L’agriculture est encore l’activité la plus partagée au monde, occupant plus de la moitié de la population dans le Tiers-monde. Mais paradoxalement, c’est cette population qui souffre le plus de la faim, de la malnutrition. La montée en puissance de l’agriculture mercantile productiviste, "l’agrobusiness", dominé par quelques grandes firmes multinationales et épaulé par l’OMC OMC Organisation mondiale du Commerce : Institution créée le 1er janvier 1995 pour favoriser le libre-échange et y ériger les règles fondamentales, en se substituant au GATT. Par rapport au GATT, elle élargit les accords de liberté à des domaines non traités à ce niveau jusqu’alors comme l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les investissements liés au commerce… En outre, elle établit un tribunal, l’organe des règlements des différends, permettant à un pays qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre de déposer plainte contre celui-ci, puis de prendre des sanctions de représailles si son cas est reconnu valable. Il y a actuellement 157 membres (en comptant l’Union européenne) et 26 États observateurs susceptibles d’entrer dans l’association dans les prochaines années.
(En anglais : World Trade Organization, WTO)
, est aujourd’hui la cause de bien de dégâts sociaux, environnementaux, humains supportés non seulement par les paysannes et paysans, mais aussi par de larges couches de populations au Sud et au Nord.

1. La nouvelle question agraire

1.1 L’agriculture, pas un secteur comme les autres

La nourriture n’est pas une marchandise Marchandise Tout bien ou service qui peut être acheté et vendu (sur un marché).
(en anglais : commodity ou good)
comme une autre

Elle est plus qu’un produit qui se vend et s’achète. Elle satisfait plusieurs besoins humains. C’est un besoin humain primordial. C’est ce qui nous maintient en vie. Le manque de nourriture est l’ultime exclusion.

L’agriculture reste la principale activité économique

A l’échelle mondiale, la population rurale s’élève à 3,3 milliards de personnes, soit 52% de la population mondiale ; la population agricole totale (active et non active) s’élève à 2,6 milliards de personnes, soit 41% de cette même population mondiale ; quant à la population agricole active, elle s’élève à 1,34 milliard de personnes, soit 43% de la population active du monde [1].

Si les agriculteurs européens représentent uniquement 5% des actifs dans l’Europe des Quinze (En Belgique francophone, les agriculteurs constituent 2% de la population active), ils sont encore relativement nombreux dans plusieurs pays d’Europe de l’Est (22% de la population active en Pologne par exemple) et a fortiori dans les pays du Tiers-monde, où l’agriculture occupe plus de la moitié de la population active (50% en Chine, 60% en Inde et 66% en Afrique noire) [2].

L’agriculture, un enjeu central

L’agriculture soulève des questions centrales pour le présent et l’avenir de nos sociétés, au Nord et au Sud de la planète. Et, à ce titre, elle ne concerne pas seulement les paysannes et les paysans du monde et leurs organisations. Comme le souligne José Bové dans son livre "Le monde n’est pas une marchandise", co-écrit avec François Dufour [3] "l’agriculture est l’activité la plus partagée au monde ; elle est en train de devenir un axe central de contestation et une référence de la résistance. La souveraineté alimentaire, le maintien des paysans, le refus des OGM, la biodiversité, l’occupation du territoire, la diversité culturelle, la protection de l’environnement, la lutte contre les entreprises multinationales, dont certaines des plus puissantes sont agrochimiques ou agroalimentaires, sont des revendications qui font de l’agriculture un enjeu, une question centrale".

Ainsi, l’agriculture reste donc une activité très influente, avec son impact sur de nombreux aspects de notre cadre de vie, aspects socio-économiques, environnementaux et sanitaires. Et cela, tant dans nos sociétés industrielles avancées que dans les pays du Tiers-monde.
Les différentes revendications, qui viennent d’être mentionnées et font de l’agriculture un enjeu central, plaident pour la mise en question radicale du "modèle" productiviste en agriculture, l’agro-industrie capitaliste ou encore l’agrobusiness, un "modèle" dont les effets sur les plans économique, social, écologique sont manifestes : ruine de dizaines de milliers de petits paysans, effondrement des modes de production agricoles durables, dépendance alimentaire des pays du Tiers-monde, malbouffe, destruction de la biodiversité, pollution de la terre et des eaux, etc.

Le droit à l’alimentation

Dans les textes de droit international, l’alimentation est de plus en plus considérée comme un droit. De nombreux textes aux niveaux international, national et régional en attestent.

Il a été reconnu pour la première fois au niveau international dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Et presque 20 ans après, en 1966, les États ont adopté le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Dans ce Pacte, les États se sont engagés à prendre les mesures nécessaires pour réaliser "le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture suffisante (…), ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence" et le "droit fondamental qu’a toute personne d’être à l’abri de la faim".

Ce pacte est juridiquement obligatoire pour tous les États signataires qui l’ont accepté, par ratification ou adhésion. Ils sont, aujourd’hui, plus de 150.

Ce droit est par exemple repris dans la Déclaration de Dakar de mai 2003, signée par des représentants d’organisations paysannes et de producteurs agricoles d’Afrique, d’Amériques, d’Asie et d’Europe. Ce droit y est explicité : droit à l’alimentation, droit à produire celle-ci, accès aux ressources (terre, semences, eau, crédit…), respect de l’environnement (modes de production durables, biodiversité), équité (droit à des revenus décents). Mais, dans la pratique, ce droit, comme bien d’autres, non seulement n’est ni respecté, ni appliqué, mais il est fréquemment violé. Si l’Histoire nous enseigne qu’il faut lutter pour obtenir des droits, elle nous enseigne aussi qu’il faut se battre pour leur application.

1.2 Un paradoxe explosif

Le texte de présentation de la campagne CNCD-11.11.11.-PFSA (Plate-forme pour la souveraineté alimentaire) présente d’emblée le paradoxe suivant : "Alors que les agriculteurs sont capables de nourrir l’ensemble de la population mondiale, près de 900 millions de personnes souffrent encore aujourd’hui de la faim. Ce sont principalement les paysans et leurs familles, c’est-à-dire ceux qui produisent de quoi manger, qui souffrent de la malnutrition. Ils forment la majorité de ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté, parce qu’ils ne peuvent pas vivre de leur travail. Comment comprendre que la moitié de l’humanité, qui compte directement sur l’agriculture pour assurer sa survie, endure une situation catastrophique, marquée par le chômage, la pauvreté, l’exode ou la faim ? Comment comprendre que, dix ans après le dernier sommet mondial sur l’alimentation, le nombre de personnes souffrant de la faim continue d’augmenter ?".

En ce début du XXIe siècle, sur quelque 6 milliards d’humains que compte la planète, la moitié environ vit dans la pauvreté, avec un pouvoir d’achat équivalent à moins de deux dollars par jour. Trois milliards d’humains se privent plus ou moins de nourriture ; deux milliards souffrent de graves malnutritions et 852 millions ont faim presque tous les jours.

Ce dernier chiffre était avancé, en octobre 2004, dans le rapport annuel de la FAO sur la situation de l’insécurité alimentaire dans le monde, signifiant ainsi que, loin de diminuer, le nombre de personnes souffrant de la faim a, au contraire, augmenté de 37 millions en dix ans.

Toujours, selon la FAO, près des trois quarts des humains sous-alimentés sont des ruraux. Des ruraux pauvres, dont la majorité sont des paysans mal équipés, mal situés et mal lotis, et des ouvriers agricoles très peu payés. Quant aux autres sous-alimentés, beaucoup sont des ex-ruraux récemment poussés par la misère vers des camps de réfugiés ou les bidonvilles sous-équipés et sous-industrialisés, dans lesquels règnent le chômage et les bas salaires. Or, on sait que, malgré un exode rural de plus de 50 millions de personnes par an, le nombre de pauvres et sous-alimentés des campagnes ne diminue guère. Ce qui signifie qu’un nombre à peu près égal de nouveaux pauvres et sous-alimentés se forme chaque année dans les campagnes du monde.

Paradoxe. Dans le Tiers-monde, sur dix enfants mal nourris, près de huit vivent dans des pays qui produisent de l’agroalimentaire pour l’exportation. La Thaïlande est le premier exportateur de riz du monde, avec un volume de ventes deux fois plus élevé que les États-Unis. Pourtant, ceux qui bénéficient de ce marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
ne sont pas les petits riziculteurs. Une poignée de sociétés exportatrices contrôlent les ventes sur le marché mondial et empochent les bénéfices. Le Brésil, gros exportateur de produits agricoles, voit, en même temps, une part importante de sa population atteinte de malnutrition. D’immenses cultures de soja sont vouées à l’exportation comme aliment pour le bétail. Les terres arables sont converties en pâturages. Dans beaucoup de pays, en dépit de la présence de personnes mal nourries et affamées en grand nombre, les cultures destinées à alimenter les troupeaux de l’hémisphère Nord remplacent les cultures de denrées de base.

1.3 Au-delà du paradoxe

Ce paradoxe renvoie aux causes de la pauvreté et de la faim : les injustices sociales, les politiques agricoles et commerciales (la PAC, Politique Agricole Commune, l’Organisation mondiale du Commerce Organisation mondiale du Commerce Ou OMC : Institution créée le 1er janvier 1995 pour favoriser le libre-échange et y ériger les règles fondamentales, en se substituant au GATT. Par rapport au GATT, elle élargit les accords de liberté à des domaines non traités à ce niveau jusqu’alors comme l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les investissements liés au commerce… En outre, elle établit un tribunal, l’organe des règlements des différends, permettant à un pays qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre de déposer plainte contre celui-ci, puis de prendre des sanctions de représailles si son cas est reconnu valable. Il y a actuellement 157 membres (en comptant l’Union européenne) et 26 États observateurs susceptibles d’entrer dans l’association dans les prochaines années.
(En anglais : World Trade Organization, WTO)
avec son Accord sur l’Agriculture, etc.) qui renforcent le pouvoir et la concentration des multinationales agroalimentaires. Des multinationales aux prises avec la concurrence internationale et préoccupées par l’augmentation incessante de leurs profits. Des multinationales ou encore ce qu’on appelle l’agrobusiness (regroupant la production, la transformation et la distribution des produits alimentaires) qui tentent d’échapper aux lois et aux réglementations nationales et internationales qu’elles considèrent comme défavorables à leurs intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
.

Inégalités agricoles et pauvreté paysanne

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, l’écart de productivité Productivité Rapport entre la quantité produite et les ressources utilisées pour ce faire. En général, on calcule a priori une productivité du travail, qui est le rapport entre soit de la quantité produite, soit de la valeur ajoutée réelle (hors inflation) et le nombre de personnes nécessaires pour cette production (ou le nombre d’heures de travail prestées). Par ailleurs, on calcule aussi une productivité du capital ou une productivité globale des facteurs (travail et capital ensemble, sans que cela soit spécifique à l’un ou à l’autre). Mais c’est très confus pour savoir ce que cela veut dire concrètement. Pour les marxistes, par contre, on distingue la productivité du travail, qui est hausse de la production à travers des moyens techniques (machines plus performantes, meilleure organisation du travail, etc.), et l’intensification du travail, qui exige une dépense de force humaine supplémentaire (accélération des rythmes de travail, suppression des temps morts, etc.).
(en anglais : productivity)
du travail entre les agriculteurs les moins performants et les plus performants du monde a véritablement explosé : il est passé de 1 contre 10 dans l’entre-deux-guerres, à 1 contre 2000 à la fin du XXe siècle. Si les agriculteurs les plus performants se comptent par millions, les moins performants se comptent par centaines de millions.

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, dans les pays développés et dans quelques secteurs limités des pays en développement, il y eut ce qu’on appelle la révolution agricole contemporaine : grande motorisation, mécanisation, sélection de variétés de plantes et de races d’animaux à fort potentiel de rendement, semences sélectionnées génétiquement, large utilisation des engrais minéraux, pesticides, des aliments concentrés pour le bétail et des produits de traitement des plantes et des animaux domestiques, etc.

Les gains de productivité agricole ont été si rapides et si élevés qu’ils ont dépassé ceux de l’industrie et des services.

Mais, au bout du compte, ce sont moins de 10% des exploitations qui ont réussi à franchir toutes les étapes de cette révolution, profitant des hauts prix agricoles de l’après-guerre et bénéficiant de politiques de soutien au développement agricole.

A partir des années 1960, dans certains pays en développement, les agriculteurs qui avaient les moyens d’investir ont à leur tour profité des politiques de développement agricole (soutien des prix agricoles, subventions aux intrants…) et des hauts prix agricoles du milieu des années 1970 pour se lancer dans la révolution verte, une variante de la révolution agricole contemporaine. Ainsi, se sont constitués de grands domaines agricoles de plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’hectares dans certains pays d’Amérique latine (Argentine, Brésil), d’Afrique (Afrique du Sud, Zimbabwe) et d’Asie (Philippines, Indonésie, Inde), avec une augmentation de la production agricole. Celle-ci s’est combinée avec des niveaux de revenus et de salaires tellement bas que ces pays sont devenus des exportateurs de produits agricoles, alors même que la sous-alimentation sévit dans les campagnes.

Cela étant, une majorité de paysans des pays en développement et aussi des pays développés n’a jamais eu accès aux moyens de production de l’une ou l’autre de ces révolutions agricoles. De plus, dans de nombreux pays ex-coloniaux (Amérique latine, Afrique du Sud, Zimbabwe…) ou ex-communistes (Ukraine, Russie…), n’ayant pas connu de réforme agraire récente, la majorité des paysans mal équipés sont plus ou moins privés de terre. Ces paysans sont donc obligés de chercher du travail au jour le jour dans les grands domaines "latifundistes", avec des salaires de misère.

Baisse des prix agricoles, excédents croissants à des prix décroissants

Les augmentations de productivité et de production, résultant des deux révolutions agricoles, n’ont pas seulement provoqué une forte baisse des prix agricoles réels dans les pays concernés. Elles ont aussi permis à certains de ces pays de dégager des excédents exportables à bas prix.

Dans les pays développés, la forte baisse des prix agricoles réels a entraîné une diminution importante du revenu des petites et moyennes exploitations, même si cette baisse des prix a été partiellement compensée par des aides directes ou indirectes (plus ou moins 80% des aides ont été accaparées par 20% des plus gros agriculteurs !). Ainsi, plus de trois quarts des exploitations agricoles existant au début du XXe siècle dans les pays développés ont disparu. Si on prend l’exemple de la Belgique, il ne reste aujourd’hui que 80.000 agriculteurs en activité, alors qu’ils étaient 400.000 en 1950. Mais, dans ces pays, les enfants d’agriculteurs, quittant la terre, ont généralement retrouvé du travail dans l’industrie ou les services en expansion.

Pour les paysans pauvres des pays en développement, la situation est tout autre. Du fait de l’abaissement des coûts de transport, de la libéralisation Libéralisation Action qui consiste à ouvrir un marché à la concurrence d’autres acteurs (étrangers ou autres) autrefois interdits d’accès à ce secteur. croissante des échanges agricoles internationaux, des couches toujours renouvelées de la paysannerie sous-équipée, peu productive, quasiment pas soutenue par les pouvoirs publics, sont confrontées à la concurrence de denrées à très bas prix en provenance des marchés internationaux. Cette concurrence entraîne le blocage de leur développement, puis leur appauvrissement, allant jusqu’à la pauvreté extrême et à la faim.

Pour réduire significativement la pauvreté et la sous-alimentation, il est donc nécessaire de protéger toutes les agricultures paysannes pauvres de la concurrence des agricultures les plus compétitives. Cela implique la reconnaissance du droit à la terre, de véritables réformes agraires, le droit à la souveraineté alimentaire.

1.4 Capitalisme Capitalisme Système économique et sociétal fondé sur la possession des entreprises, des bureaux et des usines par des détenteurs de capitaux auxquels des salariés, ne possédant pas les moyens de subsistance, doivent vendre leur force de travail contre un salaire.
(en anglais : capitalism)
et nouvelle question agraire : agrobusiness ou maintien d’une agriculture paysanne ?
 [4]

Le monde agricole et paysan rassemble encore la moitié de l’humanité. Mais sa production est partagée entre deux secteurs dont la nature économique et sociale est parfaitement distincte. D’une part, il y a l’agriculture capitaliste moderne, qui comprend aussi bien l’exploitation agricole familiale riche et à grande échelle que les multinationales agroalimentaires. Cette agriculture est régie par le principe du rendement le plus élevé sur investissement Investissement Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
et localisée presque exclusivement en Amérique du nord, en Europe occidentale, dans le cône sud de l’Amérique latine et en Australie. Cela représente quelques dizaines de millions d’agriculteurs qui ne sont plus véritablement des "paysans". D’autre part, il y a les agricultures paysannes rassemblant près de la moitié de l’humanité.

L’OMC a fait de l’agriculture (Accord sur l’Agriculture) une marchandise comme une autre, soumise à la compétition internationale.

Quelles en sont les conséquences déjà vérifiables dans les conditions d’inégalité gigantesque entre l’agrobusiness, d’une part, et la production paysanne, d’autre part ?

En fait, une vingtaine de millions de fermes modernes supplémentaires (meilleurs sols, expropriation Expropriation Action consistant à changer par la force le titre de propriété d’un actif. C’est habituellement le cas d’un État qui s’approprie d’un bien autrefois dans les mains du privé.
(en anglais : expropriation)
de paysans, accès facile aux marchés de capitaux pour s’équiper, accès aux marchés consommateurs, etc.) pourraient produire l’essentiel de ce que les consommateurs urbains solvables achètent encore à la production paysanne.

Mais, à quel prix cette production pourrait-elle être réalisée et quels en seraient les impacts socioéconomiques, environnementaux et sanitaires ?

Et surtout, que deviendraient les milliards d’êtres humains, producteurs paysans non compétitifs, qui sont déjà les pauvres parmi les pauvres ? Vingt millions de producteurs efficaces nouveaux (cinquante millions d’êtres humains avec leurs familles) d’un côté, cinq milliards d’exclus, de l’autre !

Le principal argument avancé pour justifier la doctrine de la concurrence de l’OMC est qu’un tel développement a justement eu lieu aux XIXe et XXe siècles en Europe et aux États-Unis et qu’il a produit une société moderne, riche, urbaine et industrielle ou post-industrielle, dotée d’une agriculture moderne capable de nourrir la nation et même capable d’exporter de la nourriture. Alors pourquoi ce scénario ne pourrait-il pas être répété dans les pays du Tiers-monde ?

Deux facteurs au moins rendent presque impossible la répétition de ce scénario dans le Sud.

Le premier, c’est que le modèle européen s’est développé durant un siècle et demi, recourant à des technologies industrielles qui nécessitent beaucoup de main-d’œuvre. Les technologies modernes en nécessitent beaucoup moins, et les industriels nouveaux installés dans le Tiers-monde, pour être compétitifs sur les marchés mondiaux, seraient obligés de les adopter. Le deuxième, c’est que durant (tout au long de) cette longue transition, l’Europe a pu bénéficier de la migration massive de sa surpopulation (en trop ?) vers les Amériques (du Nord et du Sud).

On n’est pas dans ce scénario pour le Sud. La "modernisation" de l’agriculture dans le cadre de la mondialisation néo-libérale, telle que la suggèrent l’OMC et ses partisans, ne peut que pousser à la marginalisation, l’exclusion et l’appauvrissement encore accru de la majorité de ces trois milliards de paysans de l’actuel Tiers-monde.

"Il faut, souligne Samir Amin, accepter le maintien d’une agriculture paysanne pour tout l’avenir visible du XXIe siècle. Non pour des raisons de nostalgie romantique du passé, mais tout simplement parce que la solution du problème passe par le dépassement des logiques du capitalisme". Et de mettre l’accent, au niveau national, sur des politiques macroéconomiques qui protègent la production paysanne de nourriture (contre) de la concurrence inégale des cultivateurs modernisés et des grandes entreprises agroalimentaires, tant locales qu’internationales.

2. Pouvoir et stratégie des multinationales de l’agroalimentaire

2.1 La montée en puissance de l’agrobusiness

L’agriculture productiviste et industrielle est dominée par quelques grandes firmes multinationales. L’agrobusiness, qui comprend les firmes de production, de transformation et de commercialisation, regroupe le plus grand nombre de firmes dans les mille premières mondiales.

Une forte concentration

La forte concentration à l’œuvre dans le secteur déborde très largement le domaine des grains et autre produits agricoles pour aboutir à de grosses "grappes"agro-industrielles mondialisées et fortement intégrées. Cela va du "gène au rayon de l’hypermarché", en passant par la fabrication des engrais et des pesticides, la production agricole industrielle ou sous contrat, le stockage et le transport des produits, ainsi que la première et seconde transformation des produits [5].

Dix firmes contrôlent un tiers du marché des semences commercialisées. Ces mêmes dix firmes contrôlent 100% du marché des semences génétiquement modifiées (appelées également "transgéniques"). Les firmes en question sont les suivantes : Monsanto (États-Unis), DuPont/Pioneer (États-Unis), Novartis (Suisse), Limagrain (France), Advanta (Angleterre et Hollande), Guipo Pulsar/Semons/ELM (Mexique), Sakata (Japon), KWS HG (Allemagne) et Taki (Japon) [6].

Six firmes contrôlent 77% du marché des produits chimiques pour l’agriculture : Bayer, Syngenta, BASF, Dow, DuPont, Monsanto.

Dans le secteur de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles, il n’est pas rare que plus de 80% du commerce d’un produit agricole se retrouve entre les mains d’une poignée de méga-entreprises. Six sociétés concentrent quelque 85% du commerce mondial des céréales ; huit se partagent environ 60% des ventes mondiales de café ; trois détiennent plus de 80% des ventes de cacao et trois se répartissent 80% du commerce des bananes [7].

A titre d’exemple, la société américaine Cargill est le plus important négociant d’oléagineux au monde, le deuxième plus gros producteur d’engrais phosphaté et un acteur majeur du commerce des céréales, du café, du cacao, du sucre, des semences, de la volaille. Rien que dans le secteur du café, son chiffre d’affaires Chiffre d’affaires Montant total des ventes d’une firme sur les opérations concernant principalement les activités centrales de celle-ci (donc hors vente immobilière et financière pour des entreprises qui n’opèrent pas traditionnellement sur ces marchés).
(en anglais : revenues ou net sales)
excède le PIB PIB Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
de tous les pays africains dont elle achète le café [8].

Monsanto, une autre multinationale Multinationale Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
américaine, s’est hissée, à travers rachats, fusions et alliances, au rang de premier vendeur de semences transgéniques au monde, de deuxième producteur de semences et de troisième vendeur de produits agrochimiques (insecticides, herbicides…). Les ¾ de la surface totale des semences transgéniques dans le monde sont des semences en provenance de Monsanto. En 1998, Phil Angell, directeur de la communication chez Monsanto, se permettait de déclarer : "Nous n’avons pas à garantir la sécurité des produits alimentaires génétiquement modifiés. Notre intérêt est d’en vendre le plus possible" [9].

Impacts de l’agrobusiness

Dans son "programme fondamental", le Mouvement d’Action Paysanne (MAP) [10] se positionne par rapport à l’agriculture productiviste et industrielle, poussée par les multinationales agroalimentaires, et pointe les dégâts que celles-ci provoquent : "L’agriculture productiviste et industrielle, modèle dominant de l’agriculture en Europe et dans les pays développés en général, privilégie la mission de production maximale et de compétitivité dans la guerre économique du marché mondial et du libre-échange. Ce faisant, elle relègue au second plan, voire conteste radicalement, les autres aspects de la multifonctionnalité de l’agriculture que sont l’emploi, le respect de l’environnement, l’occupation du territoire et aussi la qualité des produits et la satisfaction des consommateurs. Présentée comme moderne, cette agriculture productiviste et la principale utilisatrice d’intrants chimiques de synthèse, se développe majoritairement dans le domaine du hors-sol et bénéficie des apports d’une recherche entièrement "dévouée" à sa cause. En fait de "dévouement", c’est une agriculture très dépendante, parfois très intégrée, très dépendante du crédit et de l’agro-industrie, en amont comme en aval. Jouant le jeu des bas prix inspirés des prix mondiaux, l’agriculture productiviste ne peut cependant présenter un bilan positif. Elle fut marquée, ces dernières années, par de grandes crises (ESB –encéphalite spongiforme bovine-, peste porcine, dioxine, et on pourrait ajouter grippe aviaire (ndlr) etc.), coûteuses en argent et en image de marque ; sa compétitivité est toute relative : elle est la principale bénéficiaire des aides publiques nationales et régionales (les célèbres 20% d’exploitations importantes accaparant 80% des aides !)".

Agriculture industrielle, "malbouffe &, McDonald’s

La première fois que le terme "malbouffe" a été prononcé, c’était le 12 août 1999, lors du démontage d’un McDo en construction à Millau, action menée par des membres de la Confédération paysanne, dont José Bové, président fondateur de l’organisation paysanne française.

La malbouffe est une des manifestations les plus visibles de l’agriculture industrielle productiviste.

"La malbouffe, souligne José Bové, c’est le fait de manger n’importe quoi (…). Pour moi, c’est d’une part l’alimentation standardisée, que McDo symbolise à souhait, un goût uniforme d’un bout à l’autre de la planète ; et, d’autre part, ce sont le choix et la sécurité alimentaires, avec les problèmes des hormones, des OGM, des résidus de pesticides, tout ce qui touche à la santé. Donc l’aspect culturel et l’aspect santé. La malbouffe vise également l’agriculture industrielle, c’est-à-dire l’alimentation produite à la chaîne, pas nécessairement sous forme de produit fini comme les McDo, mais les produits de masse tels le cochon industriel, le poulet en batterie, etc. A travers le concept de malbouffe, c’est en fait toute la chaîne de l’agriculture et une forme d’alimentation qui sont remises en cause" [11]. Avec des dégâts non seulement sur le plan sanitaire, mais aussi sur (le terrain de) l’environnement.

Cargill, McDonald’s et la forêt amazonienne

Une poignée des plus grandes entreprises opérant dans les secteurs de l’alimentation et des matières premières, incluant la chaîne de fast-food McDonald’s, sont, à l’heure actuelle, occupées à détruire, de façon illégale et à une vitesse incroyable, la forêt amazonienne.
Un rapport de Greenpeace, publié début avril 2006, a suivi à la trace une filière qui débute avec le saccage de la forêt amazonienne (laissant la place à la culture du soja destiné aux animaux) pour remonter jusqu’aux "Chicken McNuggets", vendus dans les restaurants fast-food britanniques et dans d’autres pays européens.

Le rapport détaille comment le géant de l’agrobusiness, Cargill, fournit les agriculteurs brésiliens en graines et produits agrochimiques, afin de produire des centaines de milliers de tonnes de grains de soja par an, que la compagnie exporte à Liverpool et dans d’autres ports européens. La plus grande partie du soja à haute contenance de protéine, utilisé comme nourriture animale pour les poulets en batterie, est envoyée à l’entreprise Hereford (Sun Valley), une filiale de Cargill destinée à l’élevage de la volaille. Sun Valley produit environ un million de poulets par semaine , dont la moitié est expédiée chez McDonald’s.

Au Brésil, selon Greenpeace, les terres publiques, appartenant aux indigènes, sont saisies par les fermiers utilisant des bulldozers et ayant recours à une main-d’œuvre servile. Le soja, cultivé sur de grandes étendues de terre, conduit à l’érosion des sols : il requiert l’usage massif d’additifs chimiques pour "booster" les récoltes. Dès que les sols deviennent épuisés, les fermiers partent ailleurs exploiter d’autres terres et répètent le cercle vicieux de la dégradation des sols et de la pollution chimique.

L’étendue de la déforestation de l’Amazonie, due à l’extension de la culture de soja, est sans précédent, souligne encore Greenpeace. Des images satellites montrent qu’en deux ans, le taux de déforestation a doublé, atteignant jusqu’à 28.000 ha/an. Le bassin du Xingu, qui se trouve au cœur de la forêt tropicale, est en train d’être transformé en région désertique, laissée à l’abandon, selon le même rapport. Lieu d’implantation de 14 tribus indigènes, la région change à une allure vertigineuse.

"Chaque fois que je quitte la réserve", déclare Ionaluka, directeur de l’association des terres indigènes du Xingu , "à mon retour, je ne reconnais plus rien, parce que la forêt continue à disparaître".

2.2 Le modèle de la firme globale et financiarisée

Aujourd’hui, dans la stratégie des grandes firmes agroalimentaires, comme dans bien d’autres secteurs, on constate une interaction entre les logiques financières et concurrentielles, accentuée par le phénomène de concentration des firmes.

Dans l’actionnariat des firmes agroalimentaires, le poids des investisseurs institutionnels (fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
de pension privés, compagnies d’assurance, etc.) est de plus en plus grand. Ces investisseurs institutionnels, mus par une logique de rendement financier à court terme, par un retour sur investissement de 15%, 20% et parfois plus, ont une influence déterminante sur les choix stratégiques de ces firmes. Le capitalisme actionnarial est une réalité bien ancrée dans le secteur agroalimentaire. C’est la primauté de l’actionnaire Actionnaire Détenteur d’une action ou d’une part de capital au minimum. En fait, c’est un titre de propriété. L’actionnaire qui possède une majorité ou une quantité suffisante de parts de capital est en fait le véritable propriétaire de l’entreprise qui les émet.
(en anglais : shareholder)
en tant que destinataire des richesses produites par l’entreprise et les profits distribués aux actionnaires, sous forme de dividendes et de rachat d’actions, sont de plus en plus élevés.

A ce sujet, une étude, commanditée par le Commissariat au Plan en France en 2002, est très éclairante [12]. L’étude a porté sur 18 firmes agroalimentaires, européennes (Unilever, Nestlé, Danone, Parmalat, etc.) et américaines (Altria/Philip Morris, Pepsico, Coca Cola, Dole Food, etc.).

Selon cette étude, le poids des dix premiers actionnaires, dans ces firmes européennes et américaines, tourne autour de 39% du capital Capital Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
. La part des investisseurs institutionnels, dans le capital Capital détenu par ces actionnaires, est par contre supérieure à 80% dans les firmes américaines ; elle se situe entre 73 et 77% dans les firmes britanniques et reste inférieure à 60% dans les firmes d’Europe continentale, pourcentage déjà très appréciable. Et dans les multinationales agroalimentaires européennes, comme Danone, Nestlé, Unilever, etc., ce modèle de firme globale et financiarisée s’affirme de plus en plus.

Il est certainement important, à un moment donné, de dénoncer par exemple les licenciements voulus par des actionnaires, des investisseurs institutionnels ou de stigmatiser une restructuration dans des firmes agroalimentaires (Danone, InBev, etc.) qui réalisent d’énormes bénéfices. Mais il est tout aussi important de resituer cette préoccupation dans une réflexion plus globale. La précarité de l’emploi, la disparition de milliers d’agriculteurs dans le monde, les paysans sans terre, les OGM et la brevetabilité du vivant, réduisant les producteurs en esclavage, la faim et la malnutrition, la malbouffe, la destruction de la biodiversité, dans les pays du Sud en particulier, la dégradation des sols, l’exploitation à outrance des ressources en eau, la destruction de l’environnement, les exportations de surplus à prix de dumping, tous ces éléments ne relèvent pas d’abord d’une "pathologie" patronale actionnariale particulière. Ils sont la manifestation inévitable d’un système libéral, basé sur la propriété privée des biens collectifs, la concurrence, la course au profit, la marchandisation du monde. Cette "logique" capitalistique se manifeste dans l’agriculture industrielle, productiviste, l’agrobusiness, dont les dégâts sociaux, environnementaux, humains sont payés par les paysans avec ou sans terre, les consommateurs solvables ou insolvables, la collectivité et rarement par les détenteurs du capital, les firmes agroalimentaires financiarisées.

2.3 Un lobbying permanent

Les multinationales agroalimentaires mènent un travail de lobbying permanent et intensif auprès des organisations politiques internationales (OMC, Commission européenne…) et des gouvernements nationaux.

On sait aujourd’hui que les experts de Monsanto ont été jusqu’à écrire eux-mêmes la proposition de traité à l’OMC concernant les brevets, accord tant contesté aujourd’hui par les mouvements populaires et des gouvernements du Sud.

C’est James Enyart, un cadre de Monsanto, qui l’a raconté : "Nous sommes allés à Genève présenter notre document au secrétariat du Gatt GATT Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce : Traité entré en vigueur en 1948, suite au refus du Congrès américain de constituer une organisation internationale du commerce. Ne pouvant obtenir une institution, les pays se sont contentés de conventions revues et corrigées lors de moments privilégiés, les « rounds », en vue de favoriser le libre-échange. Le GATT ne concernait que les produits manufacturés. Il y a eu en tout huit « cycles », le premier signé en 1947 par 23 gouvernements, le dernier, l’Uruguay round, destiné à créer l’OMC, après huit ans de négociations, en 1994 par 120 nations.
(En anglais : General Agreement on Tariffs and Trade, GATT)
(l’ancêtre de l’OMC). Ce que je vous dis là est tout à fait inédit dans l’histoire du Gatt. L’industrie a identifié un problème majeur lié au commerce international. Elle a proposé une solution, l’a transformée en proposition concrète et l’a vendue à notre gouvernement et aux autres gouvernements".

Ce traité autorise les brevets sur les organismes manipulés génétiquement, un élément-clé de la stratégie commerciale du secteur des biotechnologies [13].

"Pas de commerce équitable sans libre-échange", a déclaré M. Oberhänsli, responsable des relations internationales de Nestlé au Wall Street Journal, en 2004. De son côté, Unilever, favorable à la suppression de toutes les barrières commerciales, semble procéder très stratégiquement et systématiquement dans son travail de lobbying. Des représentants de l’entreprise occupent des postes haut placés, auprès de l’UNICE, l’organisation patronale européenne, et de la CIAA, The Confederation of the Food and Drink Industries.

La grande distribution est organisée au niveau européen sous l’égide d’EuroCommerce. EuroCommerce s’engage au nom de ses membres en faveur d’un "marché ouvert et libre à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE UE Ou Union Européenne : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
", tant pour ce qui est des négociations agricoles que celles sur les services. Sous l’aspect des services, en matière de distribution, EuroCommerce est le principal interlocuteur de la Commission européenne et a une influence politique importante dans ce domaine particulier.

La règle de base suivante s’applique dans le cadre du travail de lobbying : le plus tôt est le mieux.

C’est dans ce contexte que les "groupes consultatifs", créés en 1962 par la Commission européenne, ont ouvert la possibilité d’être informés de manière précoce sur les nouvelles propositions de lois et de déposer des expertises techniques. L’agenda est fixé par la Commission européenne et la publication des informations se fait sur (la) "base de la confiance". Ces groupes consultatifs, 30 au total, existent pour les différentes organisations de marchés (par exemple le sucre, la viande bovine, le riz, le lait), mais également sur des thèmes comme "développement rural", "agriculture et environnement" et "agriculture biologique". Au sein des groupes consultatifs, constitués par produit, sont également discutés les aspects commerciaux. Chaque année, se tiennent près de 85 rencontres avec environ 2.000 experts, qui sont là pour défendre les intérêts de l’industrie agroalimentaire.

Il existe une série de comités dont la fonction est de surveiller la mise en application des décisions du Conseil par la Commission. Certains comités ont une fonction consultative. Y siègent des représentants des états-membres de l’Union européenne Union Européenne Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
et des "experts" de l’extérieur, souvent des représentants de l’industrie. Vu la complexité, ardue à maîtriser, des thèmes commerciaux, l’UE se tourne sans cesse vers "l’expertise" de l’industrie. Un acteur de la scène des lobbies bruxellois estime qu’il existe "environ 1.800 comités de la sorte avec 80.000 experts qui viennent pour moitié des gouvernements et pour moitié d’organisations privées" [14].

2.4 Un modèle agricole alternatif : l’agriculture paysanne

"La rupture s’exprime dans ce que nous avons appelé "l’agriculture paysanne". C’est à la fois une pratique et un projet. Un projet que nous avons formulé progressivement à partir de nos luttes, de nos actions de défense des paysans et de résistance au productivisme. C’est le fruit de nos réflexions critiques depuis plus de vingt ans, et que nous prouvons agronomiquement et économiquement, tous les jours, dans nos fermes. C’est un système cohérent qui intègre une politique agricole différente pour exercer et vivre le métier de paysan" [15].

Cette démarche, présentée par les auteurs du livre "Le monde n’est pas une marchandise", est celle de la Confédération Paysanne en France. Il en est de même a fortiori pour la Via Campesina, mouvement mondial qui réunit des organisations de paysans, de petits et moyens fermiers, des femmes rurales, des ouvriers agricoles et des communautés agraires autochtones d’Asie, des Amériques, d’Europe occidentale et orientale et d’Afrique.

Vandana Shiva, physicienne indienne, n’hésite pas à affirmer et à prouver à son tour la supériorité de l’agriculture paysanne, familiale, dans ses dimensions économique, sociale, environnementale, sur l’agro-industrie productiviste, libre-échangiste, exportatrice :
"Contrairement à des préjugés solidement enracinés, l’agriculture paysanne produit davantage de nourriture et à meilleur compte, car elle fait un meilleur usage des facteurs énergétiques pour une production de meilleure qualité. A l’inverse, les grandes exploitations gaspillent beaucoup de ressources et font preuve d’une grande inefficacité" [16].

P.-S.

Ce texte a servi de base à l’exposé introductif de l’Université des alternatives organisé en avril 2006 sur le thème de la souveraineté alimentaire

Notes

[1La fracture agricole & alimentaire mondiale, Nourrir l’humanité aujourd’hui et demain, dirigé par Marcel Mazoyer et Laurence Roudart, Universalis, 2005, p.18.

[2Jacques Berthelot, L’agriculture, talon d’Achille de la mondialisation, clés pour un accord agricole solidaire à l’OMC, Ed. L’Harmattan, 2001.

[3José Bové et François Dufour, Le monde n’est pas une marchandise, des paysans contre la malbouffe, La Découverte, 2000.

[4Samir Amin, Le virus libéral, La guerre permanente et l’américanisation du monde, Ed. Le Temps des Cerises, 2003.

[5Jacques Berthelot, L’Agriculture, talon d’Achille de la mondialisation, clés pour un accord agricole solidaire à l’OMC, Ed. L’Harmattan 2001, pp.79-80

[6Vandana Shiva, Le terrorisme alimentaire, Comment les multinationales affament le Tiers-Monde, Ed. Fayard, 2001, pp. 19-20.

[7John Medeley, Le commerce de la faim, la sécurité alimentaire sacrifiée sur l’autel du libre-échange, Col. Enjeux Planète, 2002, pp.135-137.

[8John Medeley, ibid.

[9Isabelle Delforge, Nourrir le monde ou l’agrobusiness, Enquête sur Monsanto, MDM Oxfam/Déclaration de Berne/Orcades/Oxfam-Solidarité, mai 2000.

[10Le MAP est une organisation syndicale de défense professionnelle paysanne en Wallonie. Le MAP est membre de la Coordination paysanne européenne (CPE) et de (la) Via Campesina.

[11José Bové et François Dufour, Le monde n’est pas une marchandise, des paysans contre la malbouffe, La Découverte 2000, p.78.

[12Les stratégies des multinationales agroalimentaires en Europe : vers un modèle de firme globale et financiarisée. Etude collective conduite pour le compte du Commissariat au Plan (Pérez et Palpacuer, coord., ( ??)2002).

[13Isabelle Delforge, ibid.

[14Marita Wiggerthale, La politique commerciale sous la férule de l’industrie agroalimentaire, Les intérêts du secteur agroalimentaire dans les négociations agricoles en cours à l’OMC, Ed. Weed.

[15José Bové et François Dufour, ibid., p. 185

[16Vandana Shiva, "L’agriculture bio crée de la beauté, de la qualité et de l’harmonie", in Imagine n°54, mars-avril 2006.