Jeudi 22 septembre, la justice argentine confirme la sortie illégale de 805,4 millions d’euros du pays entre 2001 et 2008, à travers des filiales que la banque française BNP Paribas possède dans des paradis fiscaux. Dix-neuf personnes sont dès lors mises en examen par la justice : cinq cadres français et quatorze membres de la filiale argentine. Ces derniers sont accusés d’avoir fait fonctionner un bureau clandestin destiné au blanchiment d’argent en réalisant des transferts financiers vers des paradis fiscaux ou des opérations de change illégales.
Source photo : Laurent Grassin, Siège de BNP Paribas, Flickr 27 janvier 2015 CC BY-SA 2.0
BNP Paribas s’est installée en Argentine durant les années de dictature militaire (entre 1976 et 1983) [1]. Déjà en 1995, la justice détecte les premières manœuvres concernant des fuites des capitaux. Mais, à l’époque, l’enquête n’aboutit pas. En 2007, alors qu’ils enquêtent sur une affaire de corruption, de falsification de médicaments et de détournement d’argent public, les enquêteurs tombent sur un document indiquant l’existence « d’un compte en dehors du système » chez BNP Paribas Genève. La personne de contact en Argentine est un employé d’un bureau de BNP Paribas de la City de Buenos Aires. Une perquisition est alors menée dans ce bureau qui fonctionnait depuis janvier 2001 [2], sans autorisation de la Banque Centrale de la République argentine (BCRA). Le bureau était placé dans l’orbite de la branche banque privée de la BNP mais il ne figurait pas dans l’organigramme officiel communiqué par la banque à la BCRA. Ce qui laisse peu de doutes sur l’implication de BNP dans ces opérations frauduleuses. Selon le juge en charge de l’affaire « l’oubli de la BNP résulte d’une décision délibérée des autorités de la banque de soustraire les activités de ce bureau au contrôle de la BCR ». La fermeture de ce bureau par BNP, quelques mois après la perquisition, ne fait que renforcer ces suspicions [3].
Entre 2001 et 2007, 805,4 millions d’euros ont transité par ce bureau clandestin : 416 millions d’euros ont été placés dans les filiales luxembourgeoises de la BNP et 334 millions en Suisse. Le système mis en œuvre pour sortir cet argent du pays consiste, tout d’abord, dans l’ouverture de comptes bancaires dans d’autres filiales de la BNP Paribas sous de faux noms ou des identifications chiffrées. Ensuite, l’argent non déclaré au fisc est placé dans des sociétés, des fondations ou des trusts domiciliés dans des paradis fiscaux [4].
La justice argentine doit encore déterminer la responsabilité du siège central de la BNP. Des échanges de mails entre le directeur du bureau fantôme à Buenos Aires et des employés de la branche Banque privée internationale de BNP Paribas, montrent que Paris était informé de l’origine suspecte de certains placements. En outre, selon les témoignages d’un employé, toutes les opérations bancaires réalisées depuis l’Argentine étaient suivies et enregistrées en France.
Le procès de BNP Paribas s’ajoute à d’autres scandales qui ont touché l’Argentine ces dernières années et qui mettent en lumière le rôle joué par les banques étrangères dans l’évasion fiscale. On estime que 356 milliards d’euros non déclarés seraient sortis d’Argentine depuis 1976. Dans le cas du procès BNP, la justice a seulement pu prouver le blanchiment de près d’un milliard d’euros [5]. Mais il faut ajouter à celui-ci d’autres procès comme celui de HSBC, UBS et de JP Morgan.
Lors de l’enquête concernant la banque britannique HSBC, la justice a détecté l’existence de 4.040 comptes de clients argentins ouverts à Genève, parmi lesquels seulement 125 avaient été déclarés au fisc argentin. Quant au procès concernant JP Morgan, l’ancien responsable de la banque pour l’Amérique latine a révélé la manière dont la banque organisait l’évasion et le blanchiment d’argent dans une plateforme globale pour des clients « premium », ayant des comptes qui dépassaient les 25 millions de dollars. De grands oligopoles sont mêlés à cette affaire dont, le plus éloquent est celui du monopole de médias Clarín [6], qui contrôle les chaînes télévisées et les journaux les plus importants du pays [7].
Suite à ces scandales, une ancienne responsable d’UBS (premier groupe bancaire suisse) révèle à des membres de la commission bicamérale du Congrès argentin, qui enquêtent sur l’ouverture de comptes en Suisse par HSBC, l’existence d’un réseau d’intermédiaires d’UBS en Amérique latine. Ce réseau pratiquait des activités de blanchiment d’argent et la fuite de capitaux, selon une méthode similaire à celle employée par HSBC. UBS ne possédait pas de succursale en Argentine. Cependant, la banque disposait d’un réseau d’intermédiaires, n’ayant apparemment aucun rapport avec la banque, qui arrivait au pays et assistait à des évènements pour y dénicher des clients argentins. Le bureau argentin dédié à ces activités se trouvait à Genève. Le nombre de comptes argentins ouverts par UBS était similaire à celui dévoilé pour HSBC [8].
Enfin, comme l’explique le procureur Carlos Gonella (ancien responsable du parquet financier argentin), lors d’une interview, « le cas BNP en est un parmi beaucoup d’autres. Il y a aussi HSBC, UBS et JP Morgan. Ils ont tous la même logique et opèrent de la même manière. La rentabilité maximale de ces banques ne provient pas des dépôts bancaires ou des intérêts des crédits, mais des commissions dues aux transferts illicites qu’elles organisent (…) On ne parviendra pas à en finir avec ce phénomène. Ces pratiques sont consubstantielles au capitalisme. Ce que nous pouvons faire c’est réguler, contrôler et atténuer les conséquences négatives de ces pratiques » [9].
Pour citer cet article :
Natalia Hirtz, "BNP Paribas. Fuite des capitaux et blanchiment d’argent en Argentine", Gresea, octobre 2016, texte disponible à l’adresse : http://www.gresea.be/spip.php?article1552