Si aujourd’hui le terme « économie » renvoie spontanément à l’idée de production, accumulation, rendement, il n’en a pas toujours été ainsi. À l’origine, ce terme englobe bien d’autres acceptions. Ainsi, au 18e, on parle par exemple de « l’économie d’une pièce de théâtre » à propos de l’agencement des différentes scènes, décors, costumes, etc. L’« économie de la nature » désigne alors les relations entre les différentes espèces vivantes − êtres humains compris − évoluant au sein des écosystèmes.
Progressivement, l’économie va intégrer des notions de rendements et de capital, évacuer la nature et se concentrer uniquement sur les relations humaines pour ne plus exister que dans le sens qu’on lui connait actuellement. Au 19e siècle, le néologisme « écologie » apparait, avec une définition proche de celle de l’économie de la nature. La discipline va rapidement s’autonomiser pour étudier uniquement le milieu naturel (animaux et végétaux), sans les humains.
Et si les raisons de notre incapacité à gérer les défis environnementaux actuels s’expliquaient par la séparation dans l’étude des humains et de la nature ? Et si on s’attachait à étudier les écosystèmes et les sociétés humaines comme un tout ? Peut-être alors pourrait-on réellement (ré)concilier économie et écologie…
Ce numéro du Gresea Échos fait état de la place de la nature dans la pensée économique dominante depuis ses origines pour aboutir aux politiques environnementales actuelles.
Édito
Connaitre et gérer la maison
Économie et écologie peuvent-elles aller de pair ? La question se pose tant les conséquences de l’activité économique, nécessitant toujours plus de ressources naturelles, deviennent flagrantes : pollution, effondrement de la biodiversité, multiplication des déchets, épuisement des sols, artificialisation et élevage intensif d’animaux sauvages propices aux épidémies, etc.
Étymologiquement, les deux termes sont pourtant jumeaux. L’« économie » est formée du grec oikos (la maison) et nomos (gérer, administrer). « Écologie » se compose du même oikos et de logos (qui se rapporte à la science, la connaissance). Mais comment, de cette proximité sémantique a-t-on abouti à opposer ces deux termes ?
Il faut tout d’abord rappeler que l’économie est un concept polysémique. Si de nos jours l’économie ne s’intéresse pratiquement plus qu’aux mécanismes financiers, aux relations commerciales et au développement industriel, le terme servait aussi par le passé à désigner la distribution des éléments d’un ensemble complexe. Par exemple, jusqu’au XIXe siècle, on parle de l’« économie d’une pièce de théâtre » à propos de l’agencement des différentes scènes qui la composent, des décors, costumes, etc. ou d’« économie animale » pour désigner les interactions des espèces avec leur environnement. On retrouve ainsi, au XVIIIe siècle, l’expression « économie de la nature ». Dans son acception première, celle-ci décrit l’équilibre entre les différentes espèces vivantes (humains compris) évoluant au sein des écosystèmes. À ce moment, l’économie de la nature concerne à la fois les relations au sein des sociétés humaines, mais également avec le milieu naturel.
À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, le terme « économie » va progressivement voir son sens se restreindre pour ne plus désigner que l’administration de la production, du commerce et la répartition des richesses. À l’économie de la nature, qui considérait le vivant dans son ensemble, va se substituer une économie qui ne s‘intéresse plus qu’aux sociétés humaines, le plus souvent dans « une pensée strictement orientée vers l’utilitarisme social, la morale individuelle et la science du calcul » [1]. La nature et le reste du vivant sont ainsi exclus de l’économie.
Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, Haeckel, un naturaliste, vulgarisateur de Darwin, propose un néologisme : l’écologie. Il la définit en 1868 comme la « science de l’ensemble des rapports des organismes avec le monde extérieur ambiant, avec les conditions organiques et anorganiques de l’existence » [2]. Une définition proche de celle de l’économie de la nature utilisée un siècle plus tôt. Les naturalistes et biologistes vont à leur tour accaparer le terme « écologie » pour ne lui laisser comme signification que l’étude des espèces végétales et animales (sans l’humain) et de leurs interactions avec leur milieu.
La scission est consommée. L’économie de la nature va se voir séparée en deux branches distinctes qui vont longtemps s’ignorer, l’une traitant de l’homo economicus, des relations marchandes et de production, l’autre traitant du vivant et des écosystèmes en excluant l’humain. Comme l’explique Alain Deneault : « Si le terme “économie” ne s’était pas trouvé dévoyé par d’autoproclamés “économistes”, jamais celui d’“écologie” n’aurait eu à s’inventer. » [3].
Ce retour sur les mots constitue pour nous une première piste pour comprendre les raisons de cette séparation dans l’étude des humains et de la nature – entre économie et écologie – comme si les deux n’entretenaient pas d’intimes relations. Ce découpage entre disciplines fait certainement partie des causes de notre incapacité à gérer les défis environnementaux auxquels nous faisons face.
Afin d’éclaircir les raisons de cette distinction, nous allons tenter dans ce numéro de retracer la manière dont l’économie dominante a considéré puis intégré la nature dans son analyse – le plus souvent au travers du marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
– pour aboutir aux politiques environnementales actuelles. Nous nous pencherons ensuite sur un champ de recherche plus récent en économie, celui de l’économie écologique, qui se donne pour ambition de refonder une pensée économique qui tient compte à la fois des enseignements des sciences de la nature, mais réfléchit aussi à leur articulation avec le fonctionnement de nos sociétés en y intégrant les apports des sciences humaines et sociales. Le troisième article traitera de la prise en compte de la question environnementale dans la pensée marxiste et des rapports parfois ambivalents de ce courant à la question environnementale. Dans les deux derniers articles de ce numéro, nous nous rapprocherons un peu plus de l’actualité. Le quatrième article traitera des propositions politiques de l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
dans son Pacte vert pour l’Europe. Enfin, nous nous pencherons, au travers du regard d’un militant, sur le mouvement climat et les différentes tendances qui le traversent.
Sommaire
Éditorial : Connaitre et administrer la maison
Romain Gelin, Gresea
L’environnement encastré dans le marché
Romain Gelin, Gresea
Économie écologique : un nouveau paradigme économique
Romain Gelin, Gresea
L’écologie de Marx. Un chantier inachevé, une invitation à l’approfondissement Daniel Tanuro, Fondation Léon Lesoil
Le pacte vert pour l’Europe : des paroles aux actes manqués
Boris Fronteddu, Observatoire social européen
La galaxie climat à l’épreuve de ses clivages. Regard militant
Brieuc Wathelet
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Photo by Axel Fassio, CIFOR_CC BY-NC-ND 2.0_Flickr