En Belgique, le secteur du nettoyage (et ses travailleurs, en majorité des ouvrières) est particulièrement touché par les pires formes de réduction des coûts de production par le biais de la sous-traitance
Sous-traitance
Segment amont de la filière de la production qui livre systématiquement à une même compagnie donneuse d’ordre et soumise à cette dernière en matière de détermination des prix, de la quantité et de la qualité fournie, ainsi que des délais de livraison.
(en anglais : subcontracting)
. Bel - et sinistre - exemple de marchandisation du travail. Analyse avec esquisse des résistances.
Mots clés : sous-traitance, inspection du travail, secteur du nettoyage, régulation des pratiques d’entreprises, pouvoir public, travail décent, responsabilité solidaire, lxploitation du travail.
"Un salaire décent pour un travail décent". Le thème de la campagne internationale portée notamment par la Confédération Syndicale Internationale (CSI) porte, en particulier, sur les normes du travail du Bureau International du Travail (BIT) et ses applications.
Il s’agit d’attirer l’attention du grand public sur les différentes atteintes au travail au Sud et au Nord. Dans ce cadre, le recours à la sous-traitance doit poser question, de même que le processus de déréglementation
Déréglementation
Action gouvernementale consistant à supprimer des législations réglementaires, permettant aux pouvoirs publics d’exercer un contrôle, une surveillance des activités d’un secteur, d’un segment, voire de toute une économie.
(en anglais : deregulation).
sociale en œuvre dans plusieurs secteurs d’activités.
Parler de sous-traitance nécessite toutefois de s’arrêter un moment sur les différentes acceptions du concept.
Sur un plan purement technique, la sous-traitance consiste pour une entreprise prestataire de services à travailler avec son personnel pour le compte d’une autre entreprise, le maître d’œuvre ou l’entreprise utilisatrice.
Dans la pratique, cette externalisation
Externalisation
Politique d’une firme consistant à sortir de son ou de ses unités de production traditionnelles des ateliers ou départements spécifiques. Cela peut se passer par filialisation ou par vente de ce segment à une autre entreprise.
(en anglais : outsourcing)
de pans entiers de l’activité d’une entreprise se décline sous deux dimensions géographiques.
Elle a, d’une part, une dimension internationale. En effet, lorsqu’on pense sous-traitance, le débat se fixe très souvent sur les grandes multinationales du textile ou de l’automobile qui délocalisent une part de leurs filières de production vers des petites sociétés dans les pays à bas salaires avec tout ce que ce processus peut comporter en matière d’exploitation du travail.
Mais il existe aussi, florissante, une sous-traitance à dimension nationale ou locale. Dans certains secteurs d’activité, en effet, le recours à des entreprises sous-traitantes de pays du Sud n’a pas de sens. Il est difficilement imaginable par exemple pour une entreprise multinationale
Multinationale
Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
de délocaliser en Chine le nettoyage et l’entretien de ses usines situées en Belgique !
Ainsi, dans des secteurs tels que le nettoyage ou le gardiennage, les entreprises recourent soit à la sous-traitance locale, soit au détachement de travailleurs étrangers afin de bénéficier des avantages de la délocalisation
Délocalisation
Transfert de production vers un autre pays. Certains distinguent la délocalisation au sens strict qui consiste à déplacer des usines ailleurs pour approvisionner l’ancien marché de consommation situé dans la contrée d’origine et la délocalisation au sens large qui généralise ce déplacement à tout transfert de production.
(en anglais : offshoring).
sans se déplacer [1] .
Les entreprises multinationales se révèlent donc être les vecteurs dominants de la transformation de l’organisation du travail que ce soit au plan international ou national. Elles utilisent la sous-traitance et les délocalisations pour optimiser leurs plus-values et échapper aux contraintes des normes sociales les plus lourdes [2] .
En Belgique, le secteur du nettoyage est malheureusement considéré comme un "mouton noir" en matière de conditions de travail (rémunération, sécurité de l’emploi, durée du travail, flexibilité du travail…). Quelles sont les causes de cette déréglementation sociale ? Peut-on réglementer ? Qui peut réglementer ? Essai de réponse.
Femme d’ouvrage : sous et mal traitée
En Belgique, le secteur du nettoyage compte près de 50.000 travailleurs, main d’œuvre surtout féminine, répartie dans quelques 1.200 sociétés [3] . En terme d’emploi, le secteur du nettoyage constitue le 2e sous-secteur, après les agences intérim, au sein de la catégorie "services fournis aux entreprises" [4] .
L’industrie belge du nettoyage a connu un développement important ces dernières décennies. En cause, le recours accru des entreprises privées et publiques aux services de sociétés sous-traitantes pour effectuer l’entretien et le nettoyage de leurs locaux plutôt qu’à leur propre service
Service
Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
d’entretien.
Le taux de pénétration de ces sociétés sur le marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
du nettoyage - la part du marché détenue par des sociétés sous-traitantes par rapport au marché global - était déjà de 59 % en 2002 [5] .
Rien qu’en 2007, plusieurs mouvements sociaux ont émaillé les relations entre les travailleurs et les entreprises sous-traitantes dans le secteur du nettoyage.
Ainsi, la société Pendus Service de Zellik a reconnu employer des travailleurs au noir dans son contrat avec la Commission européenne.
En septembre 2007, des travailleuses de l’entreprise Melon ont débrayé pour attirer l’attention sur leurs salaires indécents.
Le mois suivant, en octobre, ce sont des salariées de General Office Maintenance (GOM) qui ont multiplié les piquets de grève devant l’usine Arcelor - Sidmar à Gand pour contester la réduction de leurs prestations, conséquence directe de la diminution du budget "entretien" du géant métallurgiste [6] .
Enfin, en novembre, les organisations syndicales CSC et FGTB ont dénoncé la politique du laisser-faire de l’Etat belge face aux pratiques quasi mafieuses de certaines sociétés de nettoyage, Uccar Clean et Clarissa en l’occurrence, actives dans les grands hôtels de la capitale [7] .
Non-respect des barèmes salariaux, indécences des conditions de travail, la sous-traitance dans le secteur du nettoyage serait à l’origine d’un processus de déréglementation sociale menant parfois à un système quasi mafieux dont les premières victimes sont les travailleuses, souvent peu qualifiées et issues de l’immigration, des proies faciles.
Cette déréglementation ne tient pas, cependant, à la nature même de la sous-traitance mais aux rapports qu’entretiennent les trois acteurs de cette relation : "l’entreprise cliente ou utilisatrice" qui utilise la main d’œuvre, "la société de nettoyage" qui preste un service pour le compte de la première et enfin l’Etat censé réglementer cette relation.
Au centre du triangle ? Les travailleuses qui, trop souvent, ignorent à qui s’adresser pour faire valoir leurs droits.
Mise en concurrence
Examinons, tout d’abord, le premier côté du triangle : la relation commerciale qu’entretiennent entreprise utilisatrice de la main d’œuvre et société prestataire de services.
La sous-traitance répond à une volonté de réduction des coûts de production. Cela fonctionne d’autant mieux que les travailleuses des sociétés de nettoyage travaillent pour moins cher et sont plus flexibles que les services de nettoyage internes à l’entreprise.
Comme cela ? Le contrat qui lie l’entreprise utilisatrice et le prestataire de services est de type commercial. C’est donc le sous-traitant qui offrira les meilleures conditions financières qui décrochera le marché. Dit autrement, moins il est cher, moins il rémunère son personnel, plus il a de chances d’obtenir le contrat. Le système a naturellement des conséquences importantes sur l’emploi dans le secteur du nettoyage, et ce à trois niveaux.
Tout d’abord, la flexibilité du travail. Une grande partie des ouvrières du secteur prestent moins de quatre heures par jour, et le plus souvent, via des horaires coupés. Ce qui ne permet pas aux travailleuses de percevoir un salaire suffisant. 35% des salariées du secteur gagnent moins de 680 euros par mois [8] .
Ensuite, les horaires coupés étalent la journée de travail sur un laps de temps très long. Pour l’entreprise, il s’agit d’organiser le travail " à la carte". Pour la travailleuse, par contre, le salaire est indécent et sa durée ne permet aucune perspective d’amélioration du revenu. Pour peu, on parlerait d’exploitation pure et simple.
Enfin, tertio, le système permet aux grandes entreprises de fragmenter l’action
Action
Part de capital d’une entreprise. Le revenu en est le dividende. Pour les sociétés cotées en Bourse, l’action a également un cours qui dépend de l’offre et de la demande de cette action à ce moment-là et qui peut être différent de la valeur nominale au moment où l’action a été émise.
(en anglais : share ou equity)
syndicale et de la rendre, par le fait même, plus complexe et moins efficace.
Une solution à ces effets pervers de la sous-traitance existe déjà dans la législation belge et européenne. Elle s’appelle concurrence déloyale. Ainsi, selon Michel Aseglio, directeur général du contrôle des lois sociales en Belgique, "une entreprise qui s’estime victime de concurrence déloyale - qui peut se traduire par le non-respect des barèmes, par l’utilisation de travailleurs intérimaires ou encore de clandestins - peut aller devant le tribunal du commerce pour demander la cessation de l’activité" [9] . Le marché de la sous-traitance se régulerait ainsi de l’intérieur par les acteurs.
Cependant, ajoute Michel Aseglio, "le problème est que ce n’est pas vraiment accepté du côté patronat" [10] . Pour cause, les entreprises n’ont pas intérêt à voir le marché s’autoréguler. D’une part, parce qu’il y aura toujours un concurrent sous-traitant pour jouer les cavaliers seuls. D’autre part, car ce serait prendre le risque de perdre des parts de marché face à de grandes entreprises qui préféraient alors conserver leur propre service d’entretien.
La pression sur les prix exercés par les entreprises utilisatrices est donc telle que les sous-traitants préfèrent souvent travailler pour moins cher plutôt que de se voir exclus du marché. Et le sort des travailleuses ? Des marchandises comme les autres.
Sans secours ni recours aucun ? C’est sans compter, notamment, avec les campagnes syndicales [11] ou avec l’Inspection du travail, qui forment la deuxième partie de cette analyse.
Notes :