Les fonds océaniques sont une source de minerais potentiellement importante ; et de plus en plus intéressante vue la baisse de qualité des gisements terrestre et l’augmentation tendancielle de la demande mondiale en minerais. Américains, Chinois, Russes, Européens sont sur les rangs ; la Belgique aussi. Reste en suspens la question de la légitimité de l’exploitation de ces ressources (doit-on réellement creuser le fonds des océans ?), de leur propriété (patrimoine commun de l’humanité ?) et de la répartition des recettes éventuelles
La rentabilité économique des gisements de minerais n’est actuellement pas assurée, bien qu’à terme, avec l’épuisement des gisements terrestres facilement accessibles, on peut supposer qu’ils le deviendront. Les gisements de pétrole et gaz offshore sont rentables et représentent déjà une part non négligeable de notre consommation énergétique. La question technique n’est pas encore tout à fait réglée mais les progrès actuels laissent envisager une exploitation d’ici une ou deux décennies et peut-être même avant pour les sulfures hydrothermaux [1]. Reste maintenant la question de la propriété des fonds marins et de l’octroi des permis d’exploration et d’exploitation. C’est ce que nous allons tenter de voir dans cet article.
Deux cas de figure se présentent. Celui des zones côtières sous juridiction des États (les eaux territoriales et zones économiques exclusives - ZEE) et celui de la haute mer, ou des eaux internationales (toutes celles qui ne sont pas sous la juridiction d’un État).
Limites et extension des eaux territoriales
La règle est relativement simple lorsqu’il s’agit des eaux territoriales [2] et des zones économiques exclusives (ZEE) [3] : les États côtiers sont souverains sur leur territoire maritime et ce dans une limite de 200 milles nautiques (environ 370 km) pour l’exploitation du sous-sol (hydrocarbures et minerais). Ce sont donc les codes miniers nationaux qui régissent ces activités.
Cependant, malgré les conventions, quelques conflits demeurent à propos de la définition des limites des zones économiques exclusives des pays. C’est par exemple le cas en mer de Chine méridionale pour la possession des îles Spratleys, situées sur un important point de passage commercial et revendiquées par la Chine, le Viêt Nam et en partie par la Malaisie, Brunei, Taïwan et les Philippines. Le contrôle de ces îles permettrait également l’accès aux ressources halieutiques et à des gisements pétroliers et gaziers. On pourra aussi citer le litige autour de la mer de Beaufort, dans l’Arctique, située aux bords des côtes de l’Alaska (États-Unis) et du Canada et dont les sous-sols contiennent d’importantes réserves d’hydrocarbures.
Un autre facteur de tensions repose dans le fait que la zone économique exclusive peut selon certaines modalités être étendue aux limites du plateau continental – le prolongement d’un continent sous la mer (jusqu’à 350 milles nautiques, soit environ 648 km). Et là encore, les litiges apparaissent.
L’article 76 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer [4] (CNUDM encore appelée convention de Montego Bay) précise les conditions dans lesquelles le plateau continental peut être étendu. Les États côtiers qui voudraient accroître leur zone de souveraineté doivent soumettre un dossier à la Commission des limites du plateau continental [5], et apporter les preuves du bien-fondé de leur requête par des études hydrographiques (cartographie des fonds marins), bathymétriques (sondage les fonds marins) ou encore en récoltant des données sur l’épaisseur des sédiments et l’emplacement exact du "pied" des talus.
La définition des limites du plateau continental est une question très technique [6] et une partie des controverses repose sur le fait que les pays utilisent des mesures différentes pouvant aboutir à des résultats et interprétations tout à fait contraires.
Un exemple de conflit est celui concernant la propriété de l’Arctique (et du pôle Nord) que le Canada, la Russie, la Norvège, le Danemark et les États-Unis se disputent [7]. Selon les méthodes utilisées, la dorsale de Lomonossov - une chaine de montagnes sous-marine située en Arctique dont la propriété offrirait également la propriété du pôle Nord - pourrait "appartenir" au Danemark (via le Groenland), au Canada ou à la Russie.
Des tensions existent également entre la France et le Canada au sujet de la demande française d’extension du plateau continental autour des îles St-Pierre et Miquelon (peuplées d’environ 6000 habitants), situées à proximité du Canada dans une zone qui pourrait abriter d’importantes réserves d’hydrocarbures. Le Canada s’oppose catégoriquement à cette demande [8].
La convention sur le droit de la mer de Montego Bay (1982), entrée en vigueur en 1994, précise que les pays disposent d’un délai de 10 ans après la ratification du traité pour soumettre leur demande d’extension. 166 parties, dont l’Union européenne et la plupart des pays industrialisés [9] ont ratifié la convention à la fin des années 1990 et au début des années 2000. À ce jour, 73 demandes ont été formulées pour des demandes d’extension [10].
Plusieurs pays industrialisés se sont dotés de programmes de recherche pour récolter des données et soutenir leurs demandes à l’image du programme Extraplac [11] développé par la France. La Russie, la Norvège ou encore le Canada disposent aussi de tels programmes. Ces revendications ne concernent pas que les pays riches. L’Angola, la RDC, le Ghana ou le Nigéria ont également déposé des requêtes en ce sens. Le Golfe de Guinée, le Golfe du Bengale ou encore les Malouines font l’objet de demandes d’extension.
Remarquons ici que les pays riches disposent d’une avance scientifique, technologique et financière décisive pour mener les études nécessaires à la bonne conduite de leurs dossiers auprès de la Commission des limites du plateau continental. La perspective de trouver des hydrocarbures et/ou des minerais dans les sous-sols océaniques – que les réserves soient avérées ou simplement supposées - demeure la principale cause des demandes d’extensions.
Quelques demandes ont déjà été validées. Ce fut le cas de la Norvège qui a vu sa requête acceptée en 2009 [12] et son territoire s’étendre de 235.000 km2, l’équivalent de la superficie du Royaume-Uni ou une extension de 7 terrains de football par Norvégien. La France a également émis plusieurs requêtes dont certaines ont d’ores et déjà été acceptées aux Antilles françaises, aux iles Kerguelen, au sud-ouest de la Nouvelle-Calédonie et en Guyane pour une extension de 584.708 km2 [13]. Une extension non négligeable là encore : le périmètre supplémentaire accordé à la France est supérieur à la superficie de son territoire métropolitain !
Figure 1 – Demandes d’extension du plateau continental soumises au 13 mai 2009. (En bleu les zones économiques exclusives actuelles, en rouge les zones qui font l’objet de demande d’extension). Source : [http://bit.ly/1PCv981]
Quid des eaux internationales ?
Le deuxième cas de figure pour d’éventuelles mises en exploitation de gisements sous-marins concerne les zones qui ne dépendent d’aucun État ou d’aucune zone économique exclusive - c’est-à-dire la haute mer ou les eaux internationales.
La zone maritime internationale représente 64% de la surface des océans. La convention des Nations unies sur le droit de la mer régit les activités entreprises dans la zone internationale. Selon son préambule, elle vise la mise en place d’"un ordre économique international juste et équitable dans lequel il serait tenu compte des intérêts et besoins de l’humanité tout entière et, en particulier, des intérêts et besoins spécifiques des pays en développement, qu’ils soient côtiers ou sans littoral" La CNUDM précise par ailleurs qu’"aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté". La zone internationale et ses ressources sont reconnues depuis les années 1970 comme patrimoine commun de l’humanité.
La convention de Montego Bay a donné naissance à trois organes internationaux : le tribunal du droit de la mer (basé à Hambourg), la commission des limites du plateau continental (qui siège à New York, aux Nations Unies) et l’Autorité internationale des fonds marins – l’ISA, l’Autorité internationale des fonds marins (International Seabed Authority, basée à Kingston).
La gestion de la zone de haute mer pour ce qui concerne les ressources minérales est confiée, selon la convention de Montego Bay, à l’ISA. Il n’existe pour l’instant pas de code minier pour l’exploitation des fonds marins en haute mer, celui-ci étant toujours en cours d’élaboration. Peu d’informations ont filtré à ce sujet et les questions demeurent quant à l’orientation que prendra cette législation (inspiré du modèle canadien et du modèle de la Banque mondiale ou nouvelle approche fondée sur la notion de ressources communes de l’humanité ?). Depuis 2000, un règlement encadre la prospection et l’exploration des nodules polymétalliques. En 2010 et 2012, des règlements similaires pour les sulfures hydrothermaux et les encroutements cobaltifères ont été adoptés [14].
Les activités d’exploration doivent préalablement être approuvées par l’Autorité des fonds marins selon une procédure bien établie. Seuls les États membres de l’ISA (signataires de la convention de Montego Bay) peuvent postuler pour obtenir une licence d’exploration. Les entreprises peuvent obtenir des autorisations de prospection à condition d’être parrainées par un État membre.
Ces règlements ne donnent pour l’heure aucun droit sur les ressources pour les pays (ou les entreprises) qui entameraient une prospection. L’ISA rappelle que "l’exploration et l’exploitation se feront dans l’intérêt de l’humanité tout entière".
Patrimoine commun de l’humanité : vraiment ?
Pourtant, bien que les expéditions doivent être conduites "dans l’intérêt de l’humanité toute entière", seule une poignée de pays (ou d’entreprises) dispose des budgets [15], des technologies et des compétences scientifiques nécessaires pour mener à bien ces opérations de prospection.
De plus, les règlements pour l’exploration précisent que la préférence et la priorité pour une future exploitation industrielle des fonds marins sur un des secteurs déjà explorés seront données au contractant qui a déjà mis en œuvre les opérations de prospection – donc peu de chance qu’un PED en profite.
Alors comment ce "patrimoine de l’humanité" va-t-il bénéficier au plus grand nombre et pas seulement aux pays en mesure d’entamer des opérations ? La convention de Montego Bay et les règlements de l’ISA proposent que des zones soient réservées aux pays en voie de développement (PED) et que soient mises en place des compensations.
Les demandes d’autorisation de prospection doivent par exemple être accompagnées de modules de formation que le contractant organisera, auprès du personnel de l’ISA et des ressortissants des pays en développement. Par ailleurs, les contractants sont tenus de mener des études d’impact environnemental sur l’éventualité d’une exploitation future. Les données recueillies doivent être accessibles pour le public et les travaux scientifiques.
Un mécanisme de compensation pour les PED, en cas de mise en exploitation de gisements de minerais sous-marins, est évoqué dans la CNUDM [16]. Mais les modalités (fonds de compensation, royalties...) et les montants de ce mécanisme seront à déterminer avant la mise en production.
La convention de Montego Bay entrevoit donc un système de compensation afin que les richesses du sous-sol océanique puissent bénéficier à tous. Ceci constitue une avancée dans les relations internationales. Reste à voir comment ce mécanisme sera mis en application et si les pays "pionniers" acceptent de s’y plier si facilement. Ce qui ne semble pour l’instant pas être le cas de tous.
Les États-Unis et le droit international de la mer : une position ambigüe
Comme souvent lorsqu’il s’agit d’accords internationaux, les États-Unis n’ont pas ratifié la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer. Le président Reagan n’avait pas souhaité la présence des États-Unis comme partie de la CNUDM en 1983. L’absence de majorité au Sénat en 1994, sous le mandat du président Bill Clinton, n’a pas permis la ratification. Bien qu’ils mettent en pratique la plupart des dispositions de la CNUDM et malgré leur participation à l’élaboration de celle-ci, les États-Unis ne peuvent prétendre à l’obtention d’un permis octroyé par l’ISA. Les présidents Bush puis Obama ont également tenté de faire ratifier la CNUDM mais sans obtenir de majorité. Quelques années avant la rédaction de la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer en 1983, la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) avait accordé, à la fin de la décennie 1970, dix permis d’exploration d’une durée de 10 ans à quatre consortiums privés dans la zone de Clarion-Clipperton (voir carte ci-dessous) : Ocean Minerals Company (OMCO) ; Ocean Management, Inc. (OMI) ; Ocean Mining Associates (OMA) ; et Kennecott Consortium (KCON). Chacun de ces groupements est constitué d’intérêts américains mais aussi européens (Belgique, Italie, Pays-Bas, Canada, Japon, Allemagne...), via notamment des filiales de Shell, ENI ou de l’Union minière. L’essentiel des opérations s’est arrêté avec la mise en place de la CNUDM. Le refus de ratifier la convention est pour une bonne part dû à la frange la plus néo-conservatrice de l’aile républicaine à l’instar de l’ex-ambassadeur américain auprès des Nations Unies, John Bolton [17]. Les opposants à la ratification de la CNUDM par les États-Unis se réfugient derrière le principe de liberté en haute mer. Ce principe, assimilable au droit coutumier, date de 1815 et du congrès de Vienne et a été repris dans tous les traités postérieurs. Il concerne à la base la navigation dans les eaux internationales et pas l’exploitation des richesses de son sous-sol (encore loin d’être envisagée à cette époque). Plusieurs autres éléments expliquent la position américaine sur le sujet. On peut les retrouver dans un article [18] d’un think tank conservateur qui reprend les raisons des refus successifs d’adhérer à ce traité [19]. Le fait qu’une organisation internationale puisse se substituer à la juridiction américaine est un élément d’achoppement. Le rôle contraignant que l’ISA prend avec ce traité – compétence pour l’attribution des permis et retrait en cas de manquement aux normes environnementales, possibilité de dépêcher des inspecteurs à bords des bateaux– ne semble en effet pas du goût des États-Unis qui n’admettent pas qu’un de leur citoyen (en fait surtout de leurs entreprises) se voie refuser le droit d’exploiter les fonds marins comme bon lui semble. De même pour les transferts de compétences et l’obligation de former des personnes issues de pays en développement, les normes environnementales "trop rigoureuses", l’obligation de divulguer publiquement les informations scientifiques obtenues lors des explorations, le système de compensation financière, les redevances demandées par l’ISA ou encore le système de vote au sein du conseil exécutif de l’ISA (un membre = une voix). Les zones faisant l’objet d’un contrat avec l’ISA doivent également être rétrocédées pour moitié à l’ISA après 8 années d’exploration et sont censées être attribuées par la suite aux PED. Cela ne signifie évidemment pas que les États-Unis ne convoitent pas les ressources des fonds marins en haute mer. Les partisans américains de la ratification de la CNUDM mettent en avant l’intérêt que pourrait représenter l’adhésion à la convention pour les États-Unis. Cela concerne la reconnaissance ″ officielle ″de sa zone maritime exclusive (la 1re au monde en superficie) mais également la possibilité de pousser des dossiers d’extension du plateau continental (en Arctique notamment), de garantir une base légale à des entreprises américaines qui voudraient exploiter les fonds sous-marins mais également pour avoir un mot à dire dans plusieurs litiges en cours en siégeant à l’ISA et à la Commision des limites du plateau continental (notamment en mer de Chine). Figure 2 : La Zone Clarion-Clipperton selon les États-Unis. Tiré de S.Groves,2011 op.cit. |
Permis attribués : entreprises et États sur les rangs
En 2001 et 2002, l’ISA a octroyé les premiers contrats d’une durée de quinze ans pour explorer les zones contenant des nodules polymétalliques avec 7 "investisseurs pionniers" : l’Inde, la France, le Japon, la Russie, la Chine, un consortium nommé Interoceanmetal regroupant plusieurs pays (Bulgarie, Cuba, Russie, Pologne, République tchèque et Croatie) et la Corée du Sud.
En 2006, un permis a été octroyé à l’Allemagne et en 2012 et 2013, Nauru, Tonga, la Grande-Bretagne et la Belgique via une entreprise basée sur son sol (G TEC Sea Mineral Resources NV) ont également obtenu des permis de prospection.
G-Tec a repris depuis 2008 une zone d’exploration qui avait été initialement attribuée au consortium OMA (zone USA-3, voir encadré ci-dessus). Une des parties prenantes à ce consortium dont les activités ont été stoppées dès le début des années 80 n’est autre que l’Union minière – aujourd’hui devenue Umicore. Cette dernière participe à l’expertise de G-TEC et partage les données dont elle dispose. Plusieurs universités sont également partie prenantes. Selon le rapport publié par le CNRS et l’IFREMER [20], le gouvernement belge, qui a parrainé la demande de permis de G-TEC, ne souhaite pas à ce stade que l’identité des autres partenaires de G-TEC [21] soit rendue publique. Pour rappel, le parrainage d’une entreprise par un État implique que ce dernier se porte garant pour les travaux entrepris, c’est-à-dire pour les capacités techniques et financières de l’entreprise et pour ce qui concerne la préservation du milieu marin et de l’environnement [22].
Les documents concernant la demande d’approbation du permis d’exploration de G-TEC auprès de l’ISA évoquent un partenaire industriel belge, autre qu’Umicore, qui prend à charge les coûts engagés par G-Tec sans en donner l’identité. De même, plusieurs partenaires disposant "de ressources et de capacités techniques, opérationnelles et financières considérables" sont impliqués dans le projet [23]. L’exploration, par une entreprise belge, de zones pouvant recéler des métaux rares en plein milieu de l’Océan Pacifique laisse songeur. Des questions se posent dès lors sur les raisons de ce silence de la part des autorités belges (secret commercial ?), et sur la participation financière de la Belgique alors que les activités sont censées être entreprises « dans l’intérêt de l’humanité tout entière », selon les termes de l’Autorité internationale des fonds marins – donc, on peut le supposer, dans une certaine transparence. Une loi encadrant les activités d’entreprises belges pour la prospection et l’exploitation des ressources des fonds marins et de leurs sous-sols dans les eaux internationales a par ailleurs été votée en août 2013 afin de se conformer aux règlements de l’ISA.
Figure 3 : la zone de Clarion Clipperton selon l’ISA. On peut constater que les zones explorées par les Etats-Unis n’apparaissent pas. Elles ne sont cependant pas contestées ni attribuées par l’ISA à l’exception de la zone -3 américaine dont les explorations ont été abandonnées et qui ont été attribuées par la suite à l’entreprise belge G-TEC Mineral Resources.
Des permis d’exploration ont également été octroyés pour les sulfures polymétalliques et les encroutements cobaltifères dans l’océan Atlantique et l’océan Indien à la France, la Russie, la Corée et à la Chine (voir carte ci-dessous).
Figure 4 : Les permis d’exploration attribués en Atlantique et dans l’Océan Indien.
Source : http://www.unclosuk.org/isa.html
Les permis concernent en premier lieu les États, via des instituts de recherche nationaux ou entreprises publiques comme dans le cas de la France, de la Russie, de l’Inde ou de la Chine. Une partie de la recherche fondamentale (géologie, fonctionnement des écosystèmes…), est généralement financée par des instituts de recherche publics et universités. L’État agit ici souvent en soutien de ses entreprises nationales afin de leur procurer un avantage compétitif sur les concurrents.
Dans d’autres cas, ce sont des entreprises privées, "patronnées" (sponsored) par des États, qui seront en charge des prospections. L’État devient ainsi responsable, ou garant, des activités de l’entreprise et des éventuels dommages qui pourraient survenir.
UK Seabed Resources Ltd., une filiale de l’américain Lockhead Martin honorera le contrat britannique tandis que Nauru Ocean resources et Tonga offshore Limited seront en charge des prospections pour les contrats des deux îles du Pacifique. Ces deux dernières sociétés sont en fait des filiales de Nautilus Minerals, la même entreprise qui devrait débuter prochainement une exploitation en Papouasie Nouvelle-Guinée pour les sulfures hydrothermaux. Les îles Cook ont dernièrement fait appel à G-Tec Sea Mineral Resource pour entamer des prospections pour les nodules polymétalliques [24].
Les pays en développement ou les petits États insulaires ne disposant pas des capacités suffisantes ont pour l’heure recours à des entreprises privées (Papouasie Nouvelle Guinée, Nouvelle Zélande, Tonga...). La Belgique et le Royaume-Uni font aussi appel à des partenaires privés.
Premières exploitations imminentes dans les eaux territoriales
Dans les zones sous juridiction des États, un certain nombre de permis d’exploration ou d’exploitation a déjà été attribué. Ils ne concernent pour l’instant que les sulfures hydrothermaux. On retrouve à la fois des acteurs privés et publics.
En Papouasie Nouvelle-Guinée, Nautilus Minerals [25] dispose de plusieurs permis. Le projet Solwara 1 est en passe de devenir la première exploitation commerciale pour de telles minéralisations. Nautilus Minerals est contrôlé par Gazmetall Holdings (une entreprise russe basée à Chypre et liée à Metalloinvest), Anglo American et Teck ressources (Canada). Le projet a déjà suscité des remous avec l’Etat papou. Le début des opérations a en effet été interrompu près de deux ans en raison de divergence concernant les parts de l’Etat dans le projet. Celles-ci ont été fixées à 15% et peuvent monter jusqu’à 30%. [26]Les premières productions pourraient débuter fin 2017/début 2018.
Neptune Minerals [27], une autre société privée dont Newmont (une minière spécialisée sur l’or) est actionnaire, dispose de permis en Nouvelle-Zélande, au Japon en Papouasie Nouvelle-Guinée et dans plusieurs îles du Pacifique. Un projet en Nouvelle-Zélande pourrait être mis en exploitation dans les années à venir.
En mer Rouge, Diamond Fields international [28], qui avait déjà exploité les diamants dans les sédiments au large de la Namibie, a racheté les droits de Preussag sur le site Atlantis II Deep et prévoit d’y exploiter les boues métallifères hydrothermales dans les eaux soudanaises et saoudiennes.
Il s’agit des projets dont l’avancement est le plus poussé à l’heure actuelle. D’autres permis ont également été octroyés dans les zones économiques de certains États mais restent encore en phase exploratoire.
On pourra citer JOGMEC (Japan oil gas and metal national corporation) qui explore les eaux japonaises à la recherche de minéralisations. Un consortium français (Eramet, Technip et Ifremer) a également engagé des explorations dans la ZEE de Wallis et Futuna depuis 2010.
Une association entre Anglo American et De Beers a entamé des recherches, principalement pour l’or, au large de la Nouvelle-Zélande. Les explorations ne s’étant pas avérées fructueuses, le projet a été mis en sommeil en 2011.
Vers une ruée sur les minéralisations des fonds marins
Les moyens financiers, techniques, scientifiques et humains déployés pour l’exploration des ressources minérales sous-marines témoignent de l’importance que les États et certains acteurs privés accordent au sujet. Si dans les années 1980 la question de la rentabilité primait, la sécurisation des approvisionnements en matières premières est désormais devenue centrale.
Les progrès scientifiques dans la connaissance des fonds océaniques (même si elle n’en est encore qu’à ses débuts), les difficultés d’accès aux ressources minérales terrestres qui vont s’amplifier dans les prochaines décennies et les technologies qui arriveront prochainement à maturité ne laissent guère de doute sur le fait qu’une exploitation commerciale sera mise en œuvre dans les années à venir – en dehors des considérations environnementales.
Ainsi s’est engagée une compétition sur les plans techniques, scientifiques, financiers mais également juridiques avec les demandes en cours pour l’extension des domaines maritimes nationaux et des plateaux continentaux.
Reste en suspens la question du droit international pour les zones maritimes qui ne sont pas sous juridiction d’un État mais également celle de la répartition des profits qui pourraient découler de leur mise en exploitation. Les pays signataires de la Convention des Nations-unies sur le droit de la mer reconnaissent le principe selon lequel les ressources océaniques des zones internationales sont "patrimoine de l’humanité" or, une vingtaine de pays dont les États-Unis n’ont toujours pas ratifié la convention.
Les modalités d’un système de compensation pour les PED demeurent encore floues (fonds de compensation, formations, transfert de technologies...) et l’attribution des permis d’exploration par l’Autorité internationale des fonds marins suit toujours, dans la pratique, la règle du "premier arrivé, premier servi". Ceci constitue un élément de tension entre les pays industrialisés disposant des technologies les plus avancées et les pays en développement qui souhaiteraient également tirer profit de cette nouvelle manne.
Cette fracture "Nord-Sud" concerne l’accès aux ressources minérales profondes, les transferts de technologies mais également les ressources génétiques marines (dont les applications médicales et industrielles sont tout à fait prometteuses) qui font l’objet de multiples demandes de brevets - bien souvent à l’initiative des pays les plus "avancés".