reçu un poids correspondant à sa place au sein des différents classements. Par exemple, Engie obtient la première place générale, car elle est 4e dans les 3 catégories. Le tableau 5 présente les 25 premières places.
Tableau 5. « Le BEL 20 alternatif »
Entreprises | Pays | CA | VAB | ETP | Total | |
1 | Engie | FR | 4 | 4 | 4 | 12 |
2 | Colruyt | BE | 5 | 9 | 3 | 17 |
3 | Proximus | BE | 11 | 3 | 5 | 19 |
4 | Total | FR | 1 | 1 | 21 | 23 |
5 | ArcelorMittal | LU | 6 | 12 | 7 | 25 |
6 | Janssen Pharma | US | 8 | 2 | 18 | 28 |
7 | bpost | BE | 24 | 7 | 2 | 33 |
8 | GSK | UK | 18 | 6 | 10 | 34 |
9 | Delhaize | BE | 12 | 17 | 6 | 35 |
10 | Volvo | SE | 7 | 19 | 11 | 37 |
11 | HR Rail | BE | 31 | 5 | 1 | 37 |
12 | BASF | DE | 10 | 8 | 23 | 41 |
13 | Carrefour | FR | 9 | 23 | 9 | 41 |
14 | ExxonMobil | US | 2 | 13 | 44 | 59 |
15 | Telenet | BE | 23 | 10 | 26 | 59 |
16 | Toyota | JP | 3 | 22 | 35 | 60 |
17 | UCB | BE | 14 | 11 | 45 | 70 |
18 | Atlas Copco | SE | 33 | 15 | 30 | 78 |
19 | AB Inbev | BE | 30 | 18 | 31 | 79 |
20 | Umicore | BE | 20 | 32 | 29 | 81 |
21 | Coca-cola | US | 48 | 16 | 36 | 100 |
22 | Ores | BE | 38 | 21 | 41 | 100 |
23 | Orange | FR | 45 | 29 | 47 | 121 |
24 | CNH Industrial | UK | 47 | 48 | 27 | 122 |
25 | Audi | DE | 43 | 45 | 38 | 126 |
Source : Afin-a, traitement Gresea, 2019
Critique du classement et constats sur la compétitivité
Les 20 entreprises mises en avant par notre méthode représentent un échantillon assez réaliste des grandes entreprises non financières en Belgique. En effet, nous retrouvons des entreprises qui ont fait l’histoire économique de la Belgique comme Total (Petrofina), Engie (Société Générale de Belgique), HR Rail (SNCB), Delhaize, bpost, Janssen Pharmaceutica, AB Inbev (Interbrew) ou ArcelorMittal (Cockerill). Lorsqu’il a acheté le holding Petrofina en 1999, le français Total a vu ses effectifs, ses capacités de production et son chiffre d’affaires consolidé bondir de 30% ! Sans que cela ne change grand-chose à l’emploi ou à l’investissement de l’entreprise en Belgique… Certaines entreprises apparaissent aussi dans le BEL 20 : Umicore, Proximus, Colruyt ou AB Inbev par exemple.
Cependant, différents aspects du classement sont problématiques et méritent d’être soulignés. Dans un premier temps, mettons en avant l’absence du secteur du nettoyage (car il est assimilé aux sociétés d’intérim) et du secteur financier. Ensuite, rappelons que les critères choisis (CA, VAB et ETP), bien que représentatifs d’un pouvoir économique, n’en sont pas les seules clés de lecture. À cela s’ajoute un risque d’erreur dans la consolidation des entreprises. En effet, l’opacité des informations disponibles ne rend pas toujours possible l’agrégation de toutes les filiales d’une entreprise. Les données disponibles dans les différents classements représentent donc plutôt la borne inférieure aux chiffres réels. Ajoutons à cela, comme nous l’avons expliqué dans le premier article de ce numéro, que la sous-traitance n’est évidemment pas prise en compte dans ces calculs. Or, il s’agit d’un déterminant important du pouvoir des entreprises.
Cet exercice de décryptage du « Big business » en Belgique met cependant en lumière les noms des entreprises détentrices d’un grand pouvoir économique. Onze d’entre elles ne sont pas belges (elles ont leur maison-mère à l’étranger), mais présentent une activité importante en Belgique. Ces entreprises étrangères ont souvent racheté des entreprises historiquement présentes en Belgique. C’est par exemple le cas d’Engie, de Total, de GSK ou d’ArcelorMittal. Toutes les entreprises du TOP 20 sont par ailleurs présentes en Belgique depuis bien longtemps. Ainsi, les prédécesseurs de GSK en Belgique y sont actifs depuis 1715. Total s’est installé en Belgique en 1920 et les activités d’ArcelorMittal proviennent de Cockerill dont la création date du début du 19e siècle [11].
Depuis les années 1980, la Belgique, comme la plupart des États européens, ne cesse de souligner la nécessité d’attirer de nouvelles entreprises en rendant son territoire plus attractif en termes de fiscalités ou de salaires. Le régime fiscal dit des centres de coordination en vigueur depuis 1982 permettait déjà aux entreprises d’exempter des filiales actives dans les domaines de la comptabilité, des opérations financières ou de la publicité d’une série d’impôts. Depuis 2006, les intérêts notionnels ont remplacé cet ancien régime fiscal condamné pour concurrence déloyale par l’Union européenne. Dénommés également « déductions pour capital à risque », les intérêts notionnels permettent aux entreprises de déduire de leurs revenus une partie de la rémunération provenant des fonds propres. Les groupes d’entreprises sont les seuls à pouvoir bénéficier de cette concurrence d’avantages interétatiques. Censés favoriser la création d’emploi, les intérêts notionnels n’ont eu que peu d’impacts sur l’économie réelle, selon un rapport de la Banque Nationale. Il est dès lors légitime de s’interroger sur le bien-fondé des diverses mesures censées rendre notre pays plus attractif. Il en va de même avec le durcissement croissant de la loi de compétitivité sur les salaires [12].
La valeur ajoutée brute additionnée des entreprises du TOP 20 dépassait en 2015 les 30 milliards d’euros. En additionnant les valeurs ajoutées de toutes les entreprises en Belgique, on obtient une valeur de 229 milliards. Nos 20 entreprises génèrent donc à elles seules plus de 13% de la richesse monétaire créée par les entreprises sur le territoire belge. Or, toutes ces entreprises sont présentes en Belgique depuis très longtemps. Pour la plupart, elles y ont plutôt désinvesti qu’investi. Elles n’ont pas été attirées par nos politiques fiscales attractives. Sont-elles restées en Belgique grâce à ces politiques de compétitivité ? Les restructurations récentes chez ArcelorMittal ou la fermeture de Caterpillar Belgique permettent d’en douter. Ainsi, la politique d’attractivité, plutôt que de servir l’économie réelle, est surtout un outil de transformation du partage de la valeur ajoutée en faveur du profit des entreprises.
Lire aussi : Une analyse capital-travail du BEL 20 alternatif
Pour citer cet article : Leïla Van Keirsbilck & Bruno Bauraind, « Le BEL 20 alternatif », disponible à l’adresse :http://www.gresea.be/Le-Bel-20-alternatif