Alors que Sanofi n’est pas une entreprise en difficulté, elle a annoncé en novembre, un plan d’économie de 1,5 milliard d’euros d’ici 2018, via un recentrage de son portefeuille d’activités et une réorganisation en cinq grandes unités commerciales.
Le mardi 2 février 2016, le groupe a dévoilé aux représentants des employés français l’ampleur de son plan de réorganisation : plus de 600 postes seront supprimés sur trois ans en France, soit 2% des effectifs. Le géant pharmaceutique a engagé également des négociations pour réduire ses effectifs dans le reste du monde. L’issue de ces négociations est attendue pour la mi-2016.
Les nouvelles orientations se placent dans la continuité de la stratégie mise en œuvre à partir de 2009. En effet, l’arrivée de Chris Viehbacher à la tête de Sanofi entraîne le groupe dans la tourmente de la finance. La nouvelle direction générale lance un vaste plan de restructuration qui fut qualifié à l’époque par la firme de « processus permanent » : des restructurations constantes, cherchant à rassurer les actionnaires et impactant progressivement sur tous les salariés et sur l’activité de recherche et développement, notamment à travers une stratégie d’externalisation
Externalisation
Politique d’une firme consistant à sortir de son ou de ses unités de production traditionnelles des ateliers ou départements spécifiques. Cela peut se passer par filialisation ou par vente de ce segment à une autre entreprise.
(en anglais : outsourcing)
de l’activité engendrant un processus de démantèlement de la recherche interne. Au fil des cessions et des plans de réorganisation, Sanofi a supprimé, en France, plus de 5.000 emplois depuis 2008. En considérant les recrutements et les acquisitions opérés en parallèle par le groupe, 1.290 emplois ont été perdus depuis cette date. Entre temps, Sanofi est devenue la première capitalisation boursière
Capitalisation boursière
Évaluation à un moment donné de la valeur boursière totale d’une firme ou, en additionnant toutes les sociétés cotées, d’une Bourse. Elle s’obtient en multipliant le nombre d’actions émises par le cours de ce titre au jour où l’estimation est faite.
(en anglais : market capitalization)
du CAC 40 et s’est placée dans le top cinq mondial de la pharmacie.
L’analyse de ce « processus permanent » de restructuration nous permet de comprendre les stratégies mises en œuvre par les grandes entreprises afin de booster leurs dividendes ainsi que ses effets sociaux et économiques, mais également, de mettre en lumière les formes de résistances contre ces politiques.
Le plan de restructuration permanent : Transforming I (2009-2011)
En février 2009, Sanofi annonce un plan de transformation pour les deux ans à venir (2009-2011). Comme indiqué dans son intitulé, le plan vise à « transformer Sanofi en Leader Global de la Santé ». À cette fin, trois axes principaux sont détaillés par la direction : l’organisation et l’approche en R&D ; les opportunités de croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
externe (fusion
Fusion
Opération consistant à mettre ensemble deux firmes de sorte qu’elles n’en forment plus qu’une.
(en anglais : merger)
et acquisition) pour renforcer la diversification ; et l’adaptation de l’entreprise aux enjeux à venir [1].
Pour augmenter la diversification et « adapter l’entreprise aux challenges à venir », les coûts sont réduits de 4 milliards d’euros. Étonnamment, l’adaptation aux nouveaux « challenges » impliquera une diminution drastique du budget alloué à la R&D en interne (40% des programmes de recherche sont coupés) ce qui, selon les mots de Chris Viehbacher, devra permettre au groupe de se concentrer sur « des projets à forte valeur et de réattribuer » les « ressources sur des partenariats externes » [2].
Sanofi multiplie les partenariats de R&D avec les laboratoires des universités publiques captant ainsi les innovations sans devoir en supporter les coûts. En outre, en sous-traitant la recherche aux start-ups, la firme réalise un glissement du budget R&D de l’interne vers l’externe, ce qui permet de transformer les « coûts fixes », indépendant du niveau d’activité de l’entreprise, en « coûts variables » [3]. Par le recours à la sous-traitance
Sous-traitance
Segment amont de la filière de la production qui livre systématiquement à une même compagnie donneuse d’ordre et soumise à cette dernière en matière de détermination des prix, de la quantité et de la qualité fournie, ainsi que des délais de livraison.
(en anglais : subcontracting)
, l’entreprise peut adapter ses dépenses de recherche et développement au niveau de ses ventes en peu de temps. Cette flexibilité a évidemment des conséquences sur l’emploi dans la sous-traitance. Cette stratégie industrielle visant la flexibilité productive pose néanmoins question lorsqu’on sait que le temps nécessaire au développement d’un médicament est de 12-15 ans.
Il s’agit donc d’un processus de démantèlement de la recherche interne qui aura pour conséquence la réduction de 20% de l’effectif en R&D en France, pays où le groupe concentre la plupart de ses activités économiques et qui emploie autour de 30% de ses salariés mondiaux (26. 933 emplois en 2014).
Sous l’appellation de « Plan de sécurisation de l’emploi » Sanofi supprime 1.300 postes, procède à la fermeture de quatre sites de R&D et à la vente du site de Porcheville dans les Yvelines [4]. Entre temps, le groupe bénéficie, en 2011, de 130 millions d’euros du CIR (crédit d’impôt recherche) [5] alors que le montant de cette aide fiscale destinée à soutenir et encourager la R&D était de 70 millions en 2008, lorsque la quasi-totalité des produits était issue de la recherche interne.
En 2012, Sanofi aurait dû payer un total de 600,6 millions d’euros d’impôts en France, mais grâce à différents avantages fiscaux, le groupe en a économisé une grande partie : le CIR lui a permis de supprimer 129,9 millions d’euros, les réductions d’impôts liées au mécénat (10,4 millions d’euros) et des avantages fiscaux ont fait grimper la ristourne à 144,6 millions d’euros. Trois quarts de la somme due à la base pour le compte de l’impôt sur les sociétés se sont ainsi envolés. En outre, le groupe a créé en février 2012, une banque interne basée en Belgique, Sanofi European Treasury Center (SETC), chargée du paiement des fournisseurs et de l’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
dans ses filiales. Ce qui lui permet de bénéficier des intérêts
Intérêts
Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
notionnels en Belgique. Ce dispositif fiscal autorise les multinationales à déduire de leur impôt un intérêt calculé en fonction des fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
propres de leur filiale située sur le territoire belge. En transférant une partie de leur chiffre d’affaires
Chiffre d’affaires
Montant total des ventes d’une firme sur les opérations concernant principalement les activités centrales de celle-ci (donc hors vente immobilière et financière pour des entreprises qui n’opèrent pas traditionnellement sur ces marchés).
(en anglais : revenues ou net sales)
vers la Belgique, la firme a échappé au paiement de 22,8 millions d’euros d’impôts (par rapport à une localisation en France) [6].
Transforming 2. 0 (2012-2015)
Le 6 novembre 2011, Sanofi annonce ses nouveaux objectifs pour la période 2012-2015. Cette fois-ci le discours est clairement dirigé vers les actionnaires. Chris Viehbacher, le CEO, déclare : « nous nous fixons comme objectif une croissance du chiffre d’affaires d’au moins 5% par an en moyenne sur la période 2012- 2015. Le taux de croissance moyen du BNPA (bénéfice net
Bénéfice net
Profit déclaré d’une société après avoir payé les intérêts sur les charges financières, comptabilisé les amortissements et réglé l’impôt des sociétés sur les bénéfices.
(en anglais : net income)
par action
Action
Part de capital d’une entreprise. Le revenu en est le dividende. Pour les sociétés cotées en Bourse, l’action a également un cours qui dépend de l’offre et de la demande de cette action à ce moment-là et qui peut être différent de la valeur nominale au moment où l’action a été émise.
(en anglais : share ou equity)
) [7] des activités sur la même période devrait être supérieur à la croissance moyenne des ventes. Notre objectif d’augmenter le taux de distribution du dividende
Dividende
Revenu de la part de capital appelé action. Il est versé généralement en fonction du bénéfice réalisé par l’entreprise.
(en anglais : dividend)
à 50% reflète l’amélioration des perspectives de la société et notre engagement à créer de la valeur pour nos actionnaires » [8].
Afin d’assurer un taux de croissance moyen du BNPA supérieur à la croissance moyenne des ventes, Sanofi annonce des économies de 2 milliards d’euros.
Les nouvelles transformations impliquent notamment l’annonce du désengagement du site de R&D de Toulouse (614 emplois), la suppression de la recherche à Montpellier (200 emplois), des licenciements, des départs dits « volontaires » et l’approfondissement du processus d’externalisation de la R&D. Chris Viehbacher envisage d’augmenter la recherche externe et arriver à en sous-traiter 50% [9]. Cet objectif implique un processus de concentration des activités de recherche sur quelques pôles situés à proximité de grands centres hospitaliers universitaires, des centres de recherche académique et des universités.
Les restructurations sont rapides et sans concessions : la recherche est stoppée à Montpellier, le service support présent sur tous les sites est délocalisé à Lyon et Paris, les sites de Toulouse et de Quétigny sont vendus et la production de nombreux vaccins est arrêtée, ce qui touche particulièrement le site de Marcy l’Etoile (avec 567 postes supprimés). Au total 1. 767 emplois sont supprimés et 700 postes sont transférés hors région d’origine [10]. En outre, depuis 2013, le groupe n’a pas procédé à des augmentations salariales générales. Alors qu’en novembre 2012, Sanofi prend la première place à Total en termes de capitalisation boursière !
Les "Sanofi"
Les restructurations ne se passent pas si facilement. Bien que les travailleurs n’aient pas réagi contre la mise en œuvre du premier plan, lorsque le groupe dévoile l’ampleur des nouvelles « transformations », ils s’y opposent énergiquement.
Le mouvement s’enclenche à Toulouse, lorsque le jeudi 5 juillet 2012, les travailleurs du secteur de R&D arrêtent le travail et sortent spontanément devant les grilles de l’entreprise pour protester contre l’annonce du désengagement du groupe du site. Très rapidement, les syndicats décident de débrayer formant l’intersyndicale. Le jeudi suivant, travailleurs et syndicats prennent le bus pour assister à une réunion du comité central de l’entreprise (recherche) à Paris. Après ces deux jeudis de lutte, les travailleurs décident d’inaugurer les « jeudis de la colère » : des manifestations organisées tous les jeudis (jusqu’à janvier 2013) dans les rues de Toulouse, mais aussi dans d’autres sites comme celui de Montpellier où leurs collègues adoptent les jeudis de la colère.
Entretemps, l’intersyndicale porte un recours devant la Cour d’appel de Paris en demandant la requalification du plan de départs volontaires en plan de reclassement pour la division R&D. En effet, le plan R&D de Sanofi prévoyait la suppression de 914 postes, avec des départs volontaires et un redéploiement de 800 salariés par mobilité interne. En mars 2013, la Cour estime que certains salariés ne seraient pas « volontaires » dans le cadre de la suppression des postes et du transfert de certaines activités annulant donc la procédure et en ordonnant la reprise d’information-consultation en la présentant au comité central d’entreprise dans le cadre d’un plan de suppression d’emplois [11]. Cette victoire juridique sera de courte durée, car quatre mois plus tard, la Direction de Sanofi présentera un nouveau plan (identique au premier).
Le mouvement se poursuit. En janvier 2014, vingt-cinq sites sont touchés par les actions de débrayage. L’intersyndicale réclame « une augmentation collective substantielle pour tous », « un engagement de maintien des sites, des activités et des emplois » et « la résorption de la précarité » [12]. Mais, en même temps, la CFDT, la CFTC [13] (majoritaires au niveau national dans la R&D) et la CGC [14] signent le plan de restructuration autorisant la suppression de 709 postes dans la R&D, au lieu de 914 comme prévu par le plan rejeté par la justice. L’accord est validé par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE).
L’alliance syndicale est désarticulée et les travailleurs doivent s’opposer aux syndicats ayant signé cet accord afin de défendre leur emploi. Six salariés de Montpellier ainsi que la CGT [15] et SUD Chimie [16], attaquent le plan en justice [17]. Mais, le 4 juillet 2014, le tribunal administratif de Versailles confirme la signature de la DIRECCTE. La CGT et les salariés ne fléchissent pas et décident de continuer la lutte en faisant appel. À leur tour, la CFDT et le Ministère du Travail, de l’Emploi et du dialogue social déposent aux côtés de Sanofi, un mémoire en défense [18] cautionnant les suppressions d’emplois.
Le 25 juillet, la direction met en place un nouvel accord pour augmenter les départs dits « volontaires », prévoyant 150 départs supplémentaires aux 709 suppressions de postes prévues dans le plan de restructuration. L’accord est signé par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC [19]. Mais une semaine plus tard, Sanofi est au cœur d’un nouveau scandale : la fuite du projet « Phoenix ». Ce document confidentiel émanant de la direction de Sanofi, envisage la suppression de 1.800 postes pour les deux ans à venir. La découverte tombe au bon moment pour les travailleurs, car les journalistes de « Cash Investigation », une émission de reportage de France 2, sont en train de réaliser une enquête sur les circuits financiers et se servent du projet Phoenix pour interroger Emmanuel Macron qui s’engage, devant les caméras, a parler avec le Président de Sanofi [20]. Quant à la direction du groupe, elle déclare que le plan n’est plus d’actualité.
Le 30 septembre, les projets de Sanofi sont encore une fois mis à mal. La cour d’appel administrative de Versailles annule le premier jugement et donne gain de cause à la CGT en estompant le plan de restructuration. Mais, le combat n’est pas terminé et la victoire n’est que relative, car grâce aux accords de départs dits volontaires Sanofi est parvenu à se défaire d’une grande partie des salariés. À Toulouse, il ne reste plus que 200 employés sur 614 et à Montpellier, 250 salariés étaient déjà partis depuis juillet 2012 (en octobre 2014, ils n’étaient que 800, alors qu’ils étaient 1.500 en 2009) [21].
Enfin, ni le dévoilement du Plan Phoenix, ni les réductions d’emploi, ni la résolution de la cour d’appel administrative de Versailles ne parviennent à freiner les plans de Sanofi qui annonce, début septembre, la vente du site de production de Quetigny (Côte-d’Or). De nouvelles mobilisations s’entament dans ce site où les travailleurs négocient la sauvegarde de l’emploi lors du transfert réalisé en avril 2015, au groupe pharmaceutique Delpharm. À Toulouse, le site est finalement vendu à Evotec qui prend l’engagement de maintenir l’emploi de plus de 200 travailleurs. Le plan de réorganisation de Sanofi prévoyait initialement de conserver 364 emplois, mais à la suite du plan social, les effectifs du site ont progressivement diminué.
Cependant, le dévoilement du Plan Phoenix et la lutte des travailleurs n’arrangent pas les choses pour le groupe. À la recherche d’un bouc émissaire capable d’absorber les mécontentements, en octobre 2014, le conseil d’administration décide à l’unanimité d’évincer Chris Viehbacher, lui reprochant une gestion en solitaire et un manque de communication. La direction générale du groupe sera assurée ad intérim par son Président, Serge Weinberg, jusqu’à la nomination d’Olivier Brandicourt, en février 2015.
Les "Sanofi" continuent leur combat
Les luttes ne cèdent pas en 2015. En effet, la colère des salariés remonte lorsqu’ils apprennent le montant de la prime accordée à Chris Viehbacher pour son départ (4,5 millions d’euros) et le cadeau de bienvenue octroyé à son successeur d’une valeur de 4 millions d’euros. Alors que le groupe continue à mettre en œuvre des mesures d’économies. Dans un tel contexte, cette nouvelle fut accueillie comme un scandale dont certains ministres du gouvernement ont fait connaître leur indignation. Or, la plupart d’entre eux avaient voté, quelques jours auparavant, l’inclusion dans la loi Macron, de la diminution de l’imposition des stocks options (une rémunération en actions de l’entreprise donnée aux hauts cadres en plus de leurs salaires) pour un total de 900 millions.
Ce nouveau scandale raffermit la lutte des Sanofi. Il fonctionne comme moteur pour relancer leur combat et leur donne une nouvelle visibilité tout en renforçant leur légitimité sociale.
Le conflit s’épand dans divers sites du pays et les revendications ne concernent plus exclusivement l’emploi, mais pointent également les conditions de travail et environnementales. Cette fois-ci ce sont les travailleurs de la production qui seront à la tête du mouvement. En effet, ils savent qu’après la réorganisation de la R&D, ce sera le volet production qui sera pointé, d’autant plus que cette branche faisait partie de l’un des objectifs principaux du plan Phoenix visant à « réduire l’empreinte industrielle en Europe ».
En février, les travailleurs du site de production de Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence) entament une grève convoquée par la CGT. Elle prend la forme de débrayages toutes les 2 heures par poste. Ils revendiquent une revalorisation salariale, la signature des embauches en CDI et le déblocage de 13 millions d’euros nécessaires à la mise en route de l’incinérateur. Ce dernier est hors service
Service
Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
depuis septembre 2013, mais Sanofi se sert d’une dérogation préfectorale autorisant le site à produire au détriment des normes environnementales. Après cinq semaines de débrayages, la CGT négocie une augmentation de 80 euros nets de prime de poste, trois embauches en CDI et un budget pour la maintenance de l’outil de production [22].
En mars, ce sont les travailleurs du site de production d’Ambarès qui se mobilisent pour faire respecter leur « droit à la santé ». Ils entament une grève en revendiquant la réalisation d’une étude par des chercheurs indépendants sur l’exposition aux bruits et à la poussière et sur l’interactivité entre les différents produits utilisés dans le site [23]. Au même moment, dans le site de fabrication de produits phytosanitaires de Saint-Aubin-lès-Elbeuf, la CGT et Sud appellent à la grève pour revendiquer une augmentation salariale (rappelons-nous qu’il n’y avait pas eu d’augmentation générale depuis deux ans), l’amélioration des conditions de travail des salariés en poste, l’embauche des précaires (presque 30% de l’effectif) et une révision de la grille de classification afin d’être reconnus dans leur travail et rémunérés en conséquence. La CFDT (majoritaire dans ce site) ne rejoint pas la grève qui ne sera finalement suivie que par 20% des travailleurs. Tandis qu’à Aramon c’est l’intersyndicale qui appelle à la grève (deux heures par jour) entre mars et avril pour revendiquer également une augmentation des salaires, l’embauche des travailleurs précaires et l’amélioration des mesures de protection.
Les PDG se succèdent, la logique boursière reste
Avec l’arrivée de l’été, les conflits sociaux diminuent. La direction de Sanofi prépare pourtant de nouveaux missiles. En effet, sept mois après son arrivée à la tête du groupe en remplacement de Chris Viehbacher, Olivier Brandicourt présente, le vendredi 6 novembre 2015, les nouvelles orientations pour les cinq ans à venir. Son plan vise une économie de 1,5 milliard d’euros et un nouveau recentrage des activités.
Brandicourt chamboule le plan stratégique mis en œuvre par son prédécesseur, qui s’était évertué à diversifier les activités du groupe afin de booster sa croissance. En adoptant une nouvelle stratégie de recentrage, Sanofi, ne fait que suivre le chemin emprunté par ses concurrents depuis quelques années. Les groupes pharmaceutiques cherchent ainsi à atteindre une taille critique en se focalisant sur certaines spécialités.
Comme le montrent les graphiques ci-dessous, la stratégie de Chris Viehbacher avait permis de booster la croissance du groupe et, surtout, le montant des dividendes versés aux actionnaires.
Sur ce plan, les objectifs prévus pour 2011-2015 ont été atteints de façon extraordinaire. Sur la période, l’explosion du montant des dividendes chez Sanofi s’explique plus par la croissance de la part des bénéfices versés aux actionnaires (graphique 3) que par une augmentation absolue des bénéfices (graphique4).
En 2011, le taux de dividende du groupe Sanofi était de 24,1%, il fut de 97,87% en 2013 pour diminuer légèrement à 83,74% en 2014. Depuis 2013, le groupe verse donc presque l’ensemble de ses bénéfices à ses actionnaires. Des bénéfices qui eux suivent la courbe inverse puisqu’ils sont passés de 5,7 milliards en 2011 à moins de 4,4 milliards en 2014. On appelle cela "vider les caisses".
Malgré cette stratégie financière, la diversification du groupe comportait trop de risques aux yeux des actionnaires. En effet, la recherche et le développement de nouveaux médicaments est longue et risquée. Pour gagner du temps, il faut donc adopter une stratégie de recentrage. Le nouveau plan implique la simplification de l’organisation mondiale du groupe autour de cinq entités et le désengagement de certaines divisions perçues comme n’étant pas suffisamment en synergie avec les objectifs du groupe.
La filiale de santé animale Merial et l’activité des médicaments génériques sont ainsi sur la sellette. En effet, le 15 décembre Sanofi annonce l’accord de plus de 20 milliards d’euros pour échanger ses activités de santé animale contre celle de produits grand public du groupe allemand Boehringer Ingelheim. Sanofi envisage une opportunité d’échange similaire dans les médicaments génériques en Europe [24]. En acquérant les produits d’automédication de la société allemande, Sanofi pourrait devenir le premier groupe mondial de ce secteur devant Bayer. De son côté, Boehringer Ingelheim s’engage à conserver les opérations commerciales, les centres de R&D et les sites de production en France pour « deux ans » [25]. De quoi inquiéter les travailleurs, surtout lorsqu’ils apprennent, en janvier, l’annonce de la fermeture du site de Porcheville (Yvelines), racheté à Sanofi en 2010 par l’Américain Covance. Cette vente était assortie d’un engagement du repreneur de maintenir l’emploi pendant cinq ans alors que Sanofi s’engageait à concourir financièrement au fonctionnement de l’établissement durant la même période. Une fois cette convention arrivée à son terme, Covance annonce la fermeture du site entraînant 128 licenciements [26].
Selon les déclarations officielles, le plan de réorganisation aura pour conséquence la suppression de plus de 600 postes en France. Or, si on considère les licenciements annoncés et les postes laissés vacants à la suite des réorganisations précédentes, ce chiffre a quasiment doublé. En effet, à Sanofi Winthrop Industrie, une filiale qui regroupe douze usines en France et emploie 5.000 salariés, la direction a annoncé la suppression de 400 postes, alors qu’à Sanofi-Aventis France (qui chapeaute les activités commerciales de la firme), 155 suppressions y sont prévues, s’ajoutant aux 150 postes laissés vacants suite aux réorganisations précédentes. Le plan pointe aussi une centaine de départs au siège. Et si le communiqué du groupe assure que le plan ne prévoit pas de licenciements dans la R&D, les 290 postes vacants au sein de cette filiale seront définitivement supprimés. Plus de 1.000 emplois sont donc directement impactés. La réorganisation comprend également le « transfert juridique » de 870 à 1.000 postes vers les services centraux [27].
Mais la suppression de postes ne devrait pas compromettre la production. En effet, le groupe a organisé une première réunion en septembre avec les syndicats afin de lancer des négociations pour mettre en œuvre un « accord de compétitivité » au sein de Sanofi Winthrop Industrie, par lequel le groupe envisage d’augmenter la productivité
Productivité
Rapport entre la quantité produite et les ressources utilisées pour ce faire. En général, on calcule a priori une productivité du travail, qui est le rapport entre soit de la quantité produite, soit de la valeur ajoutée réelle (hors inflation) et le nombre de personnes nécessaires pour cette production (ou le nombre d’heures de travail prestées). Par ailleurs, on calcule aussi une productivité du capital ou une productivité globale des facteurs (travail et capital ensemble, sans que cela soit spécifique à l’un ou à l’autre). Mais c’est très confus pour savoir ce que cela veut dire concrètement. Pour les marxistes, par contre, on distingue la productivité du travail, qui est hausse de la production à travers des moyens techniques (machines plus performantes, meilleure organisation du travail, etc.), et l’intensification du travail, qui exige une dépense de force humaine supplémentaire (accélération des rythmes de travail, suppression des temps morts, etc.).
(en anglais : productivity)
de 20 à 25 % sur trois ans [28]. D’autres négociations sont en marche dans la division vaccins (Sanofi Pasteur) où la direction a averti qu’elle allait « dénoncer » les accords collectifs dont bénéficient ses salariés afin de négocier un nouvel accord réduisant le nombre de RTT pour passer de 21 à 12 jours [29]. Étant donné que le groupe ne se prononce pas sur des compensations salariales, si lors des négociations les représentants syndicaux acceptent cette nouvelle atteinte contre les travailleurs, il ne s’agira pas seulement d’une modification concernant le temps de travail, mais aussi du salaire horaire. Le groupe cherche ainsi à augmenter la performance tout en supprimant des postes.
Bien que la CGT et même la CFDT jugent inacceptables les suppressions annoncées, force est de constater qu’il n’y a pas, pour l’instant, de mobilisations prévues pour contrer ces attaques.
La bourse ou la vie
Au nom de la préservation de la compétitivité, la France a débuté l’année 2016, avec l’annonce de réductions d’effectifs dans l’ensemble du secteur pharmaceutique [30]. Ces « réorganisations » ne sont pas dues à leur mauvaise santé financière, mais plutôt à l’asymétrie de plus en plus importante entre les intérêts des actionnaires et ceux des travailleurs. En effet, si les dividendes versés en 1980 représentaient, en moyenne, la moitié des sommes consacrées aux investissements, en 2014, elles représentent deux fois et demie ce montant.
Selon les résultats publiés par Sanofi en février, le groupe a enregistré un chiffre d’affaires annuel en hausse de 9,7% à 37 milliards d’euros et son bénéfice net progresse de 7,7% pour atteindre 7,37 milliards d’euros. Sanofi a bénéficié d’effet de change favorable, car à taux de change constant, ses bénéfices chutent de 0,9% tandis que ses revenus grimpent de 2,2% [31]. Le groupe se ravit d’annoncer sa 22e année consécutive de hausse des dividendes. Il propose à ses actionnaires un dividende de 2,93 euros par action au titre
Titre
Morceau de papier qui représente un avoir, soit de propriété (actions), soit de créance à long terme (obligations) ; le titre est échangeable sur un marché financier, comme une Bourse, à un cours boursier déterminé par l’offre et la demande ; il donne droit à un revenu (dividende ou intérêt).
(en anglais : financial security)
de l’exercice écoulé, contre 2,85 euros pour 2014.
Chez Sanofi, la stratégie axée sur la rémunération des actionnaires est clairement énoncée en tant qu’objectif principal du groupe depuis 2011. Or, plus la part des bénéfices versés en dividendes est grande, moins la part réservée aux investissements est importante. Ce qui explique les licenciements, la surcharge de travail, l’augmentation des cadences, la réduction des sites jugés moins compétitifs et l’externalisation de la recherche.
Les plans de réorganisation ne concernent pas exclusivement leurs travailleurs : en 2014, l’entreprise a touché 17 millions d’euros d’aides de l’État au titre du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), censé favoriser l’emploi, et 125 millions au titre du crédit impôt recherche, alors que Sanofi multiplie les partenariats de R&D avec les laboratoires des universités publiques captant ainsi les innovations sans supporter les coûts. Privatisation de la recherche publique et subsides d’État au profit des actionnaires, voilà deux problématiques majeures qui touchent l’ensemble de la population.
Pour citer cet article :
Natalia Hirtz, "Sanofi : focus sur les restructurations. Quand le dividende devient religion", Gresea, mars 2016, texte disponible à l’adresse : http://www.gresea.be/spip.php?article1488