En guise d’introduction

Le fil rouge des pages qui suivent est le "comment produire autrement". Avec les moyens du bord. C’est à dire au départ de la situation existante, essentiellement constituée par les entreprises, les grandes, les moyennes et les petites, les anonymes du secteur privé et les publiques (peu ou prou), sans oublier celles qu’on classe par paradoxe dans le "non marchand" – comme si la chose était possible.

Pour introduire, prendre un peu de hauteur et de recul, on se reportera à un petit texte intitulé "Les conditions de la liberté économique". Il est dû à un historien engagé britannique. N’en disons pas plus pour l’instant.

Ce petit texte met en évidence une étonnante contradiction. Dans nos sociétés, seul le secteur économique continue encore à fonctionner selon les principes féodaux de "l’absolutisme". Ainsi, la "liberté des directions d’entreprise entraîne un contrôle sur les travailleurs qui est incompatible avec les libertés civiles." Il ne devrait naturellement pas en être ainsi. Cela tombe sous le sens.

Les travailleurs, poursuit-il, "ne devraient pas être utilisés par les propriétaires du capital dans le but de produire un profit pour eux, bien au contraire, le capital devrait être utilisé par les travailleurs dans le but de fournir des services à la collectivité."

La première raison d’être de l’industrie, insiste-t-il, est sa "fonction sociale", donc sa qualité de service public. Cela suppose trois choses. Primo, qu’elle rende le meilleur service techniquement possible au meilleur prix à la collectivité moyennant un salaire correct aux travailleurs qui l’ont produit. Secundo, que tout surplus dégagé par l’activité doit retourner à la collectivité. Et, tertio, "qu’aucune classe ne puisse recevoir un revenu pour un travail non rendu". Sont visés ici les "investisseurs" qui aujourd’hui se "nourrissent sur la bête", les parasites formant la classe des super-riches, le top 1%.

C’est une plaidoirie vibrante – on l’aura compris – pour la libre association des travailleurs producteurs dans les entreprises, prenant eux-mêmes les choses en main pour transformer toute l’activité économique en un vaste service public. Pour être complète, dit-il, la liberté doit "conférer le droit de s’associer pour bâtir une organisation sociale avec une conscience et un esprit d’entreprise qui lui appartiennent en propre. La liberté économique doit, en résumé, être développée en appliquant aux entreprises le système des institutions représentatives."

C’est signé Richard Henry Tawney, né en 1880, mort en 1962. Il a enseigné dans les universités syndicales populaires du Lancashire, professeur d’histoire économique ensuite à l’université de Londres, auteur de nombreux ouvrages érudits, notamment sur le problème agraire en Grande-Bretagne au 16e siècle. Le texte dont il est question ici a été écrit et prononcé lors d’un colloque en 1918. Juste au sortir de la Grande Guerre. En Russie, rappelle-t-il, l’Ancien régime venait d’être abattu.

En Grande-Bretagne, les choses se présentaient autrement : "La question n’est pas de savoir comment réparer un système industriel mis à mal par la guerre. La question est comment réformer un système industriel ressenti comme incompatible avec la justice et la liberté sociales en temps de paix. Ce qu’il nous faut revoir, ce n’est pas le travail des quatre dernières années, mais celui d’un siècle et demi."

C’était en 1918, il y a presque cent ans.

Bon, on peut déjà en tirer une leçon. Le travail pour venir complètement à bout du féodalisme, ce n’est plus un siècle et demi à remettre sur le métier, comme au moment où Tawney prenait la plume, mais deux siècles et demi. D’évidence, cela prend du temps.

Et de bonnes lectures, de celles qui émancipent. Le recueil de textes de RH Tawney intitulé "The Radical Tradition" a été publié en 1964 en édition de poche (Penguin/Pelican). Trouvé par hasard dans une bouquinerie. C’est un des grands avantages de ces lieux de civilisation. Contrairement à Amazon & Cie, on y trouve des choses qu’on ne cherche pas. On tombe sur de petits joyaux.


 

Sommaire

Gresea Echos N°80, 4e trimestre 2014 : TINA. There is no alternative ? Les rapports de production alternatifs.

  • Edito : En guise d’introduction. Erik Rydberg
  • L’entreprise multinationale, un objet mouvant. Romain Gelin
  • Equitable, le commerce ? Romain Gelin
  • Économie sociale, l’autre économie ? Romain Gelin
  • L’entreprise (alternative) publique. Romain Gelin
  • L’entreprise régulée : réglementation vs RSE. Lise Blanmailland
  • Syndicalisme mondial : vers une réglementation des STN ? Lise Blanmailland
  • Comité d’entreprise européen : lenteurs européennes. Henri Houben
  • Argentine : Entreprises récupérées par les travailleurs. Natalie Vanesa Hirtz

 

Numéro consultable en ligne : http://issuu.com/gresea/docs/ge80pagesinterieuresdef

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