Quelque 90 organisations (dont le Gresea) ont apporté leur soutien à la déclaration des anciens dirigeants de la Cnuced. Elles se sont déclarés terrifiées et consternées par le projet de retirer, lors de la Cnuced XIII (21-26 avril 2012), de son mandat les éléments qui sont au cœur de sa mission, que sont la recherche et le conseil concernant les relations des pays en développement avec l’économie internationale, en particulier dans les domaines du commerce et de la finance. On trouvera ci-dessous le texte de cette déclaration.
Depuis sa création il y a presque 50 ans, et à l’instigation des pays en voie de développement, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) a toujours été une source d’irritation pour les tenants de la théorie économique dominante. Ses analyses des problèmes macro-économiques globaux ont régulièrement donné une perspective différente de celle de la Banque Mondiale et du FMI dominés par les Occidentaux.
Mais, aujourd’hui, on tente de réduire cette voix au silence. Cela serait compréhensible si l’analyse Cnucedienne faisait double emploi avec celles d’autres organisations, mais au contraire ! Quelques pays voudraient donc supprimer tout désaccord avec ce qui tient bien d’orthodoxie économique.
Aucune organisation multilatérale n’est parfaite. Mais les analyses de la Cnuced et ses avertissements concernant les évolutions globales résistent certainement à la comparaison avec celles d’autres organisations. Ainsi que les détracteurs l’ont admis de temps à autre, la Cnuced a souvent eu une longueur d’avance en signalent l’emprise croissante de la finance sur l’économie réelle. L’organisation a prévu la crise mexicaine de 1995. Elle a anticipé la crise asiatique de 1997. Elle a régulièrement sonné l’alarme quant aux dangers de la dérégulation excessive des marches financiers. Elle a souligné les risques qu’entrainerait une libéralisation trop rapide et non-réciproque des échanges commerciaux. Les économistes de la Cnuced n’ont jamais subi la « psychologie du déni » qui frappait d’autres organisations.
Pourquoi le point de vue de la Cnuced est-il donc malvenu ? Le fait que la Cnuced n’ait aucune responsabilité pour la gestion de l’économie mondiale et n’ait pas de ressources propres à distribuer confère une neutralité libre à ses analyses. Aucune organisation n’a prévu la crise actuelle et aucune organisation ne possède de bâton magique pour résoudre les difficultés actuelles, mais il est parfaitement clair que les origines de cette crise se trouvent dans les pays qui maintenant cherchent à étouffer le débat sur les politiques économiques globales, en dépit de leurs échecs évidents dans ce domaine.
Grâce à la crise, nous avons maintenant une meilleure explication des interrelations existant entre l’économie réelle et le monde de la finance. Ces explications sont maintenant beaucoup plus proches de ce que la Cnuced affirme depuis trente ans au sujet des dangers d’une mondialisation dominée par la finance. C’est précisément dans son analyse de ces relations que la Cnuced apporte une valeur ajoutée à la compréhension de l’impact du fonctionnement l’économie mondiale sur la majorité de la population du monde, celle qui habite les pays en voie de développement.
Pourquoi maintenant ? La Cnuced va se réunir pour sa prochaine conférence quadriennale à Doha, Qatar, le 21 avril. Les conférences de la Cnuced n’ont maintenant rien à voir avec les précédentes ; elles sont simplement une occasion de s’entendre sur le programme de travail du secrétariat pour les quatre années à venir. Mais c’est exactement ceci qui constitue l’enjeu.
A Genève, les pays en voie de développement sont obligés, encore une fois, de résister à la forte pression exercée par les pays de l’OCDE et de défendre l’organisation à laquelle ils sont liés de manière "ombilicale". Ils ne rencontrent pas le succès nécessaire, en dépit du soutien des BRICS lors de leur récent sommet de New Delhi. Les pays développés ont donc sauté sur l’occasion d’étouffer la capacité de la Cnuced à mener des réflexions indépendantes. Il ne s’agit pas de faire des économies ou d’éliminer des double-emplois, comme certains le prétendent. Son budget pour la recherche reste minime. Or aujourd’hui plus que jamais il faut une diversité d’opinions en matière de politique économique afin que le monde puisse trouver une sortie durable de la crise actuelle. Non, c’est plutôt que s’il n’est pas possible de tuer le message, alors il faut tuer le messager.
Nous sommes tous d’anciens hauts fonctionnaires de la Cnuced. Individuellement, nous n’étions pas forcément d’accord avec ce que disait la Cnuced sur un sujet ou un autre. Nous n’avons aucun intérêt personnel dans cette affaire, mais nous tous croyons avec ferveur à la nécessité de sauvegarder une capacité indépendante de recherche qui contribue à alimenter un débat inter-gouvernemental sur les effets de l’économie mondiale sur les pays en voie de développement.
En ce moment, alors qu’enfin le pluralisme se discute, avec raison, dans le choix du Président de la Banque Mondiale, il est ironique que les pays de l’OCDE veuillent supprimer la liberté d’expression dans une autre organisation multilatérale.
Si ceux qui sont fiers d’avoir travaillé pour la Cnuced ne se manifestent pas maintenant, qui d’autre le fera ?[!sommaire]