ArcelorMittal est le plus grand. Facile à retenir. Mais le groupe n’est plus le plus grand sidérurgiste. Il se présente maintenant comme "la plus grande entreprise minière et d’acier intégrée". Depuis 2011 les mines de charbon et de fer constituent un segment à part au sein d’ArcelorMittal. Et, ce ’Segment Mining’ est le plus rentable pour l’entreprise. A cause de cette segmentation, la rentabilité de l’acier européen est réduite de moitié. Mining Mittal, ça promet !
Cette analyse a été publiée dans le n°69 (mars 2012) du Gresea échos consacré à la thématique de la sidérurgie en Europe.
Désintégration verticale ?
ArcelorMittal (AM) suit une stratégie d’intégration verticale, le groupe veut en d’autres mots ’contrôler l’ensemble de la chaîne de production de la matière première jusqu’au produit manufacturé’ [1]. AM investit donc de manière agressive dans sa capacité de production de fer et de charbon, les matières premières pour la fonte d’acier dans les hauts fourneaux. Objectif avoué : devenir moins dépendant des achats de matières premières sur le marché international. En 2009, le groupe extrayait 47% du fer dont il avait besoin de ses propres mines. Mais ce taux "d’autosuffisance" devrait dépasser les 80% dans quelques années. En septembre 2011, Peter Kukielski, qui dirige le Segment Mining d’ArcelorMittal, faisait même entendre qu’en 2015 jusqu’à 86% du fer sera produit par les mines du groupe, le reste étant acquis via des ’contrats stratégiques’ (entre autres avec Kumba en Afrique du Sud) [2].
AM acquiert-il des mines uniquement pour assurer son existence ? Vraisemblablement, l’intégration verticale rencontre d’autres objectifs. Ainsi, ArcelorMittal tout comme d’autres grands consommateurs de fer a constaté que le club des producteurs se rétrécit. Un oligopole (constitué par BHP Billiton, Rio Tinto et Vale), extrêmement puissant, domine aujourd’hui le secteur. Ce trio a pu casser le système des contrats d’achats de fer de longue durée, pour imposer des contrats trimestriels [3]. Cette rupture a eu pour conséquence l’envolée des prix du fer et conduit, en outre, à une forte volatilité de ces derniers. Dans ce contexte, ArcelorMittal a décidé, fort de son pouvoir financier, de se soustraire à la mainmise écrasante de l’oligopole en acquérant des mines.
L’auto-approvisionnement n’est pas le seul objectif d’ArcelorMittal. Il veut aussi gagner davantage sur la vente des minerais. C’est du moins ce qu’on comprend en lisant Michel Wurth, membre du conseil de gestion, qui a révélé qu’ArcelorMittal "veut capturer de la valeur ajoutée dans la distribution [de minerais], un élément clé dans la stratégie de croissance" [4].
Pour ce faire, début 2011, ArcelorMittal a transformé sa structure opérationnelle. Il a extrait ses mines des divisions sidérurgiques et les a rassemblées dans le nouveau "Segment Mining". A peine formé, celui-ci se distingue déjà dans les résultats financiers globaux d’ArcelorMittal par sa haute rentabilité. Ce segment compte seulement pour 5% du chiffre d’affaires du groupe, mais apporte près de 24% du profit brut (pour être précis : 23,5% de l’EBITDA) au 1er trimestre 2011 [5]. ArcelorMittal promet par ailleurs aux investisseurs que ce segment restera extrêmement lucratif. Une projection affirme par exemple que si le prix du fer diminue de 35 à 40%, le profit brut du Mining se maintiendrait en 2015 au niveau actuel [6]. L’intégration verticale Version AM vise donc aussi à mettre en évidence la rentabilité d’un segment particulier pour les investisseurs potentiels. La bourse apprécie…
ArcelorMittal avait 29 mines en portefeuille en 2010, fer et charbon confondus. Douze sites se trouvent au Kazakhstan, 4 de fer et 8 de charbon. En Europe, hormis la Russie, le groupe possède des mines en Bosnie et en Ukraine. Plusieurs projets nouveaux ou d’expansion sont en cours. Depuis 2010, AM a acheté 70% de l’important gisement de fer de Baffinland au Canada. L’inconvénient de Baffin ? Il est situé au bord de l’Arctique où les conditions climatiques ne sont pas très accueillantes. Par contre, Baffin est plus proche du port de Rotterdam que le Brésil, un avantage considérable lorsqu’il s’agira de vendre son produit au marché européen [7].
Pot de fer contre pot de terre
D’ici 2015, ArcelorMittal atteindra une ’production totale’ de fer de 100 millions de tonnes, ce qui équivaut au doublement de la production actuelle des mines du groupe 54,1 millions de tonnes de fer en 2011 [8]. Pour combler cet écart considérable, AM attend beaucoup de la mine de fer de Tokadeh à Yekepa, au Libéria (Afrique de l’Ouest). Cette mine, avec celles au Mexique, portent actuellement la stratégie de croissance forcée de l’activité minière voulue par ArcelorMittal.
Croissance forcée ? Yekepa, dont AM possède 70%, a produit son premier kilo de fer en octobre 2011. Pourtant, cette année, le site devrait produire 4 millions de tonnes de fer pour atteindre une production annuelle de 15 millions de tonnes de concentrés de fer en 2015.
ArcelorMittal et le Libéria ont une histoire commune contrastée. En 2005, avant la fusion-absorption d’Arcelor, Mittal Steel SA acquiert en concession le site de Yekepa. Cette mine, ouverte dans les années ’50 par l’entreprise Lamco (une alliance de capitaux américain, suédois et libérien), est à l’abandon depuis les années ’80. La concession est accordée à Mittal par un gouvernement de Transition issu d’un processus de paix après la guerre civile qui a ravagé le Libéria. Les termes de l’accord entre Mittal et le Libéria sont conclus dans un Mineral Development Agreement (MDA). Ce document accorde des avantages inouïs à Mittal : exemption de taxes pendant 5 ans (période pouvant être prolongée), gestion totale du chemin de fer de Yekepa au port de Buchanan et gestion du port de Buchanan. Le Libéria pourra faire usage du chemin de fer et du port à condition que Mittal y consente et qu’il paie un droit déterminé par le gestionnaire. Ce n’est pas tout. Début 2006, Ellen Johnson Sirleaf remporte les élections présidentielles au détriment du footballeur George Weah. Elle découvre alors avec stupéfaction les termes du MDA dont profite Mittal Steel SA. Ellen Sirleaf est experte en finances. Pendant la guerre elle s’est réfugiée aux Etats-Unis où elle a travaillé pour la CitiBank et la Banque mondiale. La banquière est scandalisée par le contrat passé par le Libéria avec Mittal. Une des clauses les plus dérangeantes est celle des royalties. En effet, Mittal ne paiera à l’Etat libérien que 4,5% de ce que la vente du fer de Yekepa lui rapportera. Peu importe l’indignation provoquée par un tel contrat léonin, Mittal est de toute façon maître du tarif. Le fer libérien approvisionne surtout les aciéries du groupe, ArcelorMittal pourra donc, par le jeu des prix de transfert, afficher des tarifs en dessous de la valeur de marché et réduire par là les royalties dues au Libéria.
Le Libéria perd donc un gisement important, le contrôle d’un chemin de fer et d’un port stratégiques et n’y gagne quasi rien. Le nouveau gouvernement libérien de madame Sirleaf, assisté par des avocats spécialisés américains, entame alors des négociations avec Mittal. Elles seront conclues en décembre 2006 et de manière satisfaisante pour le Libéria. Mittal devra désormais fixer les royalties au Libéria à partir du prix du marché (connu) du fer et l’exemption fiscale de cinq ans est annulée. Le Libéria n’obtient cependant pas entièrement gain de cause. Tout d’abord, le pays n’est pas arrivé à contraindre Mittal à rendre ses structures de facturation plus transparentes. Le sidérurgiste maintient un système de rapatriement des bénéfices via des filiales établies à Chypre et à Zug, en Suisse. Mittal maintient aussi la clause dite de stabilisation qui défend ses investissements au Libéria contre des mesures éventuelles du gouvernement. De son côté, le gouvernement libérien n’a pas voulu aller jusqu’au bout, ’pour ne pas mettre en péril les relations avec les investisseurs’ [9]. ArcelorMittal, créé dans le courant de 2006 par un rachat hostile d’Arcelor par Mittal, se montre content du contrat renégocié dont il hérite. "Nous avons aidé le Libéria à redémarrer son économie après 14 ans de conflit civil", écrit le groupe, "et notre projet est une opportunité pour montrer que des pratiques d’entreprise responsables et transparentes portent ses fruits pour notre compagnie et le pays hôte" [10]. ArcelorMittal n’est pas très "touché" par la fermeté du Libéria.
La pénétration d’ArcelorMittal en Afrique de l’Ouest ne s’arrête pas au Libéria. Yekepa n’est pas la seule mine entre le Libéria et la Guinée. Plus vers le Nord, de grandes sociétés minières comme BHP Billiton et Newmont Mining développent des projets miniers. ArcelorMittal a mené des pourparlers avec BHP Billiton en vue d’une fusion de leurs unités de production et de l’utilisation du chemin de fer vers Buchanan par BHP Billiton.
La question est de savoir si cette frénésie extractive contribuera réellement au développement industriel du Libéria et de la Guinée. Mais, ArcelorMittal ne vise que les exportations à rythme accéléré. Il n’est pas question à l’heure actuelle de développer une industrie transformatrice dans ces pays. Lorsque Yekepa tournera à vitesse de croisière, chaque année 600 trains chargés de minerais de fer feront le trajet jusqu’au port de Buchanan où, chaque mois, six navires chargeront 60.000 tonnes de minerais chacun [11]. Pour faciliter ces transports, de nouvelles infrastructures se mettront en place dans le cadre de programmes appuyés, entre autres, par la Banque mondiale. Mais il est fort probable que ce seront surtout les grandes entreprises minières qui en bénéficieront.
Restructurations "minières" ?
Revenons à la réorganisation structurelle du groupe ArcelorMittal. L’activité minière, jusque-là dispersée dans plusieurs divisions, est aujourd’hui rassemblée dans le seul "Segment Mining". Cela n’est pas sans conséquences sur les résultats des autres segments. La division la plus touchée est celle du Flat Carbon America (FCA), amputée de 5 mines de fer et 2 de charbon. Son profit brut du 1er trimestre 2011 est presque divisé par deux (-44%) et dans un rapport pour le comité d’entreprise européen on peut lire que "sur l’ensemble de l’année 2010, FCA aurait été privé de 1,4 milliard de dollars lié aux mines sur un EBITDA (profit brut) total de 2,96 milliards de dollars (47%)’. De la même manière le profit brut d’AACIS (AsieAfriqueCIS) a été réduit de 28% au premier trimestre de 2011 et celui de LCAmérique (Long Carbon), de 6%. Ces profits re-apparaissent dans le résultat du Segment Mining.
En outre, cette réorganisation "boursière" a été accompagnée d’un changement de la tarification des matières premières. Selon ArcelorMittal : "Toutes les matières premières utilisées provenant des mines d’ArcelorMittal, qui pourraient être vendues en dehors de la Société sont maintenant comptabilisées au prix du marché. La production provenant de « mines captives » (avec des restrictions liées à la logistique ou à la qualité) continue d’être comptabilisée aux aciéries au prix de revient majoré" [12]. Ce changement est en partie responsable des résultats moindres des divisions-acier, et surtout le Flat Carbon America et la division AsieAfriqueCIS, puisque leur facture pour les matières premières est devenue plus lourde. Les tarifs miniers intragroupe peuvent avoir des conséquences sérieuses pour les autres divisions. Les restructurations présentes et à venir dans la sidérurgie par exemple devraient donc être également analysées à la lumière de ces échanges entre les divisions d’ArcelorMittal.
Enfin, ArcelorMittal veut figurer à côté de l’oligopole des grands vendeurs de fer et de charbon. Au premier trimestre de 2011, 11% de ses livraisons de fer étaient destinées à des clients extérieurs [13]. Mais le groupe veut faire ’mieux’. Cette année il examine la faisabilité de cet objectif commercial. Ainsi, la croissance de la production envisagée pour les mines au Canada (plus 7 millions de tonnes en 2012, plus 15 millions de tonnes en 2013) devrait être vendue à des clients externes qui se trouveraient au Proche-Orient et dans le Sud-Est de l’Asie [14]. Cette orientation risque d’éloigner encore un peu plus ArcelorMittal de son profil de sidérurgiste.