En 2008, la Banque européenne d’investissement (BEI) fêtait ses 50 ans d’existence dans la plus grande discrétion. La discrétion : une constante de la part de l’institution bancaire européenne.
Discrétion dans les médias, discrétion pour ″protéger les intérêts commerciaux de ses clients, ce qui peut impliquer qu’elle ne divulgue pas certaines informations confidentielles relatives à des projets″, discrétion dans l’information sur la mise en œuvre de sa politique. Une discrétion tellement grande que d’aucuns parlent d’opacité.
La BEI a récemment été mise sur le devant de la scène par les chefs d’État au moment de l’annonce d’un plan de relance européen. On a appris alors qu’elle compte procéder à une augmentation de capital de 10 milliards d’euros, ce afin d’en emprunter 60 et de financer les investissements nécessaires… à la reprise de la ″sacro-sainte″ croissance.
Mais discrétion règne sur la manière dont ces 10 milliards d’euros vont se transformer en 60 quand les statuts (article 16.5) indiquent que l’encours total des prêts ne peut dépasser deux fois et demie le montant du capital de la banque, et puis comment, avec moins de 0,5% du PIB européen, tout cela va contribuer à relancer la croissance sur le continent. La question a été soulevée, mais elle n’a pas fait l’objet d’attention de la part du président de la BEI venu répondre (partiellement) aux interrogations des eurodéputés en février 2013.
Discrétion voire, donc, opacité. C’est l’impossibilité de connaitre les bénéficiaires finaux des prêts accordés à des banques commerciales ou à des fonds d’investissement, de savoir quelle société transnationale du Nord sera promotrice de tel ou tel projet dans le Sud, de connaître le plan environnemental pour un projet minier, ou encore la difficulté pour obtenir des informations sur les impacts des opérations financées pour les populations locales.
″Transparence″ n’est pas le qualificatif le plus seyant pour caractériser la Banque européenne d’investissement.
Mais peut-être celui de cohérence lui ira-t-il mieux ?
Cohérence d’abord dans sa conception d’une politique industrielle européenne : 75 millions prêtés pour les activités de recherche, d’ingénierie et d’innovation dans les centres de Gand et Liège à un ″sidérurgiste de premier plan″ - Mittal pour ne pas le nommer. 250 millions au total pour la ″R&D [1]″ dans cinq pays européens en 2010, 130 millions la même année pour la modernisation de trois sites au Brésil.
Ford, une autre entreprise qui licencie massivement a quant à elle reçu 300 millions depuis 2006 pour moderniser ses installations en Turquie…
Cohérence toujours avec les objectifs européens (déjà peu ambitieux à la base) en matière de changement climatique quand la BEI finance des centrales à charbon en Slovénie, Roumanie et en Allemagne qui serviront encore pour plusieurs dizaines d’années.
Cohérence encore avec la politique en matière de développement de l’Union européenne quand l’essentiel des prêts pour l’industrie va à des transnationales minières, les prêts pour les services à des grands groupes hôteliers et ceux pour l’éducation et la santé sont étrangement absents.
Cohérence (toujours et encore) quand la BEI s’interdit de réaliser des opérations avec des centres financiers offshore, mais déclare, quelques lignes plus loin, que cet interdit n’est pas si gênant, car il peut être levé au motif que l’opération permettra d’éviter une double imposition ou de prévenir d’éventuelles charges qui pourraient ″rendre la structure non viable sur le plan économique″.
Cohérence et transparence, deux dimensions dont il serait bon que les institutions démocratiques nationales et européennes les prennent un peu plus en compte.
Sommaire
Gresea échos n°73 - La Banque européenne d’investissement (BEI), "le fond de la pirogue ne dit pas ce qu’il y a au fond de l’eau". Un dossier de 20 pages disponible au Gresea au prix de 2 euros.
Numéro réalisé par Romain Gelin
- Edito/Le fond de la pirogue ne dit pas ce qu’il y a au fond de l’eau
- La BEI, qu’est-ce que c’est ?
- Les habits neufs de la coopération au développement
- L’action de la BEI dans les pays ACP
- L’impératif environnemental
- Ambatovy, un développement made in BEI
- A lire
Numéro consultable en ligne : http://issuu.com/gresea/docs/ge73compresse/0
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