Carte d'identité
Secteur | Pharmaceutique |
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Naissance | 1849 |
Siège central | New-York |
Chiffre d'affaires | 95,2 milliards d’euros |
Bénéfice net | 29,8 milliards d’euros |
Production | Produits pharmaceutiques, vaccins, médicaments |
Effectifs | 83.000 personnes |
Site web | http://www.pfizer.com |
Président | Albert Bourla |
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Actionnaires principaux | (2022): The Vanguard Group (8, 94%), BlackRock (7, 9%), State Street (5, 08%) |
Comité d'entreprise européen | oui |
Ratios 2022 |
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Marge opérationnelle % | 36,2 |
Taux de profit % | 33, 31 |
Taux de solvabilité % | 34, 38 |
Taux de dividende % | 28, 63 |
Fonds roulement net (€) | 8, 3 milliards |
Observatoire des Comptes
Actionnariat du groupe 2022
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du groupe en Wallonie
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Historique
Pfizer : une histoire au long cours
*Henri Houben
Pfizer est une des plus grandes multinationales du monde. Elle fait partie de ce qu’on appelle communément le « Big Pharma », c’est-à-dire des géants pharmaceutiques qui dominent l’élaboration, la production et la commercialisation des médicaments et des vaccins. Ses origines remontent au XIXe siècle.
Le chimiste et le confiseur
En octobre 1848, deux jeunes immigrés allemands débarquent à New York. Ils viennent de la ville de Louisbourg (ou Ludwigsburg en allemand), située à 12 km au nord de Stuttgart. À l’époque, celle-ci appartient au Royaume de Wurtemberg, un des nombreux États qui composent le territoire germanique.
Les deux compères sont cousins. Il s’agit de Charles Erhart (1821–1891) et Charles Pfizer (1824–1906). En 1849, avec les 2.500 dollars que ce dernier a reçu de son père, ils fondent une compagnie pharmaceutique qui s’appellera Charles Pfizer et Société.
La collaboration est fructueuse. En effet, Charles Pfizer est chimiste, alors que Charles Erhart a déjà exercé ses talents de confiseur en Allemagne. Cette alliance peut sembler curieuse, mais elle sera très profitable.
En effet, leur premier produit est la santonine, un médicament qui permet d’éradiquer les vers parasites au sein des corps humains et animaux, notamment ceux qui se seraient glissés dans le tube digestif. Le problème d’un tel remède est qu’il est terriblement amer, donc difficile à avaler. C’est là que les talents de Charles Erhart interviennent : il mélange le traitement chimique à une pâte de crème sucrée pour rendre l’ensemble agréable au goût. C’est donc le succès, mais pas encore l’envolée.
La reconnaissance sectorielle
La guerre civile américaine qui se déroule entre 1861 et 1865 va permettre une première grande progression de l’entreprise. En effet, le conflit exige un nombre important de désinfectants, d’agents de conservation et d’analgésiques. Les firmes chimiques, dont Pfizer, vont les fournir. En 1865, la compagnie emploie 150 salariés. En 1868, les ventes doublent depuis les débuts des hostilités.
La seconde impulsion vient dans les années 1880. À ce moment, la compagnie développe un nouveau produit, l’acide citrique ; ingrédient indispensable aux nouvelles sociétés de boissons qui commençaient à vendre des sodas, comme Coca-Cola ou Dr Pepper, et qui se développaient rapidement.
Ce « conte de fée » entrepreneurial va s’interrompre en 1891 avec la mort de Charles Erhart. Aussitôt, son associé prend le contrôle total de l’entreprise. Il rachète les parts héritées de la famille du cousin. Néanmoins, en 1900, il distribue les 1.000 actions qui constituent le capital de la firme de la façon suivante : 334 pour Charles Pfizer, 333 pour Emile Pfizer, son plus jeune fils, et la même chose pour William Erhart, le fils du cofondateur. Il nomme Emile à la tête de la compagnie en 1905. Celui-ci y restera jusqu’en 1941, mais ce sera le seul et le dernier du clan à exercer des fonctions directionnelles dans le groupe. En 1906, Charles Pfizer meurt à son tour.
En 1899, on peut estimer que l’établissement était devenu important dans l’industrie chimique, réalisant une série de composants variés comme l’acide citrique, le borax, la crème de tartre et l’iode. En 1906, il occupe environ 200 salariés et son chiffre d’affaires s’élève à 3,4 millions de dollars [1].
Le jackpot de la fermentation
Lors de la Première Guerre mondiale, le citrate de calcium que Pfizer importe d’Italie vient à manquer. Il faut trouver une autre source d’approvisionnement pour la fabrication de l’acide citrique.
En 1917, le chimiste James Currie est engagé par la firme. Avec son assistant, Jasper Kane, il trouve un champignon qui fermente le sucre en acide citrique. C’est ce qui est appelé la « fermentation en cuve profonde ». La compagnie peut ainsi se passer des livraisons européennes, alors que le continent est dévasté par les nombreuses batailles qui s’y déroulent. En 1919, elle peut commercialiser sa découverte utilisée à d’autres fins. Elle peut aussi la produire en masse.
En 1936, continuant sur sa lancée, l’entreprise décèle une méthode pour fabriquer de la vitamine C sans fermentation. Elle étend cette technique pour obtenir de la même manière des vitamines B2 et B12. Pfizer devient ainsi un gros fournisseur de vitamines.
En 1941, lors de l’entrée en guerre des États-Unis, le gouvernement américain demande de produire en masse de la pénicilline, pour pouvoir soigner les soldats alliés blessés. Le groupe décide d’utiliser son innovation. Mais il faut du temps pour que celle-ci soit opérationnelle. Pour cela, la firme reçoit l’aide d’experts gouvernementaux. Ce n’est qu’en 1944 que le remède pourra affluer sur les champs de bataille. La plupart des combattants touchés lors du débarquement de Normandie bénéficieront du traitement de Pfizer.
Pendant ce temps, Emile Pfizer meurt en 1941. Aucun membre de la famille ne veut reprendre les rênes de l’entreprise. Il est donc décidé l’année suivante de créer une société anonyme, établie au Delaware, cet État américain qui n’exige que peu de droits d’enregistrement et n’impose que faiblement les compagnies. Le capital est représenté par 240.000 actions. John Smith devient le premier président du groupe coté en Bourse. En 1945, George Anderson accède au poste de président du conseil d’administration.
La guerre des antibiotiques
Après le conflit, Pfizer se confronte à de nouveaux choix stratégiques. Avec son utilisation massive, la pénicilline voit son prix dégringoler, la production n’est plus aussi rentable qu’autrefois. Il faut, dès lors dans cette optique, opter pour une diversification, à la fois au niveau des médicaments proposés et des territoires où ils sont fabriqués et vendus.
Ainsi, dans les années 1950, le groupe établit des installations en Belgique, au Brésil, au Canada, à Cuba, au Mexique, au Panama, à Puerto Rico et en Grande-Bretagne. En 1950, la division internationale est fondée. Ainsi, la première unité belge est érigée en 1952 à Jette [2]. C’est le premier site européen de la multinationale. La même année, à l’automne, la firme instaure une opération de préparation à Folkestone, dans le Kent, à l’est de l’Angleterre. En 1954, elle achète un terrain à la périphérie de Sandwich, dans le même comté, mais un peu plus au nord. Elle y construit une usine d’aliments pour animaux, opérationnelle l’année suivante. D’ailleurs, en 1957, elle y crée aussi une division agricole. L’entité sera une des plus importantes du groupe. En 1960, y travaillent plus de 2.000 salariés dans un ensemble intégré comprenant Folkestone et Sandwich. Elle intégrera un centre de recherche intitulé en 1971 Pfizer Central Research, le plus développé après ceux établis aux États-Unis.
Au Canada, la multinationale commence ses activités en 1953 à Montréal. En 1957, elle inaugure sa première implantation mexicaine à Toluca, à l’ouest de Mexico. En 1958, elle installe des usines en Italie et en Turquie.
On a vu dans cette expansion géographique qu’un des secteurs visés concernent les produits servant dans l’agriculture. En 1952, Pfizer fonde une division agricole pour le groupe (santé animale), dont la base opérationnelle se trouve à Terre Haute dans l’Indiana (à l’ouest d’Indianapolis). L’année suivante, il acquiert J.B. Roerig Co., une société spécialisée dans les compléments alimentaires.
Mais l’avancée majeure qui va propulser Pfizer au firmament des géants pharmaceutiques est la découverte, en 1950, de l’oxytétracycline, un antibiotique à large usage. En fait, une équipe de chercheurs dirigée par Alexander Finlay isole dans un échantillon de sol, près des laboratoires du groupe à Terre Haute, un élément avec une forte teneur antibiotique. Aussitôt, les experts de la multinationale pilotés par Francis Hochstein, lui-même en collaboration informelle avec le professeur de Harvard Robert Woodward [3], parviennent à en disséquer la structure chimique. Cela permet à l’entreprise de produire en masse le médicament, commercialisé sous le nom de Terramycin.
Celui-ci agit sur la capacité des bactéries à produire des protéines essentielles. En l’absence de celles-ci, les bactéries ne peuvent pas croître et se développer. Le remède arrête la propagation de l’infection et les organismes restants sont détruits par le système immunitaire. Le spectre des maladies pouvant être traitées par ce traitement est important : acné, pneumonie, ulcère à l’estomac, maladie de Lyme…
À ce moment, la plupart des chercheurs estiment que ces nouveaux produits ne peuvent qu’être naturels et que les modifier occasionnerait des dégradations dans leur efficacité. Seulement, les scientifiques de Pfizer ont continué leurs investigations et ont commencé à apporter des changements aux molécules originales. C’est ainsi qu’ils ont élaboré la tétracycline elle-même, le premier antibiotique semi-synthétique [4]. Poursuivant leurs recherches, ils ont développé la doxycycline, à la stabilité et au rendement améliorés. Breveté en 1957, après des essais cliniques dans les années 1960, le médicament a été approuvé en 1967 par la FDA (Food and Drug Administration), l’autorité sanitaire aux États-Unis. Il est commercialisé sous le nom de Vibramycine. C’est le premier antibiotique à large usage qui peut être pris quotidiennement. Il est repris dans la liste des traitements essentiels de l’Organisation mondial de la santé (OMS).
En 1972, le nouveau président de la multinationale, Edmund Pratt, décide d’accroître le budget de la R&D, qui passe de 15 à 20% du chiffre d’affaires d’après la firme [5].
En même temps, il se lance dans le combat en faveur d’une propriété intellectuelle stricte, protégeant les brevets. Il devient conseiller officiel du représentant américain au Commerce. Il participe aux négociations qui déboucheront en 1995 à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il use de cette influence pour contribuer activement à la création d’une nouvelle réglementation internationale : l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce [6]. Selon celui-ci, les nouveaux médicaments ne peuvent être dupliqués par des firmes et des pays étrangers pendant une période de vingt ans, sauf exceptions.
En 1968, Pfizer développe le priroxicam, vendu sous la marque Felden, un anti-inflammatoire utilisé contre différentes douleurs arthritiques. Breveté en 1968, celui-ci est autorisé à être employé dans le domaine médical en 1979. C’est le premier produit à atteindre le milliard de dollars de ventes et donc à devenir un blockbuster. Les génériques sont apparus en 1992. En 1984, le groupe lance le Glucotrol contre le diabète, et Procardia contre l’hypertension en 1989.
En 1989 aussi, les chercheurs de l’entreprise Peter Dunn et Albert Wood découvrent le sildénafil. Le but était de trouver une solution aux angines de poitrine, une maladie cardiaque. Mais les essais cliniques ne donnent pas les résultats attendus. En revanche, les scientifiques constatent que le médicament ingurgité provoque une érection chez les patients mâles. Pfizer décide alors de positionner ce remède contre l’impuissance, étant donné l’absence de traitement dans ce domaine. Il fait breveter la molécule en 1996 et l’autorisation de mise sur le marché sous le nom de Viagra est accordée deux ans plus tard aux États-Unis et trois ans plus tard en Europe. Très rapidement, la petite pilule bleue devient un des plus grands blockbusters du groupe.
Le temps des fusions et des acquisitions
Seulement dans les années 1990, le rythme et l’importance des innovations diminuent. De la sorte, les produits pouvant créer un avenir prometteur pour la multinationale deviennent plus rares. En outre, ceux qui ont été bénéfiques voient bientôt leurs brevets tomber dans le domaine public. Pour le groupe, il faut adapter la stratégie et ne plus s’appuyer sur sa propre recherche. La stratégie se focalise donc sur l’acquisition de sociétés qui possèdent un de ces traitements miraculeux qui procurent de larges profits.
Il n’est pas possible de reprendre la liste de toutes les acquisitions réalisées alors par Pfizer. Mais mentionnons les principales d’entre elles.
Cela commence en 2000 par la fusion avec Warner-Lambert (mais qui se présente plutôt comme un rachat) pour un montant estimé à 116 milliards de dollars. La mariée, dont les origines remontent au XIXe siècle [7], apporte une solution extrêmement lucrative contre le cholestérol, le Lipitor (vendu sous le nom de Tahor en France [8]). Breveté en 1986, mis sur le marché à partir de 1997, celui-ci devient le médicament le plus prescrit dans le monde et celui qui rapporte des milliards au groupe. Même après la levée de sa protection face aux génériques en 2011, il a continué à constituer des rentrées non négligeables pour la multinationale.
En 2003, celle-ci met le grappin sur Pharmacia pour 60 milliards de dollars. Cette firme au début suédoise a elle-même fusionné avec une importante compagnie américaine Upjohn en 1995. Cette dernière a été créée par William Upjohn en 1886 à Hastings dans le Michigan afin d’élaborer des pilules faciles à digérer. Sa consœur a vu le jour en 1911 à Stockholm, à l’initiative du pharmacien Gustav Felix Grönfeldt. Alors que celle-ci se développe lentement, Upjohn lance de nombreux produits dont le Xanax, un tranquillisant à effet rapide. Breveté en 1971, il est autorisé en 1981. Il devient un des remèdes les plus vendus, mais peut également être considéré comme une drogue en cas d’usage abusif. À la même époque, l’entreprise élabore et met sur le marché le Halcion, un somnifère à action courte. Cependant, les conséquences d’une prise exagérée de ce traitement vont provoquer son retrait du marché dans plusieurs pays dans les années 1990 et la démission du président de Pharmacia en 1997.
Au printemps 2000, la société fusionnée se marie avec Monsanto, spécialisée dans les herbicides et insecticides dont le fameux et controversé Roundup. En 1985, ce dernier avait repris la firme de biotechnologie Searle. Dès 2002, Pharmacia se débarrasse de la division agrochimique de l’établissement racheté, qui continue ses activités sous le nom de Monsanto (repris par Bayer en 2018).
Il est probable que c’est cette filiale qui intéresse Pfizer. En effet, ce sont les chercheurs de Searle, de la Brigham Young University à Provo dans l’Utah (au sud de Salt Lake City), qui ont développé le Celebrex, un anti-inflammatoire utilisé surtout contre l’arthrite, à partir de la découverte en 1988, de l’enzyme qui provoque la douleur. Pour ce faire, ils demandent la collaboration du géant Pfizer. Breveté en 1993, le médicament est mis sur le marché dès 1999. L’acquisition de Pharmacia permet à Pfizer d’être seul propriétaire du Celebrex.
En 2009, le groupe reprend Wyeth pour 68 milliards de dollars, la dernière des trois grosses opérations depuis le début du siècle. Il s’agit également d’une ancienne entreprise, puisque sa fondation remonte à 1860 lorsque deux frères John et Frank Wyeth lancent la société John Wyeth and Brother. Ils lui ajoutent en 1862 un petit laboratoire de recherche, puis une unité de production. En 1929, le dernier héritier de la famille, Stuart, décède et laisse ses parts à l’université de Harvard.
Cette institution se débarrasse de cette participation en 1932 en la cédant pour 2,9 milliards de dollars (une somme considérable à l’époque) à une nouvelle compagnie fonctionnant comme un holding et créée en 1926 par d’anciens cadres de Sterling Products et de Household Products, American Home Products (AHP). Le nouvel ensemble, constitué d’AHP et de Wyeth, garde cette appellation (d’AHP). La politique est de ne pas développer une recherche importante, mais de racheter à prix réduit des firmes plus petites, souvent sous-cotées, et de les transformer en établissements rentables, générant des marges intéressantes. Son produit phare est Anacin, une sorte d’aspirine contenant de la caféine dont John Wyeth and Brother a acheté les droits en 1930 (le produit lui-même existait depuis 1916 environ). Dans les années 1970, la firme organisait encore de vastes campagnes promotionnelles en faveur du produit, parfois avec des contenus mensongers condamnés d’ailleurs par la justice.
Néanmoins, le groupe commercialise de nombreux médicaments et vaccins. Ainsi, il lance le Premarin, utilisé contre les troubles de la ménopause et découvert à la fin des années 1930 à l’Université de Toronto. Dans les années 1990, celui-ci devient un blockbuster. En 1993, l’entreprise met sur le marché l’Effexor, un antidépresseur. En 1994, elle fusionne, pour un montant de 9,5 milliards de dollars [9], avec American Cyanamid, une compagnie fondée en 1907 pour fabriquer des produits azotés pour les engrais. Cette dernière apporte un département de recherche, le Lederle Laboratories. Mais les autres actifs vont être vendus petit à petit à des tiers. En 2002, American Home Products change de nom et reprend celui d’une de ses filiales, Wyeth.
En 1989, le professeur Bruce Beutler de l’Université du Texas à Dallas trouve le moyen de fabriquer un médicament pouvant traiter différentes formes d’arthrite, ce qui va devenir l’Enbrel. Il cède son brevet à une « petite » compagnie Immunex qui reçoit l’autorisation de vente en 1998 aux États-Unis et en 2000 en Europe. Celle-ci est contrôlée à plus de 55% par AHP. Elle a de multiples contrats avec cette dernière, surtout depuis la fusion en 1993 avec le département cancer d’AHP. Lorsqu’en 2002, Amgen rachète Immunex pour 16,9 milliards de dollars, un arrangement est trouvé pour commercialiser l’Enbrel : les États-Unis pour Amgen, le Japon pour Takeda Pharmaceuticals, Wyeth (et donc, à partir de 2009, Pfizer) pour le reste du monde.
La reprise de Wyeth permet au nouveau groupe d’élever sa part dans les biotechnologies de 5 à 20%, autour de 16 usines [10]. À l’arrivée à la tête de l’entreprise en août 2006, le président Jeff Kindler avait émis l’objectif de devenir le numéro un en matière de biotechnologie [11].
Après ces mégatransactions, Pfizer a continué sa politique d’acquisitions. En 2015, il reprend pour 15,2 milliards de dollars Hospira, un des plus grands producteurs de génériques injectables au monde, ainsi que de dispositifs et équipements médicaux. Cette société était née en 2004 de la scission, puis de la vente, de la division hospitalière d’Abbott. En 2016, le groupe cède la partie fabriquant les dispositifs médicaux à la firme californienne ICU Medical pour quelque 900 millions de dollars.
La même année, Il achète une entreprise de biotechnologie, Medivation, pour 14 milliards de dollars. Fondée en 2003, celle-ci a commercialisé le Xtandi à partir de 2012 en collaboration avec la firme japonaise Astellas Pharma, appartenant au conglomérat Mitsubishi. Il s’agit d’un traitement contre le cancer de la prostate et peut-être contre celui du sein.
Enfin, en 2019, pour nous limiter aux opérations qui dépassent les dix milliards de dollars, Pfizer acquiert une autre jeune compagnie, née en 1998, Array BioPharma pour 10,6 milliards de dollars.
Cette concentration par acquisition entraîne de permanentes restructurations, parce que cela engendre souvent des doubles emplois, notamment dans les services de vente, de recherche et d’administration. Cela commence déjà en 1993 avec la suppression de 3.000 emplois. En 2000, la fusion avec Warner-Lambert laisse 5.061 travailleurs sur le carreau. Cinq ans plus tard, la firme élimine 30.700 postes. C’est une véritable hémorragie. En 2010, elle se sépare de 6.000 salariés supplémentaires, supprimant huit unités de production, dont trois en Irlande. L’année suivante, elle ferme son centre historique anglais dans le Kent, entraînant la mise à l’écart de 2.400 personnes. En 2014, nouveau tour de vis. En 2003, les effectifs du groupe s’élèvent à 123.000. En 2021, ils ne sont plus que 79.000, malgré l’apport de géants comme Warner-Lambert (44.000), Pharmacia (43.000), Wyeth (47.426) et Hospira (19.000).
Allergique à la fiscalité américaine
Le 22 novembre 2015, une nouvelle surprenante tombe : Pfizer envisage de fusionner avec Allergan. C’est un projet gigantesque de 160 milliards de dollars, le plus vaste engagé dans l’industrie pharmaceutique pour associer la multinationale avec le producteur du botox, un relaxant musculaire. Celui-ci représentait près d’un tiers des revenus de la future mariée [12]. Sur ce plan, Pfizer poursuit sa politique de racheter des entreprises qui développent et commercialisent des blockbusters.
Mais la surprise ne vient pas de cet aspect, même si le montant de la transaction est le plus élevé du secteur. Elle porte sur le montage financier. En effet, Allergan est basé en Irlande, où l’impôt sur les sociétés est fixé à 12,5% contre 35% aux États-Unis à l’époque. Ce sera donc lui qui officiellement reprendra Pfizer, celui-ci devenant de ce fait irlandais et donc soumis aux taxes de ce pays. Ensuite, la compagnie acheteuse transforme son nom en celui de la multinationale américaine. Et le tour est joué.
Ce n’est pas une grande nouveauté, en fait. Déjà en 2013, Actavis avait jeté son dévolu sur la firme Warner Chilcott, basée dans l’île européenne. Le groupe avait effectué à cette occasion son inversion fiscale, en devenant irlandais. Ensuite, il avait mis le grappin début 2015 sur Allergan et avait repris aussi son appellation. De même, en 2014, Pfizer avait essayé de prendre le contrôle d’AstraZeneca entre autres pour établir son siège social en Grande-Bretagne, où l’impôt des sociétés n’est que de 19%. Donc il n’y avait rien de nouveau qui n’avait pas été entrepris par le passé par les deux « fiancés ». En revanche, la perte de revenus pour l’État américain venant d’un important conglomérat pharmaceutique était importante.
Les élus du Congrès ont immédiatement protesté : comment une société qui était abondamment aidée au niveau de la recherche par les subsides publics et autres formes de soutien pouvait-elle subitement se retirer en Irlande pour échapper aux taxes américaines ? L’administration démocrate d’Obama s’est donc penchée sur la question.
Elle a trouvé une faille. La procédure d’inversion fiscale est possible aux États-Unis à condition que le siège social de la nouvelle entité représente au minimum 20% de l’ensemble du nouveau groupe. Si ce n’est pas le cas, celui-ci sera également taxé chez l’oncle Sam et l’impôt concerne également les profits réalisés à l’étranger. Normalement, cela n’aurait pas dû poser problème : Allergan représentait une valorisation de 120 milliards de dollars, soit 44% de la nouvelle entité. Mais les fonctionnaires ont décidé de comptabiliser la société acquéreuse à la date de 2012, avant toutes les transactions qui avaient permis à cette dernière de devenir irlandaise. Dans ce cas, la valeur ne s’élevait plus qu’à 30 milliards, soit bien en dessous des 20% requis.
Les autorités ont donc rendu leur verdict le 4 avril 2016. Deux jours plus tard, les deux firmes concernées ont annulé leur fusion. Celle-ci n’avait plus l’intérêt suscité au début. En 2019, AbbVie a repris Allergan pour 64 milliards de dollars, sans inversion fiscale.
Pfizer a continué sa politique d’acquisition. Mais, comme cette dernière coûte de plus en plus, la multinationale a décidé de scinder ses activités en deux parties : la première qui nécessite des investissements importants dans les nouveaux produits qu’on peut vendre très cher, c’est-à-dire les blockbusters, et qui seront conservés ; la seconde regroupe les médicaments pour lesquels il existe déjà des génériques et dont le groupe se débarrassera.
C’est la décision qui est prise en 2019. Mais la pandémie de Covid-19 retarde les opérations d’un an. Le département des traitements de grande consommation pour lesquels les brevets ne sont plus protégés et regroupés sous la marque Upjohn est fusionné à Mylan, un spécialiste des génériques. La nouvelle entité prend le nom de Viatris.
Une pluie de scandales
Les achats et fusions incessants ainsi que la quête insatiable de rentabilité pour satisfaire les principaux actionnaires financiers que sont les sociétés de gestion d’actifs comme BlackRock et Vanguard amènent une série de plaintes face à des droits qui n’ont pas été respectés ou des remèdes insuffisamment contrôlés. Le site Project On Government Oversight (POGO), une organisation indépendante qui, depuis 1981, surveille les comptes publics américains pour repérer les fraudes, les abus, les gaspillages et les conflits d’intérêts potentiels, a établi que, depuis 1995, Pfizer est impliqué dans 42 procédures qui l’ont amené à verser 6,6 milliards de dollars de pénalités (principalement aux États-Unis). La dernière en date remonte au 16 septembre 2021 [13].
Déjà en 1986, la multinationale avait été épinglée pour avoir maintenu une valve cardiaque défectueuse et avoir caché aux autorités sanitaires cette situation. Depuis son introduction, cet équipement avait causé le décès de plus de 300 personnes. La FDA avait interdit son utilisation à partir de 1986 et le groupe avait dû payer 10,75 millions de dollars pour fausses allégations à la justice américaine et 9,25 millions avec l’autre firme impliquée, Shiley, pour surveiller les patients qui avaient reçu ce dispositif [14].
On ne va pas reprendre ici toutes les affaires dans lesquelles le groupe est impliqué, mais seulement les plus importantes de ces dernières années. Cela commence avec une condamnation datant de 2004 à propos du Neurotin, un antiépileptique commercialisé par Warner-Lambert (qui a été racheté en 2000 par Pfizer). Ce médicament avait été approuvé par la FDA en 1993 uniquement pour un usage anticonvulsif d’appoint ou complémentaire. Mais la direction de Warner-Lambert avait de façon agressive poussé à la prescription pour des cas plus généraux, entre 1996 et 2000. Pour en finir avec ce litige, Pfizer accepte de verser une amende de 430 millions de dollars et d’établir un code d’intégrité à respecter avec le ministère de la Santé [15].
Mais les difficultés ne s’arrêtent pas à ce stade. En mars 2010, un juge fédéral estime que la multinationale a de nouveau violé la loi en promouvant son remède comme un traitement efficace de la douleur neuropathique, des migraines et du trouble bipolaire, ce qui n’est nullement prouvé. Il lui impose une pénalité financière de 142 millions de dollars. En mai 2014, le groupe accepte de payer 325 millions pour le même problème, mais cette fois aux assureurs et autres prestataires médicaux. Ce n’est pas tout. En avril de la même année, Pfizer est condamné à une sanction de 190 millions de dollars pour avoir sciemment empêché l’arrivée de génériques pour ce produit sur le marché américain, en particulier entre 2002 et 2008.
En 2012, elle doit affronter les effets secondaires de son médicament pour adoucir les situations de ménopause, le Prempro. Celui-ci provoque des cancers du sein. Face aux 6.000 dépôts de plainte, elle accepte de payer des indemnités qui se montent environ à 1,2 milliard de dollars. La même année, elle est condamnée à une amende de 60 millions pour le versement de pots-de-vin à des médecins et représentants de commerce en Chine, République tchèque, Italie, Serbie, Bulgarie, Croatie, Kazakhstan et Russie.
Enfin, en 2021, la multinationale consent à dédommager à hauteur de 345 millions de dollars les utilisateurs de l’EpiPen, un produit injectable contre les réactions allergiques graves. Il est fabriqué par Pfizer, mais commercialisé par Mylan. Or, ce dernier est accusé de pratiquer des comportements visant à éliminer la concurrence, notamment en accordant des ristournes aux assureurs qui refusaient de couvrir un médicament rival.
La condamnation pénale la plus chère des États-Unis
L’affaire la plus pénible pour l’entreprise survient en septembre 2009. Elle est aux prises avec des opérations de promotion illégale, déclarations fausses et trompeuses sur la sûreté des médicaments ainsi que des pots-de-vin aux médecins pour quatre médicaments, Bextra, un anti-inflammatoire, Zyvox, un antibiotique, Geodon, un antipsychotique, et Lyrica, un produit contre les troubles nerveux comme l’épilepsie.
Au départ, la compagnie ne reconnaît qu’un marketing exagéré pour le Zyvox. Mais la justice américaine inculpe deux responsables pour avoir incité la vente du Bextra pour des utilisations non autorisées entre 2001 et 2005. Ce traitement avait été accepté en 2001 par la FDA. Mais des cas croissants de crises cardiaques, d’accidents vasculaires cérébraux et de réactions cutanées graves suite à la prise de ce remède amènent les autorités sanitaires à exiger du fabricant le retrait du produit [16]. Dans le cas du Geodon, la FDA ne l’avait permis que pour la population âgée entre 18 et 65 ans. Or, le groupe avait rémunéré des pédiatres afin qu’ils vantent les bienfaits de la solution [17].
Pour éviter des sanctions plus dramatiques encore, Pfizer consent à transiger. Il accepte de plaider coupable et doit verser, une amende record de 2,3 milliards de dollars, dont 1,2 milliard pour activité criminelle, la plus importante jamais décidée dans le cadre d’une poursuite pénale aux États-Unis. Les actionnaires ont alors décidé de porter plainte pour non-divulgation d’informations essentielles sur la situation réelle de la société face à une telle affaire. Un an après le premier arrangement, la multinationale passe un accord pour les gratifier de 400 millions de dollars en compensation.
Des essais illégaux sur enfants au Nigeria
En 1996, l’Afrique connaît la pire épidémie de méningite, couplée avec des cas de rougeole et de choléra. Pfizer se propose d’apporter un nouvel antibiotique pour l’affronter, le Trovan, qu’il teste sur 200 enfants au Nigeria. Dans le groupe qui reçoit le traitement, cinq décèdent et les autres ont souffert de problèmes hépatiques, voire des handicaps à vie (lésions cérébrales, surdité ou paralysie). Dans l’autre à qui on administre le traitement traditionnel, on déplore six décès. Mais les familles des victimes affirment que ce dernier résultat est dû à la politique de l’entreprise de donner une dose moins importante dans cette classe pour prouver l’efficacité de son produit. Plusieurs d’entre elles déposent plainte en 2001 à New York, sans trop de succès.
En 1997, la FDA approuve le médicament, mais uniquement pour les adultes. Ensuite, elle constate des dégâts sur le foie et demande le retrait du traitement en 2000. En Europe, celui-ci est autorisé en 1998, mais suspendu dès août de l’année suivante. En décembre 2000, le Washington Post publie une vaste enquête accablante sur la manière dont les multinationales mènent des essais cliniques dans les pays moins avancés. Cela incite le ministère nigérian de la Santé de conduire ses propres investigations, conclues dans un rapport de 83 pages daté de 2001, tout aussi accusateur, mais gardé secret par les autorités du pays. Finalement, celui-ci sera dérobé et confié au Washington Post qui le rend public en mai 2006.
Le gouvernement nigérian réclame alors sept milliards de dollars de dommages et intérêts. Le procès s’ouvre en 2007. Il se solde, deux ans plus tard, par le paiement de 75 millions de dollars à l’État du Kano, dans le nord du pays, là où les tests ont été effectués. Dans cet accord, 35 millions vont aux familles, 30 millions à la reconstruction de l’hôpital des maladies infectieuses où les essais frauduleux avaient été conduits (ce qui sera achevé en 2013) et 10 millions pour les coûts légaux [18]. Les autorités abandonnent les autres poursuites.
Par la suite, un câble entre les ambassades américaines, intercepté par Wikileaks, révèle que Pfizer a engagé des détectives pour découvrir des situations de corruption dans lesquelles le procureur général fédéral, Michael Aondoakaa, serait impliqué. Le but est alors de faire pression sur lui pour que l’État du Nigeria mette fin à ses enquêtes et ses réclamations [19]. La firme estime n’avoir rien commis de grave et ne devoir aucune indemnité. Mais elle se satisfait de l’arrangement qui lui permet d’échapper potentiellement à des sanctions beaucoup plus lourdes.
Si Pfizer tente de devenir un leader incontesté de l’industrie pharmaceutique, il détient manifestement la palme dans le domaine des scandales.
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Source photo : Stephen Bowler, Drugs, CC BY 2.0, Flickr
[1] En comparaison, un constructeur comme Ford, qui n’avait pas encore introduit son modèle T, devait avoir un chiffre d’affaires d’environ 1,7 million de dollars dans une industrie certes naissante.
[2] Aujourd’hui, le groupe Pfizer est composé de quatre unités : un siège central de 240 personnes à Ixelles ; un centre de recherche clinique à Anderlecht, sur le campus de l’hôpital Erasme ; un site de production à Puurs où travaillent 3.500 salariés environ ; une unité logistique à Zaventem, la plus importante de la multinationale.
[3] Robert Woodward obtient le prix Nobel de chimie en 1965 pour ses travaux dans la synthèse organique.
[4] La tétracycline a été découverte en 1948 par Benjamin Duggar sous forme naturelle. Vu son efficacité, elle a été reconnue en 1954 par la FDA. Mais, ici, il s’agit d’une version modifiée, donc pas complètement naturelle.
[5] Les comptes de l’entreprise montrent une hausse de la R&D par rapport au chiffre d’affaires, mais de 6% en 1981 à 11% en 1992, au moment où Pratt cède son poste de président. Actuellement, elle avoisine les 15%.
[6] Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights ou TRIPS en anglais.
[7] La firme a été initiée par William Warner en 1856, lorsqu’il a fondé une pharmacie à Philadelphie. D’autre part, en 1881, Jordan Wheat Lambert a lancé en 1881 une entreprise pharmaceutique à Saint-Louis pour produire et vendre la Listerine, un bain de bouche antiseptique. En 1955, les deux entreprises fusionnent pour former Warner-Lambert.
[8] En Belgique, la multinationale a gardé le nom d’origine, Lipitor.
[9] À l’époque, c’est la seconde transaction dans l’industrie pharmaceutique par montant de capital engagé.
[10] BioPharm International News, 12 février 2010.
[11] Nelly Weinmann, R&D des compagnies pharmaceutiques : Ruptures et Mutations, Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, Direction Générale des Entreprises, Observatoire des Stratégies Industrielles, janvier 2008, p.101.
[12] Allergan, Annual Report 2014, form 10-K, p.46 et 47. En 1991, Allergan acquiert Oculinum, qui fabrique un remède pour les troubles des muscles oculaires. Aussitôt, il rebaptise le médicament botox.
[14] The New York Times, 2 juillet 1994.
[15] US Department of Justice, Warner-Lambert to Pay 430 Million Dollars to Resolve Criminal & Civil Health Care Liability Relating to Off-Label Promotion, 13 mai 2004.
[16] FBI, Financial Crimes Report 2009 : https://www.fbi.gov/stats-services/publications/financial-crimes-report-2009.
[17] France 24, 3 septembre 2009.
[18] The Washington Post, 31 juillet 2009.
[19] The Guardian, 9 décembre 2010.
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