Émeutes de la faim dans une quarantaine de pays d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie : la crise alimentaire, conduit à poser une question centrale. Pourquoi les prix des denrées alimentaires, aujourd’hui en baisse, ont-ils flambé ? Ébauche d’explication.

Les causes qui président à la flambée récente des prix des produits de base alimentaires (blé, soja, maïs, riz, huile de palme, lait), contribuant elle-même à la crise alimentaire, sont évidemment multiples. À des degrés divers selon les produits et les analyses des uns et des autres, sont notamment invoquées les opérations spéculatives, la faiblesse des stocks mondiaux, le développement des agrocarburants, la hausse des cours du pétrole, la croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
de l’Asie et plus particulièrement de la Chine et de l’Inde, les conditions climatiques défavorables dans d’importants pays producteurs, etc.

Un facteur a, de l’avis de nombreux experts, joué un rôle plus décisif : la spéculation Spéculation Action qui consiste à évaluer les variations futures de marchandises ou de produits financiers et à miser son capital en conséquence ; la spéculation consiste à repérer avant tous les autres des situations où des prix doivent monter ou descendre et d’acheter quand les cours sont bas et de vendre quand les cours sont élevés.
(en anglais : speculation)
opérée sur les marchés à terme de produits de base agricoles. Mais en quoi consiste-t-elle concrètement ? Quels en sont les mécanismes ? Pour y voir clair, il faut comprendre ce que sont les marchés à terme agricoles, comment ils fonctionnent et à quoi ils servent. Pour ce faire, il est utile de partir des deux grands types de transactions commerciales opérées sur les marchés physiques : les transactions "au comptant" et les contrats "à livraison différée".

Le marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
physique est celui où se négocie la livraison physique du produit concerné. Toutes les transactions sont supposées y déboucher sur une telle livraison. Deux grands types de transactions commerciales s’y effectuent. Tout d’abord, les transactions "au comptant" intervenant sur les marchés au comptant, également appelés marchés "spot". Sur un marché spot, "vendeurs et acheteurs négocient de façon bilatérale en vue du transfert physique d’un produit. Les spécificités du contrat (conditions de paiement, caractéristiques de la marchandise Marchandise Tout bien ou service qui peut être acheté et vendu (sur un marché).
(en anglais : commodity ou good)
) résultent de leur accord. La livraison et le paiement sont immédiats à l’accord" [1].

Les transactions au comptant constituent le moyen le plus simple de commercialiser un produit. Mais dans certains cas et compte tenu du développement des échanges (géographiquement et en volumes), les acteurs peuvent avoir besoin de s’entendre pour une livraison ultérieure. C’est là qu’interviennent les transactions à "livraison différée", ou encore "contrats forward", "permettant à deux contreparties de s’entendre sur un échange avec livraison à une échéance éloignée. La négociation se fait sur l’instant mais les modalités de livraison (date et lieu) et de paiement sont différées. Un producteur peut ainsi s’assurer une marge en fixant un prix avant la récolte" [2]. De même, un acheteur peut spéculer sur l’hypothèse d’un meilleur prix à l’arrivée. Ces transactions à livraison différée se font sur un marché dit "de gré à gré", c’est-à-dire sur un marché non réglementé : "l’opération est effectuée entre deux parties, le plus souvent par téléphone, sans autres contraintes que le respect des règles de droit commun " [3].

D’une certaine manière, le contrat à livraison différée peut être considéré comme une forme de couverture Couverture Opération financière consistant à se protéger contre un risque lié à l’incertitude des marchés futurs par l’achat de contrats d’assurance, d’actes de garantie ou de montages financiers.
(en anglais : hedge)
du risque prix. Le risque prix est le risque, pour un opérateur actif sur le marché physique, de subir une perte financière découlant d’une variation défavorable des cours entre le moment où se négocie la livraison future de la marchandise et le moment où cette marchandise sera effectivement livrée. Et inversement pour l’acheteur, en cas de variation favorable des dits cours. Avec un contrat à livraison différée, le vendeur est en effet d’ores et déjà sûr du prix auquel il vendra plus tard sa production (6 mois, 1 an,…), de même que l’acheteur est certain du prix auquel il l’achètera ultérieurement. Malheureusement pour le vendeur ou pour l’acheteur, cette manière de procéder comporte elle-même des risques importants, réduisant du même coup considérablement l’intérêt de ce type de transactions en termes d’instrument de gestion du risque prix [4] :

  • Le risque de contrepartie. C’est le risque pour un vendeur (ou un acheteur) que l’acheteur (ou le vendeur) n’honore pas ses engagements au moment venu, quelles qu’en soient les raisons ;
  • Le risque de livraison. C’est le risque d’une différence entre la date de livraison convenue et la date de livraison réelle ;
  • Le risque de qualité. C’est le risque d’une non correspondance entre la qualité négociée et la qualité effective de la marchandise livrée.

C’est ici qu’entrent en scène les marchés à terme.

 Les marchés à terme et leurs rôles

Jusqu’à présent, nous n’avons parlé d’opérations à livraison différée que dans le cadre des marchés physiques. Or, ces opérations peuvent également avoir lieu sur les marchés "à terme" [5]. On ne parle plus de "transactions à livraison différée" (opérations à livraison différée effectuées de gré à gré), mais de "contrats à terme" (opérations à livraison différée effectuées sur un marché à terme). Un marché à terme consiste justement en un marché d’opérations à livraison différée dont la spécificité est d’être "un marché organisé, réglementé qui ne laisse pas la place à des manipulations et des pouvoirs sur celui-ci" [6]. Plus précisément, le marché à terme est un marché d’opérations à livraison différée organisé comme suit :

  • Les transactions y sont standardisées [7]. Un contrat à terme est "un engagement à livrer une marchandise dans des conditions standardisées " [8]. En l’occurrence, sont standardisés la quantité, la qualité, le lieu et la date de livraison. La seule condition soumise à la négociation des parties est le prix, établi à la criée ou de façon électronique [9].
  • Les transactions y sont sécurisées. Le risque de contrepartie est évité, grâce au recours à un "mécanisme de compensation", lui-même rendu possible par l’existence d’une "chambre de compensation", dont le rôle est de garantir la sécurité financière du marché à terme. Habert nous explique : "Sur un marché à terme, lorsque A négocie un contrat à terme avec B, la chambre de compensation du marché à terme s’intercale entre A et B et se retrouve contrepartie à la fois de A et de B. A négocie bien le prix avec B, mais ensuite tout se passe comme si A achetait à terme à la chambre de compensation qui elle-même achète à terme à B. Si B est défaillant d’ici l’échéance de livraison, par incapacité financière ou par malhonnêteté, A n’en est pas affecté puisqu’il a la chambre de compensation comme contrepartie ultime. Cette dernière prend toutes les précautions nécessaires pour ne pas avoir à puiser sur ses fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
    (en anglais : fund)
    propres en cas de défaillance d’un client. La sécurité financière du système est assurée en particulier par des mécanismes très sûrs" [10]. Ces mécanismes sont, d’une part, le "dépôt de garantie" et, d’autre part, les "appels de marge". Pouvant prendre différentes valeurs selon le type de marchandises et le niveau de risque encouru, le "dépôt de garantie" est le versement par tout client, qu’il soit acheteur ou vendeur, d’une somme donnée [11]. Les "appels de marge" correspondent quant à eux à des flux Flux Notion économique qui consiste à comptabiliser tout ce qui entre et ce qui sort durant une période donnée (un an par exemple) pour une catégorie économique. Pour une personne, c’est par exemple ses revenus moins ses dépenses et éventuellement ce qu’il a vendu comme avoir et ce qu’il a acquis. Le flux s’oppose au stock.
    (en anglais : flow)
    financiers, quotidiennement reçus ou versés par tout client à la chambre de compensation, et qui sont fonction des gains ou des pertes réalisés par les opérateurs découlant des variations de cours d’une journée à l’autre. Supposons par exemple qu’un industriel achète sur le marché à terme une quantité donnée d’une marchandise donnée [12]. Si d’un jour à l’autre, le cours de cette marchandise s’apprécie, notre acheteur est gagnant, puisqu’il est en position d’acheter cette marchandise à un prix inférieur à sa valeur, étant donné la hausse du cours. Dans ce cas, la chambre de compensation devra lui verser les gains réalisés au cours de la journée. Si, en revanche, le cours baisse, cet industriel devra verser l’équivalent de ses pertes du jour à la chambre de compensation [13].
  • Les transactions y sont "fongibles". "Fongibilité" signifie que sur le marché à terme, un opérateur peut aisément se désengager de son engagement à vendre ou à acheter. Pour ce faire, il lui faut juste "déboucler sa position", c’est-à-dire "effectuer une opération de sens inverse à celle déjà effectuée. Ainsi, pour un opérateur ayant déjà acheté à terme, déboucler sa position consiste à revendre à terme avant l’échéance, pour la même quantité et sur la même échéance. Les deux opérations ont été effectuées à des dates différentes, et donc à des prix différents, mais sur un produit identique (…) Les deux engagements pris dans des sens opposés se compensent, et donc s’annulent : reste le différentiel des prix à recevoir ou à verser suivant que les cours ont monté ou baissé. Inversement, un opérateur ayant commencé parvendre à terme, rachètera à terme pour la même quantité et sur la même échéance pour déboucler sa position" [14].
  • Le marché à terme est localisé et réglementé. Les opérations d’achat et de vente à terme sont centralisées en un même lieu. Celui-ci peut être physique. On parle alors de cotations "à la criée" : "des opérateurs, vêtus de vestes très colorées, s’époumonent à trouver des contreparties sur un pit, sorte de plate-forme où l’on traite des contrats à terme" [15]. Mais il peut aussi s’agir, et c’est le cas de manière croissante, d’un lieu électronique : "chaque opérateur passe alors ses ordres à travers un réseau informatique, le carnet d’ordres étant géré par un serveur" [16]. Que l’on parle de marché à la criée ou électronique, les équipes des marchés à terme ont notamment pour fonction de "définir et mettre au point les caractéristiques des contrats standardisés, (…) d’établir des règles de transactions entre opérateurs qui puissent garantir l’unicité du prix née de la confrontation de l’offre et de la demande, (…) de diffuser en temps réel, pour chaque contrat à terme et chaque échéance, l’information concernant à un instant donné les prix proposés à l’achat et à la vente, les volumes de transaction, le dernier prix pratiqué (…) En bref, les équipes des marchés à terme ont pour principal objectif d’assurer la transparence, la liquidité Liquidité Capacité d’avoir des fonds disponibles pour payer au moment opportun fournisseurs, créanciers, salariés, caisses sociales, etc.
    (en anglais : market liquidity ou cash)
    et la sécurité des transactions. Les prix sont alors de véritables prix de marché, connus de tous, ce qui peut conférer au marché à terme un statut de marché de référence" [17]

Comme le montre ce qui précède, les règles et mécanismes de fonctionnement des marchés à terme garantissent la bonne fin des opérations. C’est là l’un des rôles essentiels de ces marchés [18] : ils assurent à chaque contrepartie la livraison d’une quantité et d’une qualité conformes aux termes du contrat, et sécurisent le paiement de la marchandise [19]. Autrement dit, les marchés à terme permettent d’éliminer, non seulement le risque de contrepartie, mais aussi le risque de livraison et le risque de qualité, tous trois caractéristiques des transactions à livraison différée opérées sur les marchés physiques [20].

En choisissant d’acheter ou de vendre des marchandises physiques sur les marchés à terme, les opérateurs sécurisent donc leurs transactions. Cela étant, acheter ou vendre une marchandise physique sur un marché à terme présente des inconvénients, que l’on pourrait grossièrement résumer en affirmant que les conditions standard de livraison, caractéristiques de tout contrat à terme, correspondent mal aux spécificités de la livraison voulue (différentiels de qualité, de lieux de livraison, etc.). En fait, l’intérêt premier des marchés à terme est ailleurs : il permet une couverture du risque prix [21]. Nous y reviendrons un peu plus loin.

Outre le rôle de garantie de bonne fin des transactions, et celui de permettre une couverture du risque prix, les marchés à terme jouent encore d’autres rôles. On citera en particulier celui d’une découverte et diffusion d’un prix unique, anticipation d’un prix futur. Citons à cet égard Declerck et Portier : "Le marché à terme centralise toutes les offres et demandes d’un produit à un moment donné. Un prix unique est mis en évidence par la rencontre de l’offre et de la demande sur le marché afin que toute la quantité offerte soit égale à toute la quantité demandée. Le prix formé lors de chaque transaction est public, c’est-à-dire porté à la connaissance de tous, notamment des opérateurs de la filière. En centralisant toutes les offres et les demandes d’un produit, le marché à terme synthétise les anticipations des opérateurs. Il offre ainsi la meilleure anticipation de prix futurs. Ce prix est disponible pour tous, utilisateurs et non utilisateurs des marchés à terme" [22]. A supposer, naturellement, que ces prix "publics" le soient pour tous simultanément…

Le cours ainsi déterminé sur un marché à terme correspond concrètement à la dernière cotation Cotation Affichage public des cours de titres qui évoluent continuellement au gré des opérations d’achat et de vente.
(En anglais : valuation ou pricing)
réalisée sur ce marché. Les cotations peuvent être déterminées "en continu" ou "par fixing". Dans le premier cas, les marchés à terme "enregistrent des transactions au fil de l’eau dès qu’un accord entre vendeur et acheteur est possible. Il en résulte un nombre de cotations illimité au cours d’une séance". Dans le second cas, "les offres et les demandes s’accumulent sans qu’aucune cotation ne survienne. Au moment de la cotation, une confrontation des offres et demandes est pratiquée et le cours auquel le plus grand échange de titres est possible est retenu comme cours de cotation" [23].

À présent, voyons en quel sens les marchés à terme permettent une couverture du risque prix et en quoi cette couverture consiste.

  La couverture du "risque prix"

Comme l’écrit Habert, le marché à terme "n’a pas vocation à être un marché physique" [24], au sens où même s’il est possible d’acheter ou de vendre de la marchandise physique sur ce marché [25], l’intérêt essentiel qu’il présente est ailleurs. C’est la couverture du risque prix. Sans rentrer dans des détails inutilement techniques, essayons d’en résumer le principe général, en prenant l’exemple d’un opérateur cherchant à couvrir le risque prix inhérent à une transaction à livraison différée (par définition opérée sur le marché physique) [26]. Lorsqu’il prend l’engagement de vendre ou d’acheter à livraison différée, la manière dont cet opérateur peut couvrir sur le marché à terme le risque prix inhérent à cette vente ou à cet achat sur le marché physique procède en deux temps :

  • dans un premier temps, l’opérateur adopte au même moment, ou peu de temps après, une position équivalente mais opposée sur le marché à terme. En clair, s’il a décidé de vendre sur le marché physique, il adopte une position d’acheteur équivalente sur le marché à terme. S’il a décidé d’acheter sur le physique, il adopte une position de vendeur équivalente sur le terme.
  • dans un deuxième temps, lorsque viendra pour l’opérateur le moment de livrer ou de prendre possession de la marchandise sur le marché physique, l’opérateur débouclera sa position sur le marché à terme, ce qui n’a bien entendu de sens que si le contrat à terme n’est pas encore arrivé à échéance [27].

Dans ces conditions, les gains réalisés sur un marché seront compensés par des pertes équivalentes sur l’autre et inversement. Supposons par exemple que notre opérateur vend à 100 à livraison différée sur le marché physique. Il décide alors de se couvrir sur le marché à terme, en achetant à terme à 100. Supposons ensuite qu’entre le moment où il s’est engagé à vendre et le moment où il vend effectivement, le prix soit monté à 200 sur le marché physique. Dans ce cas, notre vendeur est perdant sur ce marché : il ne vend qu’à 100 ce que d’autres vendront à 200 au comptant (perte de 100). En revanche, il est gagnant sur le marché à terme : il vendra à 200 ce qu’il avait acheté à seulement 100 (gain de 100). À l’inverse, si le cours sur le physique a chuté à 50, il gagnera 50 sur ce marché (100 – 50). Par contre, il sera perdant sur le marché à terme, ne vendant qu’à 50 ce qu’il a acheté à 100 (perte de 50).

À vrai dire, dans la réalité, les choses ne se passent pas exactement de cette façon. Car les prix du marché physique et ceux du marché à terme ne sont pas exactement les mêmes. Le concept de "base" désigne précisément la "différence entre la cotation sur le marché à terme et le cours au comptant constaté sur le marché physique local" [28]. Cette différence est des plus logiques puisque la négociation des prix sur le marché physique implique nécessairement, nous l’avons vu, l’application de différentiels en termes de qualité, de coûts de transport ou de coûts de stockage. Par conséquent, la valeur des gains réalisés sur l’un des marchés n’est pas parfaitement équivalente à celle des pertes réalisées sur l’autre. Mais ces valeurs sont très proches, dans la mesure où les prix sur un marché et sur l’autre sont effectivement proches et qu’ils évoluent de manière similaire. Ce qui, là encore, est aisément compréhensible, ne serait-ce que dans la mesure où "les marchés à terme sont des extensions des marchés physiques. Ils sont nés de l’évolution de ces derniers et leur permettent une meilleure efficacité, notamment grâce à leur rôle d’information. Pour bien appréhender le fonctionnement d’un marché à terme, il faut d’abord comprendre l’évolution du marché physique sous-jacent et de son organisation" [29].

 La spéculation

Pour que les professionnels des marchés physiques puissent se couvrir contre le risque prix, d’autres doivent prendre ce risque. On dit précisément des premiers qu’ils "transfèrent" leur risque prix aux seconds. Les seconds, ce sont les fameux spéculateurs. Sur les marchés à terme, la "spéculation" est "l’opération qui consiste à acheter (vendre) des lots sur le marché à terme dans l’espoir de réaliser un bénéfice lors de leur revente (rachat) ultérieure" [30]. Contrairement aux opérateurs qui, cherchant à se couvrir contre le risque prix, interviennent à la fois sur le marché physique et le marché à terme, ces spéculateurs n’interviennent en principe que sur le marché à terme [31]. Ils ne s’intéressent pas à la marchandise physique.

Dans un contexte de forte volatilité des prix agricoles, la spéculation sur les marchés à terme joue donc un rôle économique fondamental : sans elle, la couverture du risque prix sur ce marché serait tout simplement impossible. Mais en même temps, existe toujours le risque d’un "excès de spéculation", c’est-à-dire d’une situation où l’ampleur de l’activité spéculative est suffisante pour induire des variations à la hausse ou à la baisse des cours à terme qui "déconnectent" en quelque sorte ces cours des conditions réelles du marché physique. Ou, plus précisément, qui les déconnectent des prix auxquels acheteurs et vendeurs opéreraient leurs transactions sur le marché physique en l’absence de toute prise en compte de l’évolution des cours à terme. C’est en ce sens que l’on peut parler d’excès. "On peut effectivement s’interroger lorsque l’on voit tel ou tel fonds de pension ou d’investissement Investissement Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
, aux moyens financiers colossaux, jeter son dévolu sur un marché à terme de matières premières en prenant de grosses positions à l’achat ou à la vente à des fins purement spéculatives. Peu importe au gestionnaire de fonds d’intervenir sur le café ou le soja, (…) il intervient en spéculation en espérant emmener le marché dans son sens et faire un aller-retour gagnant dans le minimum de temps possible. Ce qui fait dire à certains que les spéculateurs apportent certes de la liquidité au marché, mais en accroissant aussi la volatilité, ce qui est contre-productif. (…) Un marché à terme navigue constamment entre deux écueils : une présence insuffisante de spéculateurs nuit à la liquidité des transactions et rend ce marché peu crédible aux yeux de ses utilisateurs finaux ; inversement, une présence trop importante de spéculateurs peut provoquer des variations de prix qui n’ont plus rien à voir avec ce qui se passe réellement sur le marché physique" [32].

C’est à ce type de dérives que l’on a assisté au cours des derniers mois. Disposant de montants colossaux (parfois plusieurs milliards de dollars), les fonds de pension et autres fonds spéculatifs cherchent constamment à réaliser les investissements les plus lucratifs. Pour ce faire, l’enjeu est d’abord d’identifier les marchés financiers les plus porteurs.

Or, récemment, les marchés à terme de matières premières agricoles sont devenus particulièrement attractifs pour ces fonds. Anticipant, pour des raisons multiples, de futures hausses de prix [33], ils se sont mis à spéculer massivement sur ces marchés. C’est-à-dire à acheter virtuellement lorsque les cours sont bas pour revendre ensuite lorsqu’ils sont plus élevés, afin de réaliser des profits substantiels. Ce faisant, les spéculateurs ont amplifié considérablement les hausses de prix [34]. De toute évidence, l’ampleur phénoménale des hausses de prix constatées au cours de ces derniers mois résulte en grande partie de cette activité spéculative.

Notes

[1Declerck F., Portier M., Comment utiliser les marchés à terme agricoles et alimentaires, Paris, Editions France Agricole, 2007, 271 p.

[2Declerck F., Portier M., Ibid.

[3Habert N., Les marchés à terme agricoles, Paris, ellipses, (Technosup), 2002, 259 p.

[4Declerck F., Portier M. Ibid.

[5Les expressions « à livraison différée » et « à terme » sont d’ailleurs synonymes.

[6Declerck F., Portier M. Ibid.

[7Habert N., Ibid.

[8Declerck F., Portier M., Ibid.

[9Declerck F., Portier M., Ibid.

[10Habert N., Ibid.

[11Habert N., Ibid.

[12Cette quantité s’exprime en nombre de lots, chaque lot se caractérisant par la même quantité, standardisée.

[13Habert N., Ibid.

[14Habert N., Ibid.

[15Habert N., Ibid.

[16Habert N., Ibid.

[17Habert N., Ibid.

[18Declerck F., Portier M., Ibid.

[19Habert N., Ibid.

[20Declerck F., Portier M., Ibid.

[21Habert N., Ibid.

[22Declerck F., Portier M., Ibid.

[23Voir le site Internet du crédit mutuel : https://www.creditmutuel.fr

[24Habert N., Ibid.

[25Pour autant que le produit commercialisé soit effectivement commercialisable (« filiérable ») sur ce marché.

[26Le raisonnement est un peu différent si l’on prend d’autres exemples, comme celui d’un agriculteur intervenant sur le marché à terme pour couvrir une vente au comptant sur le marché physique. Cela étant, le principe général de la couverture est le même dans tous les cas.

[27Si tel est le cas, notre opérateur doit livrer ou acheter la marchandise par l’entremise du marché à terme. Il ne s’agit alors plus d’intervenir sur le marché à terme pour couvrir le risque prix.

[28Habert N., Ibid.

[29Declerck F., Portier M., Ibid.

[30Habert N., Ibid.

[31"En principe" dans la mesure où s’ils le souhaitent, ces acteurs peuvent également investir sur le marché physique dans une perspective spéculative. Ce qui renvoie à la notion de « spéculation » sur le marché physique, que l’on pourrait définir en disant qu’elle consiste à stocker plus longtemps une marchandise avant de la commercialiser, en espérant que son prix sera plus élevé lorsque l’on décidera de vendre. De fait, aujourd’hui, certains fonds d’investissements commencent à intégrer le marché physique dans une optique spéculative. C’est par exemple le cas de Whitebox Advisors, qui a récemment acheté plusieurs silos à grain appartenant auparavant à Cargill et à ConAgra, pariant sur une hausse à long terme des prix alimentaires.

[32Habert N., Ibid.

[33Ces anticipations sont en bonne partie le résultat d’une analyse, par les spéculateurs, de l’évolution des fondamentaux du marché (la croissance des pays émergents, le développement des agrocarburants, etc.).

[34La volatilité des prix, c’est-à-dire leurs fluctuations, s’est sensiblement accrue depuis que les fonds spéculatifs ont investi davantage les marchés à terme de marchandises agricoles.