Quelque 300 personnes sont portées disparues après la rupture d’un barrage dans une mine de fer à Brumadinho, ce 25 janvier au Brésil. Si 65 décès ont été comptabilisés, le nombre de morts ne cesse d’augmenter. La catastrophe frappe le cœur de l’État de Minas Gerais. C’est déjà dans cet État que la rupture de deux bassins de boue d’une autre mine de fer, fin 2015, avait provoqué un véritable désastre écologique. Raison pour laquelle des questions sérieuses se posent maintenant au Brésil. Selon les experts, la succession de deux incidents identiques en un laps de temps aussi court, chaque fois dans une mine de fer gérée par la multinationale Vale, indique un dysfonctionnement structurel de l’industrie minière. Pourtant, ce ne sont pas les mégaentreprises minières qui paieront l’addition.

La catastrophe s’est produite dans l’après-midi du vendredi 25 janvier 2019, quand le barrage d’un bassin de boue de mine s’est rompu à proximité de la petite ville de Brumadinho. Les déchets miniers ainsi libérés ont entraîné avec eux un restaurant d’entreprise et des bureaux. Trois jours plus tard, le nombre de morts s’élevait à 65. La plupart des victimes seraient des travailleurs de l’entreprise Vale, propriétaire de la mine. À ce jour, quelque 300 personnes sont encore portées disparues.

Le raz-de-marée boueux a fini sa course dans le bassin de la rivière Paraopeba. Deux jours plus tard, la coulée de boue se trouvait déjà à plus de 60 kilomètres du lieu de l’accident. Dimanche 27 janvier, alors qu’un second barrage menaçait de céder, les sirènes d’alarme de la mine ont à nouveau retenti. L’alerte a finalement été levée dans le courant de la journée.

D’après Vale, le barrage qui a cédé vendredi a été construit en 1976, mais était « inactif » depuis 2015. C’est une installation de la mine de Feijão. Le bassin situé derrière le barrage contenait, selon son propriétaire, près de 12 millions de mètres cubes de boue mêlée de déchets provenant de la laverie de minerai de Feijão. Ce genre de boue contient généralement des résidus de silice, d’aluminium et d’oxyde de fer, mais aussi d’autres métaux toxiques.

Vale récidive

Vale avait déjà été impliquée dans une catastrophe similaire survenue à la mine Germano à Mariana, dans le même bassin minier de Minas Gerais. Cette région est historiquement qualifiée de « rectangle de fer ». En novembre 2015, les barrages de deux bassins de boue se sont rompus à la mine Germano. Dix-neuf personnes y ont perdu la vie. Ce drame a eu un grand impact écologique, car la coulée de boue toxique s’est déversée dans le Rio Doce, l’artère principale du bassin hydrologique de cette partie du Sud-Est brésilien, et a terminé sa course dans l’océan Atlantique.

Après la catastrophe de 2015, une vingtaine de managers ont été poursuivis en justice. À ce jour, personne n’a été condamné.

Germano appartenait à Samarco, une joint-venture de deux entreprises, l’anglo-saxonne BHP Billiton et la brésilienne Vale. BHP et Vale sont deux mégaentreprises minières multinationales. Lors de la catastrophe de 2015, Vale dirigeait les opérations à Germano. Une poursuite judiciaire a ensuite été intentée contre une vingtaine de managers. À ce jour, personne n’a été condamné.

Vale a mauvaise réputation. Cette entreprise est le plus gros producteur de minerai de fer du monde. Elle exploite plusieurs mines dans l’État de Minas Gerais. Mais Vale a déplacé le centre de son activité vers le nord, à Carajas, dans l’État de Para, où elle exploite S11D, le plus grand complexe de minerai de fer au monde.

Communication de crise

Immédiatement après le drame de Brumadinho, Vale s’est lancée dans la communication de crise. Dès ses premiers communiqués, l’entreprise soulignait que les installations de la mine avaient encore été inspectées en décembre 2018 et que le barrage numéro un avait reçu un certificat de stabilité de la firme brésilienne TÜV SUD. Vale promet des primes de 100.000 reais aux familles des victimes.

Après la catastrophe de Samarco en 2015, Vale s’était également chargée de la communication de crise. Vale parlait alors d’un « flot de boue » et niait la toxicité de la boue provenant des bassins. Pour esquiver sa responsabilité, la société prétendait que des tremblements de terre avaient fait céder les barrages. Il se pourrait que l’alarme de dimanche au barrage numéro six ait été une manœuvre dans le même sens. Vale a déclaré que la montée rapide du niveau de l’eau dans ce bassin avait obligé à tirer la sonnette d’alarme .

Au Brésil, l’opinion publique voit les choses d’un autre œil. Ce n’est pas à la nature, dit-on, mais à l’entreprise et à l’industrie minière dans son ensemble qu’il faut imputer la responsabilité de cette nouvelle catastrophe.

Laxisme gagnant

Une première critique porte sur la technique de construction des barrages. Il semble que les barrages de Brumadinho et de Germano aient été rehaussés avec de la boue provenant des bassins de déchets de ces mines. Cette technique totalement dépassée reste pourtant toujours d’actualité. Par ailleurs, les relations entre les entreprises et les instances politiques sont à nouveau dans le collimateur.

Personne ne semble connaître exactement le nombre de barrages au Brésil, leur type et leur état. Ce n’est qu’en 2010 que l’administration a commencé à établir un registre. Dans mon analyse de la catastrophe de Samarco, je m’en étais tenu prudemment à une liste de 298 barrages miniers, dont 23 à « risque élevé » d’incidents. Mais la réalité donne le vertige.

En 2014, seul un tiers des propriétaires de mines du Minas Gerais avait déclaré ses barrages. Et l’État n’avait envoyé que quatre fonctionnaires-contrôleurs.

L’administration brésilienne des eaux ANA a signalé en novembre 2018 que le Brésil possédait pas moins de 24.000 barrages de divers types. Quarante-deux pour cent d’entre eux ne détenaient pas de permis. La liste de l’ANA comptait 839 barrages miniers dont la moitié échapperait au plan national pour la sécurité des barrages. Selon O Tempo, un journal du Minas Gerais, sur les 450 barrages que compte à lui seul cet État, 45 (10 pour cent) sont à risque. En 2014, seul un tiers des propriétaires de mines du Minas Gerais avait déclaré ses barrages. Et, d’après mes informations, cet État ne pouvait envoyer lui-même que quatre fonctionnaires-contrôleurs.

Dans l’ensemble du Brésil, 31 instances sont compétentes pour les affaires minières au niveau de l’État fédéral et des États fédérés. Mais pour toutes ces instances réunies, 154 fonctionnaires seulement peuvent mener des inspections. En 2017, le nombre d’inspections a diminué, pour faire des économies, et l’on n’a contrôlé que 3 pour cent des barrages. Non seulement les inspecteurs ne sont pas assez nombreux, mais ils ont aussi beaucoup trop peu de véhicules et d’avions pour se rendre sur le terrain.

L’industrie s’autorégule

L’industrie minière mène une campagne intensive en faveur d’un assouplissement des règles. Il y a des années que le spécialiste en environnement André Trigueiro le déplore. « Dérégulation, débureaucratisation, flexibilisation sont les maîtres mots de l’industrie minière, commente Trigueiro sur Twitter, et ’exposent des communautés entières et la nature au risque de catastrophes ».

L’organisation environnementaliste américaine Earthworks déplore que les normes de sécurité demeurent trop laxistes dans le monde entier. Les entreprises minières rejettent les recommandations de l’équipe autoproclamée d’experts de Mount Polley. Ils préfèrent suivre les recommandations de l’International Council on Mining Metals, le lobby mondial du secteur, qui est arrivé avec une nouvelle « orientation » après l’accident de Samarco.

Il est quand même curieux que Vale annonce une nouvelle politique de sécurité trois jours après la nouvelle catastrophe. Cela s’inscrit dans la communication de crise de l’entreprise. En visite à Brumadinho, Fabio Schvartsman, directeur général de Vale, a fait savoir que l’entreprise venait de mettre sur pied un groupe de travail. Ce dernier allait publier dans quelques jours un plan visant à augmenter la sécurité au niveau des barrages de l’entreprise et même introduire ainsi une norme mondiale. L’entreprise entend donc s’autoréguler.

Que fait le gouvernement pro-entreprises ?

Il est difficile de présumer de la réaction des autorités brésiliennes. La justice a saisi ce weekend des propriétés de Vale dans le Minas Gerais pour un montant de 1,33 milliard à titre de garantie pour d’éventuels dédommagements. Un avocat de Vale a déclaré que l’entreprise demandait la levée de cette mesure « parce qu’elle n’est en rien responsable de la catastrophe ». Mais Vale a fait taire l’avocat. L’institut pour l’environnement Ibama a infligé des dizaines de millions de reais d’amende notamment parce que Vale avait enfreint les règles relatives au déversement de déchets dans les cours d’eau.

Le hic, c’est Bolsonaro

Que fait le pouvoir central ? La question est essentielle. Cela fait un mois que le Brésil a un nouveau président. L’ultraconservateur Jair Bolsonaro a été porté au pouvoir par la grande industrie et règle la politique de son gouvernement sur les intérêts des mégaentreprises privées. Peu après la catastrophe, Bolsonaro a demandé l’aide d’Israël qui a envoyé des militaires sur place pour participer à la recherche des victimes. Mais d’après des pompiers brésiliens, ils ne servent à rien.

Porté au pouvoir par la grande industrie, Bolsonaro règle sa politique sur les mégaentreprises privées avec le soutien de son gouvernement pro-entreprises.

Dans un premier temps, Jair Bolsonaro ne voulait pas renommer de ministre de l’Environnement. Il a finalement maintenu le portefeuille et l’a confié à Ricardo Salles. En janvier, celui-ci a déclaré qu’il voulait une procédure qui permette aux entreprises de constater elles-mêmes qu’elles opèrent de manière « conforme à la loi ». Une déclaration caractéristique du laxisme dont le gouvernement entend faire preuve à l’égard du secteur privé. Bolsonaro lui-même veut généraliser les traitements administratifs rapides pour les mégaprojets, afin qu’ils obtiennent leurs permis sans trop de paperasserie.

Trois jours après la catastrophe, le général Hamilton Mourao, nouveau vice-président brésilien, a fait une déclaration musclée selon laquelle il fallait sanctionner les managers de Vale si leur faute était avérée. Cette déclaration peut cacher un motif tactique. Le général Mourao profite peut-être de la catastrophe de Brumadinho pour atteindre un objectif fondamental du gouvernement Bolsonaro : privatiser les entreprises publiques. Dans les années 1990, la plupart des entreprises publiques ont été vendues à des investisseurs privés bien en deçà de leur valeur réelle. Vale, créée par l’État, est également touchée par le programme de privatisation. Mais l’État en reste jusqu’à présent l’actionnaire majoritaire, fut-ce indirectement et via un fonds de pension. Il se peut, mais cela reste à voir, que le gouvernement avance la thèse selon laquelle la vente de Vale est la seule solution si l’on veut que l’entreprise bénéficie d’une excellente gestion.

L’expansion de Vale vers Carajas est tout à fait dans la ligne du « modèle » de croissance ultralibéral du gouvernement Bolsonaro. Une expansion au détriment de groupes locaux entiers et de la nature ne gêne pas le gouvernement, bien au contraire. Il s’active à couper les ailes de la société civile et tient un discours raciste à l’égard des communautés indigènes qui font obstacle aux mégaprojets et à l’anéantissement de la nature. Le souci de la nature, Bolsonaro l’a déjà dit, est une « déviance gauchiste ». Dans un tel contexte politique, il est extrêmement douteux que la question de l’industrie minière finisse par être abordée résolument d’en haut, et encore moins que justice soit jamais rendue aux gens de Brumadinho.

Traduit du néerlandais par Geneviève Prumont

 


Cet article a paru en néerlandais dans MO en janvier 2019.

 


Pour citer cet article :

Raf Custers, "La nouvelle catastrophe minière de Brumadinho et son lourd tribut" février 2019, texte disponible à l’adresse :
[http://www.gresea.be/La-nouvelle-catastrophe-miniere-de-Brumadinho-et-son-lourd-tribut]