Publiée dans le Gresea Échos n°69 (mars 2012) l’analyse qui suit sera à l’origine d’une interview de Laurence Van Ruymbeke dans le VIF du 16 avril 2012, de Dominique Simonet dans La Libre du 3 mai 2012 et encore, au JT de RTL-TVI. Le dossier publié par le Gresea sous le titre
Titre
Morceau de papier qui représente un avoir, soit de propriété (actions), soit de créance à long terme (obligations) ; le titre est échangeable sur un marché financier, comme une Bourse, à un cours boursier déterminé par l’offre et la demande ; il donne droit à un revenu (dividende ou intérêt).
(en anglais : financial security)
"L’acier dans la vieille Europe, Liège, Florange, Madrid : on tourne la page ?" venait sans conteste à point nommé, tant en raison de la fermeture définitive de Carsid (Charleroi) que, dans l’ensemble du monde du travail, du gâchis provoqué par l’absence de politique industrielle européenne.
Au moment d’écrire ces lignes, la procédure Renault engagée après la fermeture de la phase à chaud liégeoise est toujours en cours. Il est trop tôt pour savoir de quoi sera fait l’avenir du bassin sidérurgique liégeois et celui de ses travailleurs. Une chose est certaine cependant, le schéma industriel proposé par ArcelorMittal n’est pas viable.
Dunkerque – Liège, né pour mourir
Aujourd’hui, si ArcelorMittal a fermé les deux hauts fourneaux liégeois, le groupe conserve la cokerie et les laminoirs. Le schéma industriel proposé par Mittal est le suivant. Le site français de Dunkerque approvisionne les laminoirs liégeois en brames [1]. L’acier laminé [2] est ensuite envoyé vers les usines de la phase à froid liégeoise.
Alors que l’on a tant vanté la nécessité de sites sidérurgiques intégrés, il ne faut pas être un spécialiste pour comprendre que cette chaîne d’approvisionnement est trop longue et trop coûteuse. De plus, les hauts-fourneaux de Dunkerque fournissent actuellement 6 usines. Le site fonctionne à près de 106% de ses capacités. Un rythme intenable.
Dès le mois d’octobre 2011, les organisations syndicales à Liège faisaient déjà état de problèmes dans l’approvisionnement de la phase à froid [3].
En l’état, la même menace de fermeture pèse à moyen terme sur la phase à froid liégeoise. Pour les organisations syndicales, il n’y a donc plus de perspectives d’avenir avec ArcelorMittal.
Une sidérurgie privée d’amont et d’aval
ArcelorMittal n’est pas vendeur. La politique de l’offre menée par le groupe vise à diminuer les quantités d’acier produites en Europe afin de maintenir les prix au niveau souhaité. Dans cette optique et au vu de la conjoncture
Conjoncture
Période de temps économique relativement courte (quelques mois). La conjoncture s’oppose à la structure qui dure plusieurs années. Le conjoncturel est volatil, le structurel fondamental.
(en anglais : current trend)
actuelle sur le marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
de l’acier européen, la production des sites maritimes suffit à ArcelorMittal. Les fermetures d’outils continentaux à Liège, Madrid ou Florange par exemple et les investissements orientés principalement vers le bord de mer tendent à confirmer cette stratégie [4].
En outre, en retenant l’hypothèse d’une cession par ArcelorMittal des hauts-fourneaux liégeois, une autre difficulté apparaît. Le sidérurgiste a d’une part conservé l’amont de la chaîne de production, la cokerie qui fonctionne partiellement à l’heure actuelle. D’autre part, ArcelorMittal a transféré l’aval de cette chaîne, le service
Service
Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
client, vers le site de Sidmar à Gand.
Cette prise d’otage pourrait néanmoins perdre sa justification dans un futur proche. Si ArcelorMittal a, actuellement, toujours besoin du coke liégeois pour satisfaire ses besoins européens, le sursis accordé à la cokerie liégeoise pourrait prendre fin dès 2013. En effet, ArcelorMittal a acquis une cokerie à Brême en partenariat avec Hoogovens [5]. Cette joint-venture prend fin en 2013 et ArcelorMittal récupéra alors la totalité des capacités de production du site allemand. La cokerie liégeoise perdra son utilité actuelle [6].
Besoin de public…
Très souvent pointée du doigt pour ses coûts de production trop élevés ou la combativité de ses travailleurs, la sidérurgie liégeoise peut-elle encore prétendre à un avenir en dehors du groupe ArcelorMittal ?
Tout d’abord, si la flexibilité exigée par ArcelorMittal et le manque d’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
dans certains outils a inévitablement grevé la "compétitivité" du site par rapport à d’autres entités du groupe, paradoxalement, ces facteurs ont contribué à renforcer le savoir-faire des sidérurgistes liégeois. A force de coller des rustines, l’ouvrier s’est fait ingénieur…
Sans être un site maritime, Liège bénéficie de certains avantages de par sa position géographique au cœur de l’Europe de l’Ouest. Réseau autoroutier, liens fluviaux vers les ports d’Anvers et de Rotterdam, aéroport de Bierset, autant d’éléments à porter au crédit de Cockerill.
En faisant abstraction de la seule logique financière et de quelques poncifs dont certains cabinets d’étude ont fait leur fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
de commerce, il semble donc que la sidérurgie liégeoise peut encore avoir un avenir.
Dans ce cadre, une intervention des pouvoirs publics wallons, belges et surtout européens sera plus que probablement nécessaire. D’un point de vue juridique tout d’abord, eux seuls peuvent en dernier recours contraindre ArcelorMittal à céder les outils mis à l’arrêt. D’un point de vue économique, le site liégeois comme d’autres en Europe de l’Ouest ne survivra que s’il est intégré. Or, actuellement, la cokerie à Liège n’a pas la capacité d’approvisionner deux hauts-fourneaux. Il faudra donc soit investir dans de nouvelles capacités de production par l’entremise d’une aciérie électrique [7] par exemple, soit ne conserver qu’un seul haut-fourneau à Liège.
Enfin, il faudra également recréer un lien direct avec les clients de l’automobile ou de la construction pour qu’un projet alternatif à celui proposé par ArcelorMittal puisse être viable. On pourrait également utiliser le levier des commandes publiques (infrastructures routières, bâtiments scolaires, etc.) mais c’est sans doute s’exposer aux foudres de la Commission européenne.
La procédure dite "Renault"
La législation sur les licenciements collectifs comporte deux volets principaux :
– une procédure de consultation et de concertation des travailleurs, couplée à une notification aux services de l’emploi. Ce volet, issu de directives européennes, a été renforcé suite aux remous provoqués en 1997 par la fermeture de l’usine Renault, à Vilvorde. Il est actuellement concrétisé par une loi de 1998 (couramment appelée "loi Renault"), qui complète le dispositif antérieur contenu dans une convention collective de travail (CCT) du Conseil national du travail (CNT) ;– une indemnité spécifique.
Dans le cadre du Pacte de solidarité entre les générations (2005), le gouvernement y a ajouté un troisième volet, centré sur la reconversion des travailleurs.
Des dispositions spécifiques s’appliquent lorsque le licenciement collectif fait suite à la fermeture de l’entreprise. Dans ce cas, s’ajoute en outre un quatrième volet : la garantie de paiement des sommes dues aux travailleurs par un organisme public, le Fonds de fermeture des entreprises.
(Extrait de : http://www.csc-en-ligne.be/droit_social/licenciement/licenciement.asp )
La question est de savoir si, après avoir joué l’ambulance pour le secteur banquier, les pouvoirs publics ont encore les moyens budgétaires de venir en aide au secteur sidérurgique. Il est dans ce contexte peu probable que la Région wallonne puisse consentir seule ces investissements. En toile de fond, c’est donc, pour terminer comme nous avons commencé ce numéro, la politique industrielle de l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
qui se trouve aujourd’hui, avec la sidérurgie, à la croisée des chemins.
Pour lire celle parue dans La Libre :
Pour voir et écouter le passage au JT de RTL TV
Pour commander le Gresea Échos et son dossier "sidérurgie"
http://www.gresea.be/spip.php?article1006
Pour citer cet article :
Bruno Bauraind, "Un avenir pour la sidérurgie liégeoise ?", Gresea, mai 2012, texte disponible à l’adresse : http://www.gresea.be/spip.php?article1020