Un entrefilet dans la presse économique nationale [1] laissait entrevoir comme une lueur d’espoir dans le cas de Royal Park Investments, la structure créée pour abriter les crédits structurés de l’ex-Fortis Bank. Pour mémoire, RPI, c’est la seule bad bank (en français, structure de défaisance) belge, c’est-à-dire, une structure financière créée pour détenir des actifs financiers sous-performants. Dans le cas de Royal Park Investments, la propriété du capital Capital Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
se divise comme suit : 43,53 % pour l’État belge, 11,77 % pour BNP Paribas et 44,70 % pour le holding Holding Société financière qui possède des participations dans diverses firmes aux activités différentes.
(en anglais : holding)
Fortis. Une partie de ce montage fait l’objet d’une garantie de l’État belge.

RPI avait "réussi", début 2010, à céder pour 4,3 milliards d’euros de produits structurés à des investisseurs institutionnels sous forme de "commercial papers" en Europe et (surtout) aux États-Unis. Commentaire d’un journaliste : "Ce succès tend à démontrer que les crédits sont moins toxiques que ce que l’on avait imaginé et que le marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
se redresse lentement en ce qui concerne certains produits financiers structurés". Alors… alléluia ? Commençons, tout d’abord, par définir les termes du problème.

Les "commercial papers" désignent des titres de créances accordées à court terme aux entreprises. Quant aux crédits structurés, il s’agit, en gros, des titres obligataires créés sur la base de produits financiers. Les crédits structurés peuvent être adossés à des prêts et des créances (il s’agit des Asset-Backed Securities-ABS), des obligations (on parle, dans ce cas, de CDO - Collateralised Bonds Obligations) ou des crédits hypothécaires (en anglais, Mortgage-Backed Securities - MBS). Fortis a été, au cours des dernières années, active sur le marché des ABS, des MBS et des CDO. Or, ce sont ces catégories d’actifs – "pourris", dans le langage ordinaire – qui ont plongé bon nombre d’institutions bancaires dans la crise. Retour sur les faits.

Crédits structurés, billets de trésorerie Trésorerie Ce qu’un acteur économique, souvent une entreprise, dispose comme actifs directement disponibles, c’est-à-dire dans ses caisses ou sous forme de comptes bancaires utilisables.
(en anglais : cash)
et dettes

En jargon financier, les sociétés qui pratiquent la titrisation Titrisation Technique financière consistant à transformer des prêts ou des contrats conclus entre un établissement de crédit et un client en titres à placer sur des marchés financiers et qui sont, à ce moment, échangeables entre investisseurs.
(en anglais : securitization)
des crédits hypothécaires sont dites "émettrices". Par là, les paiements des traites sont transférés aux détenteurs des titres qui deviennent, en quelque sorte, propriétaires de la créance. Via la titrisation, les sociétés de crédit hypothécaire se débarrassent donc du risque du défaut de paiement (ou risque de crédit) en transférant leurs créances auprès des organismes qui émettent ces crédits hypothécaires.

A l’origine de la crise de l’immobilier américain, on retrouve les ménages US qui n’ont plus remboursé leurs emprunts hypothécaires. C’est ainsi que les crédits structurés se sont retrouvés au cœur de la crise. Quel est le problème pour les banques ? Dans le cadre de l’émission de titres adossés aux emprunts hypothécaires, le véhicule fait l’objet d’une évaluation du risque. Un montant est calculé. Il correspond au risque ayant le plus de probabilités de se produire. Ce montant est évalué et fait l’objet d’une titrisation secondaire (on parle de titres secondaires subordonnés) par rapport aux titres principaux. Ces titres sont vendus à l’entreprise émettrice. Ce sont eux qui, en premier lieu, doivent subir les premières pertes du portefeuille Portefeuille Ensemble de titres détenus par un investisseur, normalement comme placement.
(en anglais : portfolio).
de titres adossés aux actifs immobiliers sous-jacents. C’est donc par le biais des titres secondaires subordonnés que les banques ont commencé à perdre de l’argent lorsque la crise a éclaté. Par la suite, vu la vague croissante de défauts aux États-Unis, la situation s’est encore aggravée. Car c’est l’entièreté des titres sous-jacents contenus dans les véhicules qui a fini par poser problème. Plus personne, en effet, ne voulait acquérir de titres liés à l’immobilier. Les banques concernées ont dû faire contre mauvaise fortune bon cœur et conserver dans leurs bilans des titres qui ne valaient plus rien. D’où des pertes colossales.

Aujourd’hui, le fait pour RPI de revendre à des investisseurs institutionnels (des compagnies d’assurances et des fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
de pension) des crédits structurés sous forme de "commercial papers" apparaît, pour certains commentateurs, comme une victoire particulièrement éclatante. Pas si évident.

 Toxicité des échanges en milieu financier

Avec la crise, c’est l’ensemble des actifs titrisés qui a perdu de sa valeur. Le venin des dépréciations d’actifs pouvait alors se diffuser dans toute la structure bilantaire de Fortis. Et ce sont ces actifs dits pourris ou toxiques que l’on retrouve aujourd’hui dans le véhicule Royal Park Investments.

La valeur nette des titres détenus par RPI atteignait les 10,2 milliards d’euros [2]. Sur ce total, seuls 43 % étaient cotés "Investment grade", une cote qui correspond à un niveau de risque faible. Le restant (57%) est considéré comme spéculatif. Par les temps qui courent, pas sûr que les amateurs se presseront au portillon pour les acquérir. 57% de 10,2 milliards, cela fait un montant total d’actifs de 5,8 milliards dont la réalisation est aujourd’hui plus que douteuse. Et encore, quand on sait ce que valent, par ailleurs, les cotations des agences de notation Notation Classification des actifs (titres, monnaie, prêts...) ou des émetteurs de ceux-ci en fonction du risque de défaut de paiement des revenus et du remboursement de ces actifs ou de la part de celui qui les émet. Cette classification est attribuée par une société privée, appelée agence de notation. Les trois plus importantes sont Fitch Ratings, [Moody’s et Standard & Poor’s. Elles contrôlent l’essentiel des évaluations de risque. Mais le fait qu’elles soient privées et qu’elles aient d’autres départements assurant d’autres fonctions vis-à-vis de leurs clients qu’elles notent pose un très sérieux problème d’indépendance, d’impartialité et finalement de légitimité. Les notations dépendent des sociétés qui les allouent. En général, elles ressemblent néanmoins fortement de la classification suivante, allant de l’actif ou de l’entreprise la moins risquée vers celui ou celle qui l’est le plus : AAA, AA, A, BBB, BB, B, CCC, CC, C.
(en anglais : credit rating).
, ce calcul intègre les titres cotés BBB par Standard and Poor’s (Dans la méthodologie spécifique de Standard and Poor’s, les titres BBB sont jugés plus spéculatifs que les titres dont la cotation Cotation Affichage public des cours de titres qui évoluent continuellement au gré des opérations d’achat et de vente.
(En anglais : valuation ou pricing)
commence par la lettre A. Les titres BBB renvoient à des investissements de qualité moyenne inférieure). Si on limite l’appellation "Investment grade" aux seuls titres cotés A (ce qui est une hypothèse a priori réaliste vu l’état encore perturbé des marchés), on s’aperçoit que les titres spéculatifs représentent quasiment 67 % du portefeuille de RPI.

En ce qui concerne les titres adossés aux crédits hypothécaires en particulier (65 % du portefeuille de RPI. Les titres adossés à des crédits hypothécaires US représentent plus de 50 % du portefeuille de RPI), les perspectives sur le marché immobilier US restent sombres. "En dépit de certaines améliorations du prix des maisons aux États-Unis et certaines valeurs de marché en hausse pour certains types d’actifs, l’environnement économique en ce qui concerne la finance structurée reste instable et continue de peser sur la performance de certains actifs sous-jacents en défaut présents dans le portefeuille. Plus spécifiquement, pour ce qui est de certaines branches des US RMBS (crédits hypothécaires liés à l’immobilier résidentiel américain), une autre vague de non-remboursement des emprunts est attendue si par exemple, une majorité des emprunteurs ARM doivent faire face à un choc de paiement important lorsqu’ils devront rembourser le principal en plus des intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
". [3]

Convenons-en : ces données ne sont pas précisément des plus encourageantes.

 Senior et Supersenior sont dans un bateau

Pour comprendre la nature du soutien de l’État à RPI, il faut remonter à la structure du deal qui a été conclu entre l’État belge, Fortis banque et BNP Paribas. Après être parvenus à un accord à l’automne 2008, l’État belge, Fortis et BNP Paribas quittent la table des négociations en décidant de placer dans une structure de défaisance les actifs toxiques de Fortis. Cela donne lieu à la naissance de Royal Park Investments. Au terme de cet accord, Fortis Bank prête un peu plus de sept milliards d’euros à la nouvelle structure chargée de revendre les crédits toxiques. Mais pas à n’importe quelle condition.

Puisque l’époque n’est plus guère porteuse pour les crédits structurés, les parties conviennent, lors de sa création en 2009, que Royal Park Investments achètera les titres toxiques de Fortis à prix réduit. Le véhicule (autre nom pour désigner des montages tels que Royal Park Investments) achètera 20,5 milliards de créances au prix de 11,7 milliards.

Dans le détail, au 30 septembre 2009, la structure de financement de RPI consistait en 1,7 milliard d’euros en capital Capital et 8,523 milliards de dettes. Cette dette est décomposée en deux tranches : "Supersenior" et "Senior". Les titres de la tranche dite Supersenior (3,75 milliards d’euros) sont financés par un crédit de Fortis banque. Au terme de l’accord qui a présidé à la création de RPI, le produit de la vente des actifs du portefeuille sera affecté prioritairement au remboursement du prêt Supersenior [4].

La tranche dite Senior (4,773 milliards), quant à elle, est financée par deux prêts. L’un de BNP Paribas pour 519 millions d’euros et l’autre de 4,3 milliards en provenance de Fortis Banque. C’est cette partie de la tranche "Senior" qui fait aujourd’hui l’objet d’une conversion en "commercial papers". Et c’est ce programme qui bénéficie de la garantie de l’État belge [5].

L’espoir qui préside à la création de ce montage financier consiste en ce que durant le délai de répit que lui accordent les investisseurs, qui se seront portés acquéreurs des "commercial papers", RPI puisse vendre suffisamment d’actifs pour commencer à rembourser ses nouveaux créanciers et apurer complètement les dettes contenues de la tranche Supersenior. Sinon la garantie de l’État sera activée. Ce qui ne serait pas une mauvaise affaire pour Fortis qui, par ce biais, pourrait remplacer sa dette Senior par de l’argent public et pourrait continuer à se refaire via la partie Supersenior du véhicule. Joli tour de passe-passe.

D’un point de vue comptable, ce que l’on sait avec certitude, c’est que depuis sa création en mai 2009, RPI a, en tout et pour tout, réussi à faire diminuer son portefeuille d’actifs réputés toxiques d’un peu moins de 1,5 milliard d’euros [6] (estimation des actifs de RPI au 30 septembre 2009). Comment établit-on ce résultat ? En effectuant la différence entre la valeur des actifs du portefeuille à leur achat (11,7 milliards) et leur valeur nette qui, fin septembre 2009, était de 10,171 milliards d’euros. Sortons les calculettes. Avec 1,5 milliard de rentrées enregistrées, il reste encore 2,25 milliards d’euros à affecter au remboursement de la tranche Supersenior. Ce qui signifie que RPI, en quelques mois (la durée de vie maximale des "commercial papers" est de neuf mois), va devoir améliorer ses performances financières de l’ordre de quelque 50 % au minimum. Pas forcément une mince affaire. Le pari de RPI réussira-t-il ? Wait and see comme l’on a coutume de dire outre-Atlantique. En attendant, qu’il fait bon vivre sous l’aile protectrice de l’État belge !

Notes

[1L’Echo, 16/01/10.

[2Site de Royal Park Investments, 30/09/09 (URL : http://www.royalparkinvestments.com). Date de consultation du site : 20 janvier 2010.

[3Site de Royal Park Investments (URL : http://www.royalparkinvestments.com). Date de consultation du site : 20 janvier 2010. Les emprunts ARM sont des emprunts qui permettent à l’emprunteur de rembourser les intérêts et non le capital du prêt durant les premières années. En 2010 et 2011, un grand nombre d’emprunteurs ARM vont commencer à devoir faire face à leurs premières échéances portant sur le capital et les intérêts.

[4Voir la partie "legal structure" du site de Royal Park Investments. (URL : http://www.royalparkinvestments.com). Date de consultation du site : 19 janvier 2010.

[5Cour des Comptes, "Impact de la crise financière et des mesures d’aide sur la gestion de la dette de l’État et sur l’évolution des finances publiques", Rapport approuvé en assemblée générale de la Cour des comptes le 9 décembre 2009, pp. 25-26. (Url : http://www.ccrek.be/docs/Reports/2009/2009_34_ImpactCriseFinanciere.pdf . date de consultation du site : 20 janvier 2010).

[6Cette diminution ne résulte pas exclusivement de la revente d’actifs. Étant donné que plus de 70% du portefeuille est libellé en dollars, une appréciation de l’euro face au billet vert fait automatiquement baisser la valeur en euro des actifs US.