Les diplomates de la Commission européenne parlent de partenariats. En réalité, il s’agit d’imposer des diktats à n’importe quel "partenaire", des États faibles le plus souvent, mais aux États membres aussi, s’il le faut. Voire à... des semi-membres comme le Groenland. Objectif : protéger les grands intérêts industriels européens. Qui disait liberté (de circulation, de décision...) ?
Kuupik Vandersee Kleist, Premier ministre du Groenland, vient de dire non au Commissaire européen à l’Industrie, Antonio Tajani. Non à quoi ? À une exigence explicite de la Commission européenne. Depuis juin 2012, en effet, le commissaire Tajani négocie avec le Groenland pour, ouvrez les guillemets, "améliorer l’accès de l’industrie de l’UE
UE
Ou Union Européenne : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
aux matières premières à un prix abordable" [1]. Mais, donc, le Premier groenlandais a dit non. Il ne veut pas limiter l’accès aux terres rares aux seuls entreprises européennes. C’est gênant. Car, selon la Commission, "le Groenland est connu pour avoir des configurations géologiques fortement susceptibles de contenir des gisements de terres rares".
Les terres rares, pour mémoire, font partie des matériaux dits "critiques" aujourd’hui nécessaires à la production de marchandises aussi usuelles que la télé couleur, les briquets, les voitures dites hybrides, l’électronique avancée ou les armes dites intelligentes . La production mondiale est relativement modeste, avec près de 130.000 tonnes en 2009 (contre 2,3 milliards de tonnes de fer), mais, et c’est là que le bât blesse, dans un nombre de pays très limité [2]...
On compte aujourd’hui dix-sept terres rares différentes et plusieurs de ces matériaux sont très cherchés pour leurs qualités magnétiques uniques, notamment pour produire les aimants utilisés dans des électromoteurs des éoliennes. Inutile d’insister sur leur importance et leur potentiel économique.
Gisements et sphère d’influence
Mais la Commission européenne, pour y revenir, craint que des non-Européens exploiteraient les terres rares dans - mettons - sa propre sphère d’influence. D’où les négociations avec le Groenland. Bruxelles veut s’assurer d’un monopole industriel au Groenland et barrer l’accès aux autres et, notamment, pour ne pas dire en particulier, aux Chinois.
"Actuellement", disait encore la Commission en juin 2012, "environ 58 % des sociétés exerçant des activités de prospection [pour toutes les matières premières - ndlr] sur le territoire du Groenland sont canadiennes ou australiennes. La part des entreprises de l’UE opérant dans ce pays est seulement de 15 %". Ici, la Chine, n’est pas citée. Mais c’est bien la Chine qui hante les décideurs de Bruxelles.
Pourquoi la Chine ? Parce qu’elle est le premier producteur mondial de terres rares, parce qu’elle possède les technologies et parce qu’elle maîtrise toute la chaîne de valeur : des exploitations de terres rares, jusqu’à la séparation (difficile) de ces métaux des minerais produits en mine.
Mais, donc, patatras. Puisque voici que vient de déclarer maintenant le Premier ministre Kleist : ils ne jouerons pas dans ce jeu de puissances. [3] "Nous ne sommes pas dans la position d’exclure des investisseurs", a ajouté le Premier ministre, qui défend l’intérêt économique et le développement de son pays.
Mi-européen mais tout à fait souverain
Pour la bonne compréhension de "l’incident diplomatique", il faut savoir que le territoire du Groenland fait partie de celui du Danemark, mais le pays a un statut autonome pour ses affaires intérieures. Le Groenland a rejoint - comme on disait alors - le "Marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
commun" européen, avec le Danemark, en 1972, mais a quitté la Communauté économique européenne (prédécesseur de l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
) en 1985 après des conflits sur la pêche et la chasse aux phoques.
L’île, situé sur la plus grande partie de son territoire dans l’Arctique, est devenue une destination obligée pour les producteurs de pétrole et de gaz naturel (sa côte est déjà presque entièrement donnée en concession) de même que pour une longue liste de métaux et d’autres minerais non-énergétiques. [4]
Selon le professeur Koen Binnemans, expert des terres rares à l’université de Louvain, le pays dispose de gisements importants dans le Sud. "À ces endroits ", nous dit Koen Binnemans, "les hivers sont moins sévères et les gisements donc plus faciles à exploiter. Les minerais eux-mêmes par contre ont des structures et des compositions complexes, ce qui rend la séparation des terres rares plus difficiles". [5] La carte géologique du Groenland fait ainsi apparaître, notamment, deux gisements de terres rares à Ilímaussaq.
L’angle transtalantique (et nord-sud)
L’Union européenne n’est pas seule dans la course. Le gouvernement de Washington vient d’approuver un fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
doté de 120 millions de dollar pour la création et le fonctionnement d’un ’hub’ d’innovation énergétique au laboratoire d’Ames dans l’Iowa.
Ce laboratoire est censé "développer des solutions pour les déficits nationaux en terres rares et d’autres matériaux critiques pour la sécurité énergétiques des États unis". [6] Les États Unis étaient le premier producteur mondial de terres rares jusque dans les années 1990 mais, depuis la fermeture de leur grande mine du Mountain Pass, ils s’approvisionnent en Chine, où les terres rares étaient beaucoup moins chères. Mountain Pass, cependant, vient de rouvrir, la Chine ayant décidé de limiter ses exportations et d’utiliser ses terres rares pour sa propre économie nationale.
L’Union européenne tente donc de mettre en œuvre une diplomatie agressive. Si elle arrive (presque) à le faire vis-à-vis un de ses propres États membres (semi-membre), comme le Groenland, il ne faut pas être grand clerc pour entrevoir ce qu’il en est lorsqu’elle a affaire aux États faibles mais riches en matières premières dans le Sud. C’est une autre histoire.
Les terres rares et leurs applications Les terres rares ont des applications dans divers secteurs d’activités : nouvelles technologies (fibres optiques), énergies renouvelables (éoliennes par ex.) mais également pour du matériel médical, dans l’aérospatial ou encore pour différents types d’écrans (télé, ordinateurs, GSM, transports...) et sources lumineuses (lasers, infrarouges, LED) etc.
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