Cela faisait la Une du Financial Times (FT), le vendredi 10 mai 2013 : Kofi Annan tirait le Congo par les oreilles pour avoir conclu des contrats miniers opaques. Nous sommes le 13 mai aujourd’hui, un expert (Paul Collier) a péroré sur l’affaire, mais l’accusé n’a toujours pas été invité à donner sa version des faits dans les colonnes du FT.
De quoi s’agit-il ? Kofi Annan personnifie ici le Africa Progress Panel (présidé par Annan). D’autres membres du Panel sont Michel Camdessus (ancien DG du Fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
monétaire international), Tidjane Thiam (PDG du groupe d’assurances britannique Prudential) et Robert E. Rubin (ministre des Finances sous le président américain Bill Clinton). Ce panel, constitué en 2008, dit "amplifier la voix de l’Afrique" et œuvrer pour que "les affaires africaines" prennent une place centrale dans les fora mondiaux de décision, tels que le G20
G20
Extension du G8 à d’autres pays de la planète, considérés comme importants par leur taille et leur poids politique et économique. Il s’agit de 19 pays (Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Russie et Turquie) et de l’Union européenne. Créé en septembre 1999, ce groupe a pris une importance croissante avec la crise économique, étant donné qu’il apparaît que celle-ci ne peut plus être résolue par les pays du G8 seuls.
(En anglais : G20)
et le G8
G8
Groupement des huit pays considérés comme les plus industrialisés (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon et Russie). Réunis pour la première fois en 1975 à l’initiative du président français Valéry Giscard d’Estaing, les chefs des États qui composaient à l’époque le G7 se retrouvent une fois par an vers la fin juin. Depuis 1995, ces réunions s’ouvrent régulièrement à la participation du président de la Fédération de Russie. C’est un groupe informel, dont les décisions éventuelles n’ont aucune valeur juridique.
(En anglais : G8)
. Le beau monde se charge donc des préoccupations des Africains de souche.
Ce panel sort donc maintenant un rapport sur les industries extractives en Afrique. Ce rapport est une compilation de données trouvées ailleurs. En citant les uns et les autres, une tripartite de sources gouvernementales, d’organisations privées et d’entreprises a été associée à cette publication, histoire de créer du "consensus".
Deux jours avant sa publication, le rapport a été applaudi par Global Witness (participant à la tripartite). La veille de la publication, le Financial Times a cerné le contenu et orienté tous les esprits dans une direction, celle de cet éternel panier de problèmes, le Congo. Le FT reprend un seul élément, en oubliant le restant des 120 pages du rapport. Le quotidien de la City de Londres explique qu’au Congo des concessions minières de l’État ont été vendues au rabais, à des sociétés offshores qui les ont revendues avec profit. De cette manière, le Congo aurait perdu 1,36 milliard de dollars en revenus. Une entreprise du Kazakhstan, la Eurasian Natural Resources Corporation (ENRC), aurait profité du bradage.
En Grande-Bretagne, la ENRC fait l’objet d’une enquête. Le 25 avril 2013, le Bureau des Fraudes Sérieuses de la justice britannique a ouvert une enquête contre elle pour des accusations de fraude et de corruption active et passive au Kazakhstan et en Afrique. Le Panel de Kofi Annan reprend des accusations lancées contre cette même entreprise en novembre 2011. A ce moment-là le Congo était en pleine campagne pour les élections présidentielles et législatives. Or, prétendait alors le député Eric Joyce, le président congolais Joseph Kabila aurait vendu des biens miniers pour des cacahuètes à des sociétés offshore, ce qui aurait coûté au Congo la rondelette somme de 5,5 milliards de dollars. "Cinq milliards de dollars" : la somme était facile à retenir et avait donc été reprise de tous bords par des activistes, honnêtes et moins honnêtes. Joyce citait cinq ventes, fort douteuses d’après lui. Le Panel de Annan cite ces mêmes cinq ventes. Mais le Panel arrive à une perte totale de 1,36 milliard de dollars, sans pour autant évoquer l’agitation menée en 2011 contre le président Kabila par Eric Joyce.
Comme suite à ce constat, une lecture détaillée du Rapport Annan s’impose. Il contient des propositions constructives, telle la divulgation obligatoire et complète de ce que possèdent les entreprises qui voudraient obtenir des concessions minières en Afrique. Mais à partir du Jour-1, le rapport est utilisé pour s’en prendre de manière unilatérale à des États affaiblis par des décennies d’ajustements structurels. Le Congo est la cible la plus facile pour cette mouvance. Elle laisse le gros gibier paisiblement en dehors de la ligne de mire.
Cinq ventes de concessions sous-évaluées (tous les montants en millions de dollars US)
Ce tableau compare les montants des pertes supposées subies par le Congo, des ventes de cinq concessions, cités d’abord en novembre 2011 par le député britannique Eric Joyce et ensuite en mai 2013 par le Africa Progress Panel (APP).
En 2011, les concessions de Kolwezi (‘KMT’) et de Comisa/Frontier ont été reprises par le gouvernement congolais en dépit de l’entreprise canadienne First Quantum. Cette entreprise a riposté avec une série d’actions (e.a. en justice et, via le gouvernement canadien, devant les G8) mais surtout avec une campagne de diffamation. La valeur de ces concessions a été surestimée par le député britannique Eric Joyce.