Avant de disserter sur les avantages potentiels d’un rapprochement entre la région de Bruxelles-capitale et la Wallonie en matière de lutte contre la pauvreté, nous livrerons les derniers chiffres parus, permettant d’évaluer l’importance du phénomène dans ces deux régions.

A l’échelle nationale, les dernières statistiques livrées par des scientifiques [1] indiquent que 12% des Belges seraient aujourd’hui confrontés à la pauvreté. D’après cette enquête et sur la base d’un critère de revenu en fonction du revenu moyen et variant selon les différents pays d’Europe, une personne était considérée comme pauvre en Belgique lorsque son revenu disponible ne dépassait pas 882 euros par mois pour une personne isolée ou 1.726 euros pour un ménage comptant quatre personnes.

Pauvreté : les différences régionales

Selon cette étude, on comptait 8% de pauvres en Wallonie et surtout 28% en région de Bruxelles-capitale, soit un habitant sur trois. En 1981, la région de Bruxelles pesait pour 12,4% des bénéficiaires du minimex en Belgique. En 2005, le poids de Bruxelles équivalait à 24,22% du nombre de dossiers de bénéficiaires du revenu d’insertion pour l’ensemble du pays. Depuis 1989, le nombre de personnes qui, à Bruxelles, bénéficient du revenu d’insertion a plus que triplé, accusant une progression de 321% [2]. Pendant ce temps, la Région wallonne voyait le nombre de titulaires du revenu d’intégration sociale augmenter de 55%. En Flandre, la tendance aura été, en cette matière, à la stabilité avec une augmentation du nombre de minimexés de l’ordre de 8%.

Autre indicateur : l’évolution du revenu moyen annuel par habitant [3]. Pour la Belgique, on signalera une progression du revenu moyen de 79% [4] depuis 1989. Tous les Belges n’auront évidemment pas été égaux devant cette croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
. En Flandre, l’accroissement du revenu moyen a été de 86%. La Wallonie se situait en dessous de la moyenne nationale avec une augmentation de 77%. Enfin, Bruxelles ferme la marche avec la croissance la plus faible sur cette même période (+50%).

Évidemment, les chiffres du chômage en région de Bruxelles-capitale ne sont évidemment pas étrangers à cette stagnation. La Région de Bruxelles-Capitale compte, selon l’office statistique de la communauté européenne Eurostat, parmi les régions d’Europe ayant un taux de chômage record.

Avec un taux de chômage de 17,6% en 2006, Bruxelles se classe parmi les 16 régions européennes où le taux est supérieur au double de la moyenne européenne (8,2% dans l’UE UE Ou Union Européenne : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
-27). Dans ce peloton de tête, on retrouve des départements français d’outre-mer, des länder de l’ex Allemagne de l’est ainsi que des régions de Slovaquie, de Pologne et d’Espagne.

La Flandre, quant à elle, affichait, pour l’année 2006, un taux de chômage de 5 pc alors que le taux de chômage wallon (11,7%) [5] se situait également au-dessus de la moyenne européenne.

Interprétation des données

Quelles leçons tirer de cette longue et fastidieuse énumération de chiffres ?

Tout d’abord que Bruxelles et Wallonie sont objectivement dans le même bateau. A ce titre, au vu des profils respectifs de leurs régions, on ne peut d’ailleurs qu’inviter Bruxellois et Wallons à s’unir autour du thème de la défense de la sécurité sociale.

On pourrait citer comme cheval de bataille à mettre en avant la vieille revendication syndicale de liaison des allocations sociales au bien-être. Dans une interview à La Libre Belgique [6], Claude Rollin, secrétaire général de la CSC, interpellait, les décideurs politiques : "Depuis de nombreuses années, les allocations sociales augmentent moins rapidement que les salaires moyens. Beaucoup d’allocataires sociaux se retrouvent aujourd’hui dans la précarité. Cela fait cinq ans que nous réclamons une adaptation".

Et les chiffres ont effectivement de quoi inquiéter : par exemple, en 1980, l’allocation de chômage moyenne représentait 45 % du salaire moyen. En 2005, elle ne représente plus que 27%. Ce qui explique qu’aujourd’hui, en Belgique, le taux de pauvreté est de 15%.

De fait, bien des allocataires sociaux perçoivent des revenus inférieurs à ce seuil. C’est notamment le cas des pensionnés. Pour cette catégorie, on relèvera que près de 25% des pensionnés belges peuvent être considérés comme pauvres. De fait, défendre une certaine vision de la sécurité sociale, c’est, de fait, rencontrer les besoins de nos régions respectives.

En effet, observe Paul Palsterman (service d’études CSC), "la politique qu’a voulu réformer Frank Vandenbroucke avec son "État social actif" n’a pas été conçue par des Wallons en fonction des besoins de la Wallonie. Elle a été conçue par des Flamands sur la base de l’idée que la Flandre ne compte plus de vrais chômeurs. (…). Si la politique avait été conçue en fonction des besoins wallons et bruxellois, où on n’a pas de difficulté à reconnaître que le chômage est associé à la misère et à l’exclusion, il aurait fallu prévoir des allocations d’un montant bien supérieur à ce qui est actuellement prévu et, surtout, une politique beaucoup plus résolue d’accompagnement et de plein emploi Plein emploi Situation d’une économie où tous ceux qui désirent travailler, dans les conditions de travail et de rémunération habituelles, trouvent un travail dans un délai raisonnable. Il existe un chômage d’environ 2 ou 3% de la population, correspondant aux personnes ayant quitté un travail pour en trouver un autre. On appelle cela le chômage frictionnel (chômage de transition ou chômage incompressible).
(En anglais : full employment)
 [7]". Citation qui se passera, bien entendu, de commentaires.

Bruxelles et la Wallonie sont donc dans le même bateau. C’est entendu. Ces deux régions se retrouvent également dans la ligne de mire de certains cénacles qui, au Nord du pays, tirent à boulets rouges sur les transferts interpersonnels. A ce sujet, Bruxellois et Wallons ont tout intérêt à parler d’une même voix. Pour, par exemple, dire qu’ils ne sont pas les pique-assiettes de la Belgique fédérale.

Selon le think tank Think tank Littéralement « boîte à idée » ; organisme regroupant généralement des chefs d’entreprise, des responsables politiques, des professeurs d’université ou chercheurs, des journalistes pour discuter de problématiques importantes pour un pays, une région, la planète et pour ainsi influer sur les grandes orientations politiques.
(en anglais : think tank)
flamand "In de warande [8]", la Région flamande se délesterait de 6,6% de son produit régional brut au profit de la Wallonie et de Bruxelles qui verraient, du fait des transferts, leurs produits régionaux bruts croître respectivement de 12,1 et 8,1%.

Cette méthode de calcul est particulièrement contestable.

C’est qu’à Bruxelles, le revenu régional est, à la différence de la Flandre et de la Wallonie, largement inférieur au PIB PIB Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
de cette région. Cela est essentiellement dû au"grand nombre de navetteurs qui travaillent à Bruxelles mais qui résident dans une des deux autres régions du pays. Le montant de transferts dont bénéficie Bruxelles apparaît donc nettement supérieur dans le Manifeste au niveau qu’aurait atteint le ratio si les transferts avaient été rapportés au PIB bruxellois (4,45%). Pour la Flandre et la Wallonie, les montants de transferts (…) s’élèvent respectivement à 6,73% et 12,83% [9]".

Toutes réalités qui sont rappelées à chaque round communautaire en cas de revendication flamande d’approfondissement du fédéralisme fiscal en Belgique.

P.-S.

La présente analyse a fait l’objet d’une demande par la revue "Humanisme et solidarité", organe de la démocratie chrétienne Wallonie-Bruxelles. L’analyse vise à montrer en quoi il y a matière à rapprochement entre la Wallonie et Bruxelles en matière de lutte contre la pauvreté.

Notes

[1Caroline Dewilde et Peter Rayemaeckers, Onderzoeksgroep Armoede, Sociale Uitsluiting en de Stad, Université d’Anvers, Rapport annuel 2007 sur la pauvreté et l’exclusion sociale

[2Pol Zimmer, Les évolutions sociodémographiques de la Région de Bruxelles-Capitale depuis 1989 in SLRB infos, n° 49, janvier-février 2007, p.9, tableau 5.

[3Ibid, tableau 4.

[4Ces chiffres ne sont, selon toute vraisemblance, pas déflatés, c’est-à-dire qu’ils ne reflètent pas l’augmentation du coût de la vie de puis 1989. Autre bémol à apporter : le revenu moyen ne dit rien des différences. Pour ce faire, on se réfèrera à d’autres variables (revenu médian et modal. Tout ceci a de fait, relativement peu d’importance pour ce qui nous occupe, à savoir, esquisser les différences interrégionales pour ce qui est de l’évolution de la richesse.

[5Chiffres cités par la Libre Belgique du 12/12/2007.

[6La Libre Belgique, 07/09/2006

[7Paul Palstermann (du service d’études de la CSC), "Une sécurité sociale solidaire ou non ?" in La Belgique à tout prix, Cahiers du Cepess, mars 2007, p.30.

[8Denkgroep "In de Warrande", "Manifeste pour une Flandre indépendante en Europe" cité par Olivier Meunier, Michel Mignolet et Marie-Eve Mulquin, "Exagérez, exagérez, il en restera toujours quelque chose" in Cahiers du Cepess, mars 2007, p.48.

[9Ibid., p.49.