Cette analyse s’appuie sur les travaux réalisés en vue de l’intervention du Gresea lors du séminaire sur les enjeux du coton génétiquement modifié en Afrique, organisé à l’initiative de la Commission européenne et du Secrétariat des pays ACP et qui s’est tenu les 16, 17 et 18 septembre 2008 à Ouagadougou (Burkina Faso).
(version actualisée, janvier 2009)

Le Burkina Faso sera cette année le troisième pays d’Afrique (le premier d’Afrique de l’Ouest et du Centre) à se lancer dans la production commerciale de cultures transgéniques. D’autres pourraient suivre : les gouvernements de plusieurs pays de la région envisagent clairement cette introduction. Dans le même temps, de nombreuses voix venant des organisations agricoles et ONG locales s’y opposent. Il faut dire que les questions et les craintes suscitées par l’adoption des biotechnologies végétales en Afrique ne manquent pas. L’une de ces craintes porte sur le contrôle de la filière d’approvisionnement des semences transgéniques. Pour les opposants aux OGM, ce contrôle serait exercé par les multinationales du secteur, accentuant ainsi la dépendance du monde agricole aux mêmes géants industriels, qui dominent déjà la fourniture de pesticides et de fertilisants. Qu’en est-il au juste ? L’Afrique a-t-elle ou non les moyens de contrôler la filière ? C’est à cette question que la présente analyse tente d’apporter des éléments de réponse.

Le 26 septembre 2006, en visite dans une ferme expérimentale de coton transgénique de la province du Tuy au Burkina Faso, Salif Diallo, ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, confirmait la décision de ce pays d’introduire commercialement cette culture génétiquement modifiée. A cette occasion, le ministre déclarait : "la semence [transgénique] sera produite ici même au Burkina. (…) Nous sommes en train de prendre des dispositions pour avoir la maîtrise de la production de semences. Ce seront donc des OGM "Made in Burkina". Nous aurons ce que l’on appelle les "clés". Et ce seront des clefs burkinabées. (…) Si un autre pays veut utiliser notre semence, il nous payera une certaine somme en guise de brevet Brevet Titre de propriété intellectuelle qui confère à son propriétaire le droit d’interdire à un tiers d’exploiter le résultat économique de l’invention tirée de ce titre pour une durée limitée (souvent 20 ans).
(en anglais : patent)
. Tout comme nous avons payé de l’argent aux firmes américaines pour avoir la technique. Nous allons signer des contrats et ainsi de suite, nous arriverons à gérer la question des semences. D’ailleurs elle ne se pose pas en tant que telle parce que déjà nos techniciens la maîtrisent plus ou moins
" [1]. Salif Diallo répondait ainsi à l’une des critiques fréquemment émises par les opposants à l’introduction d’OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) en Afrique : cette introduction rendrait les paysans dépendants d’une poignée de multinationales pour la fourniture en semences, avec le risque d’un coût d’approvisionnement à terme plus élevé.

Le cheval de Troie africain
On ne prendra sans doute pas la pleine mesure politique et économique de l’introduction des OGM au Burkina Faso si on ne garde pas à l’esprit que ce pays, premier producteur de coton d’Afrique de l’Ouest, en est aussi le maillon faible (régime fragilisé, avide de reconnaissance internationale, donc occidentale) ; que Monsanto y a entrepris dès 2001, en secret et en violation du droit international, des essais "sauvages" sur des cultures de coton qui ne seront "légalisés" par le parlement burkinabé qu’en 2006 ; que le ralliement de François Traoré (dirigeant de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina) aux vertus d’une agriculture génétiquement modifiée sera récompensée par l’octroi de 30% des parts de la Sofitex (Société des fibres textiles), privatisée à la demande de la Banque mondiale Banque mondiale Institution intergouvernementale créée à la conférence de Bretton Woods (1944) pour aider à la reconstruction des pays dévastés par la deuxième guerre mondiale. Forte du capital souscrit par ses membres, la Banque mondiale a désormais pour objectif de financer des projets de développement au sein des pays moins avancés en jouant le rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et les pays détenteurs de capitaux. Elle se compose de trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID) et la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’agit que lorsque le FMI est parvenu à imposer ses orientations politiques et économiques aux pays demandeurs.
(En anglais : World Bank)
, ce qui n’a pas manqué de susciter un large mouvement paysan anti-OGM de contestation des élites locales acquises à Monsanto ; que ce dernier a la haute main sur la formation des techniciens et producteurs de coton, de même que sur la fixation des prix de la semence du coton OGMisé (45 euros à l’hectare, contre 1,37 euro pour les semences de coton conventionnel) ; et, enfin, que le débat scientifique est largement biaisé par le poids "financier" dont dispose Monsanto et ses alliés : conférences de presse, "voyages d’étude" et autres cadeaux payés par le gouvernement burkinabé, étalage de statistiques lénifiantes sur papier glacé produites par la multinationale Multinationale Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
américaine et "ateliers" en tout genre sous les auspices de l’Union européenne Union Européenne Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
... On se reportera utilement à l’article, dont ces éléments sont extraits, de Françoise Gérard, "Monsanto à l’assaut du Burkina Faso", publié par le Monde Diplomatique dans son numéro 659 daté de février 2009.
E.R.

La déclaration du ministre, autant que la critique qu’elle entendait désamorcer, soulèvent l’enjeu de la maîtrise du processus de développement, de brevetage et de commercialisation des cultures génétiquement modifiées. La question est la suivante : des cultures transgéniques essentiellement ’Made in Burkina’ ou ’Made in Africa’ sont-elles possibles ? Autrement dit et sans se prononcer ici sur l’intérêt ou non d’utiliser des OGM en agriculture, en cas d’une diffusion à large échelle de ces OGM sur le continent africain, les pays concernés ont-ils réellement les moyens de les développer, les breveter et les commercialiser eux-mêmes ?

L’article comporte quatre sections. La première fournit quelques éléments contextuels utiles à la compréhension des développements qui suivent. La seconde montre combien l’offre de semences transgéniques est concentrée. La troisième met en évidence deux pratiques des multinationales qui contribuent à cette concentration. La quatrième, enfin, conclut en fournissant une réponse à la question centrale de l’article.

 1. Mise en contexte

Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques points de repère sont indispensables. A commencer par rappeler ce que sont les "OGM" et à quoi ils sont susceptibles de servir.

1.1. Qu’est-ce qu’un OGM et à quoi peut-il servir ?
Un OGM est un organisme dont le matériel génétique a été modifié par l’introduction d’un ou plusieurs gènes étrangers. But de l’opération ? Conférer à l’organisme une caractéristique nouvelle ou améliorée, qui sera transmissible à la descendance. Le transfert de gènes s’effectue le plus souvent entre organismes d’espèces différentes. Il est toutefois possible entre organismes de la même espèce. Si un OGM peut être modifié de manière naturelle, les expressions "OGM" et "organismes transgéniques" font plus particulièrement référence aux organismes modifiés en laboratoire [2].

Les plantes génétiquement modifiées aujourd’hui commercialisées ont été développées pour remplir deux grandes fonctions. D’une part, la résistance à certains herbicides totaux [3] et tout particulièrement au glyphosate, matière active du Roundup, herbicide vedette de la multinationale Monsanto. Coupe double pour la multinationale. Car c’est aussi elle qui développe les plantes résistantes au Roundup, dénommées "Roundup Ready". D’autre part, la résistance à certains insectes, obtenue par l’introduction de gènes de la bactérie "Bt" (Bacillus thuringiensis), gènes à l’origine de toxines nocives pour des insectes de l’ordre des lépidoptères (papillons). Monsanto est également à l’origine des plantes "Bt". La plupart des plantes transgéniques commercialisées offrent une de ces résistances. Certaines offrent les deux [4].

Le coton Bt est le principal coton transgénique commercialisé à l’échelle mondiale [5]. En entraînant théoriquement une réduction drastique des quantités d’insecticides pulvérisées sur les plantations, il présente potentiellement, à l’instar des autres plantes Bt, quatre avantages majeurs :

  • Réduire les coûts de production de l’agriculteur, améliorant d’autant son revenu ;
  • Annihiler les impacts néfastes de l’utilisation des insecticides chimiques (développés en laboratoire) sur la santé de l’exploitant et de sa famille. L’exposition ponctuelle ou répétée aux pesticides chimiques utilisés dans les plantations de coton est connue pour favoriser, entre autres, les problèmes sanitaires suivants : perte de poids, maux de tête, nausées, tremblements, affections du système nerveux, affections des reins, immunodéficience du foie, développement accru de cancers du cerveau ;
  • Annihiler les impacts néfastes de l’usage des insecticides chimiques sur l’environnement (destruction de formes de vie non nuisible aux cultures, pollution des nappes phréatiques,…) ;
  • Libérer un temps de travail important, permettant à l’agriculteur de se consacrer davantage à d’autres tâches importantes pour une bonne gestion de l’exploitation [6].

Plus récemment, une autre fonction majeure a fait son apparition pour les OGM : la résistance à divers stress environnementaux tels que la sécheresse, les inondations, la salinité, les hautes températures, les radiations ultraviolets, … A ce stade, cette biotechnologie n’en est pas encore au stade de la commercialisation mais du brevetage. En mai dernier, ETC Group (Action Group on Erosion, Technology and Concentration) faisait état de 532 brevets déposés par les grandes entreprises du secteur transgénique (Monsanto, BASF, Syngenta, …) sur des séquences génétiques impliquées dans cette résistance [7].

1.2. Les droits de propriété intellectuelle Propriété intellectuelle Ensemble des droits exclusifs accordés sur les créations intellectuelles liées à un auteur, dont un acteur économique (souvent une entreprise) se fait le représentant.
(en anglais : intellectual property)

Le 16 juin 1980, dans l’affaire "Diamond, Commissionner of Patents and Trademarks vs Chakrabarty", la Cour suprême des Etats-Unis, par cinq voix contre quatre, accordait à Ananda Mohan Chakrabarty un brevet sur une bactérie génétiquement manipulée, conçue pour permettre la décomposition du pétrole brut. Pour la toute première fois de l’histoire, un brevet était octroyé sur une forme complexe de vie. A l’origine de l’octroi de ce brevet, la Cour estimait que si des formes de vie naturelles simplement découvertes ne peuvent être brevetées, les microorganismes génétiquement manipulés peuvent l’être, dans la mesure où ils impliquent un processus de fabrication humaine, et constituent à ce titre des "inventions".
Depuis, le droit international relatif aux DPI (Droits de Propriété Intellectuelle) sur le vivant, notamment en ce qui concerne les végétaux, a fait du chemin. Il fait aujourd’hui l’objet de négociations commerciales dans le cadre de l’OMC OMC Organisation mondiale du Commerce : Institution créée le 1er janvier 1995 pour favoriser le libre-échange et y ériger les règles fondamentales, en se substituant au GATT. Par rapport au GATT, elle élargit les accords de liberté à des domaines non traités à ce niveau jusqu’alors comme l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les investissements liés au commerce… En outre, elle établit un tribunal, l’organe des règlements des différends, permettant à un pays qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre de déposer plainte contre celui-ci, puis de prendre des sanctions de représailles si son cas est reconnu valable. Il y a actuellement 157 membres (en comptant l’Union européenne) et 26 États observateurs susceptibles d’entrer dans l’association dans les prochaines années.
(En anglais : World Trade Organization, WTO)
(Organisation Mondiale du Commerce Organisation mondiale du Commerce Ou OMC : Institution créée le 1er janvier 1995 pour favoriser le libre-échange et y ériger les règles fondamentales, en se substituant au GATT. Par rapport au GATT, elle élargit les accords de liberté à des domaines non traités à ce niveau jusqu’alors comme l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les investissements liés au commerce… En outre, elle établit un tribunal, l’organe des règlements des différends, permettant à un pays qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre de déposer plainte contre celui-ci, puis de prendre des sanctions de représailles si son cas est reconnu valable. Il y a actuellement 157 membres (en comptant l’Union européenne) et 26 États observateurs susceptibles d’entrer dans l’association dans les prochaines années.
(En anglais : World Trade Organization, WTO)
). L’Accord sur les ADPIC (Aspects des Droits de Propriété intellectuelle qui touchent au Commerce) oblige les Etats membres de l’OMC à protéger les obtentions végétales, c’est-à-dire des plantes modifiées par simple croisement ou génétiquement, par le régime de protection de leur choix (article 27b). L’accord prévoit deux possibilités. Soit des brevets, soit un système dit "sui generis" (littéralement "de sa propre nature"), qui consiste en un régime autre de protection des variétés de plantes, propre à chaque pays [8].

Depuis les débuts de l’Accord sur les ADPIC, la plupart des Etats membres de l’OMC ont commencé à adapter leurs législations nationales en faveur d’une protection accrue des DPI, dont ceux sur le vivant. Bon nombre d’entre eux ont adopté le régime de protection de l’UPOV (Union pour la Protection des Obtentions Végétales). Ce régime sui généris de protection correspond au système du droit des obtenteurs, en vertu duquel des variétés végétales peuvent être protégées au moyen de COV (Certificats d’Obtentions Végétales) [9]. Le COV protège la variété végétale, inscrite comme tel dans un catalogue officiel dressant la liste des variétés autorisées à la commercialisation. Le brevet porte quant à lui spécifiquement sur le gène introduit dans la plante (et sur le procédé d’introduction utilisé). En aucun cas il ne peut s’appliquer à la plante elle-même. Il est donc mieux adapté que le COV au domaine des biotechnologies, où l’enjeu est avant tout de protéger la séquence génétique introduite dans la variété [10].

Contrairement au COV, le brevet implique systématiquement l’accord de son titulaire (licence) pour l’utilisation du gène breveté. Et cela que cette utilisation soit motivée par la création de nouvelles variétés, par une mise en culture à titre expérimental ou à des fins de commercialisation. Si le titulaire donne son accord, le demandeur devra le cas échéant s’acquitter des droits (redevance) prévus à cet effet [11].

1.3. Quelles questions les OGM soulèvent-ils ?
Les questions soulevées par les OGM sont nombreuses et de natures diverses (agronomique, économique, sociale, environnementale, sanitaire, juridique, culturelle, philosophique,…). Quelques exemples :

  • Les toxines Bt réduisent-elles sensiblement les attaques des ravageurs ?
  • Les plantes génétiquement modifiées sont-elles promises à de plus hauts rendements ?
  • A l’instar de ce que l’on observe avec l’usage des insecticides chimiques, les insectes ne risquent-ils pas de développer progressivement des résistances aux toxines Bt ?
  • Utiliser des plantes Bt entraîne-t-il réellement une réduction des coûts de production pour l’agriculteur ?
  • Les cultures transgéniques présentent-elles des risques spécifiques pour la santé des producteurs et/ou celle des consommateurs ?
  • Une plante génétiquement manipulée peut-elle être réellement considérée comme une invention ?
  • Le vivant est-il brevetable ? L’idée même d’une appropriation du vivant est-elle acceptable ?
  • La diffusion d’OGM dans l’environnement ne risque-t-elle pas de réduire la biodiversité ?
  • Comment concilier la logique des brevets avec les pratiques agricoles ancestrales, encore très largement répandues dans bon nombre de pays en développement, du réensemencement, du libre échange de semences entre agriculteurs, etc. ?

Si l’on veut évaluer au mieux la pertinence qu’il y a ou non, pour les agriculteurs et les populations, à recourir aux cultures génétiquement modifiées, répondre de manière satisfaisante à l’ensemble de ces questions et de beaucoup d’autres est nécessaire. De même qu’identifier, dans le cadre d’études comparatives, les avantages et inconvénients respectifs des différents modes de production ("conventionnel", biologique, lutte intégrée, transgénique). Tout cela dépasse largement l’ambition de cet article, qui limite son propos aux aspects mentionnés dans l’introduction.

1.4. L’Afrique, terre promise pour les OGM ?
À ce jour, seuls trois pays africains ont ouvert leurs portes à la culture commerciale d’OGM : l’Afrique du Sud (maïs, soja, coton) [12], l’Egypte (maïs) [13] et, dernier en date, le Burkina Faso, où quelque 15.000 hectares ont été semés en coton transgénique pour cette campagne 2008-2009 [14].

En règle générale, le recours aux OGM suscite une vive polémique en Afrique de l’Ouest. Au Mali, par exemple, l’AOPP (Association des Organisations Professionnelles Paysannes) fédère 127 organisations agricoles à l’échelle nationale. 97 % des producteurs membres de l’AOPP sont fermement opposés à l’introduction du coton transgénique dans le pays [15]. Dans d’autres pays, les paysans sont plus partagés. Au Burkina Faso, par exemple, une partie des producteurs soutiennent la décision des autorités de se lancer dans l’aventure. Les propos de François Traoré, président de l’UNPCB (Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina), traduisent bien leur état d’esprit : "Pour lutter contre les parasites, le producteur de coton burkinabé doit traiter ses champs régulièrement. Le traitement se fait par le paysan, qui porte sur le dos 16 kg de pesticides, assortis d’une machine qui pèse dans les 5 kg. Où sont les risques ? L’inconnu de l’avenir des OGM ou les risques actuels : se détruire le dos, et la santé. (…) Ma position est qu’il faut faire confiance à notre recherche qui est en charge d’évaluer les risques. Il faut également dire que les produits de traitements sont déjà achetés aux mêmes multinationales. Risques et dépendance sont des facteurs que nous connaissons déjà sans OGM" [16].

Quoi qu’il en soit, de nombreuses initiatives se développent en Afrique pour promouvoir les OGM ou créer des cadres réglementaires propices à la vulgarisation des cultures transgéniques. En Afrique de l’Ouest, la COPAGEN - Burkina Faso (Coalition des Organisations de la Société Civile pour la Protection du Patrimoine Patrimoine Ensemble des avoirs d’un acteur économique. Il peut être brut (ensemble des actifs) ou net (total des actifs moins les dettes).
(en anglais : wealth)
Génétique Africain) pointe en particulier le programme du CORAF/WECARD (Conseil Ouest et Centre Africain pour la Recherche et le Développement Agricole) sur la Biotechnologie et la Biosécurité, l’initiative du CILSS en Biosécurité, le plan d’action pour la promotion de la Biotechnologie et la Biosécurité dans l’espace CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), ainsi que le projet régional Ouest Africain (Bénin, Burkina Faso, Mali, Sénégal, Togo) de Biosécurité. Pratiquement toutes ces initiatives sont financées par l’USAID (United States Agency for International Development - L’Agence des États-Unis pour le développement international), les multinationales semencières et CROPLIFE [17], avec le soutien de la Banque mondiale [18].

 2. Une offre très concentrée

Quelques points de repères indispensables étant précisés, venons-en au vif du sujet : des cultures essentiellement ’Made in Africa’ sur le continent africain sont-elles possibles ? Pour répondre à cette question, il convient d’abord de rappeler combien l’offre semencière, dans le secteur du transgénique, est aujourd’hui très concentrée, entre les mains d’une poignée de multinationales. En outre, dans la mesure où les cultures transgéniques connaissent une progression importante [19], cette forte concentration de l’offre semencière transgénique contribue à accroître celle, moins importante mais néanmoins significative, de l’offre semencière au sens large (englobant semences transgéniques et non transgéniques).

2.1. Concernant le marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
des semences transgéniques

En termes de surfaces cultivées, une multinationale sort particulièrement du lot. En 2004, les surfaces plantées avec des variétés transgéniques de Monsanto représentaient 63,5 % des surfaces mondiales pour le coton GM (Génétiquement Manipulé), 91 % pour le soja GM et 97% pour le maïs GM. Toutes cultures confondues, Monsanto concentrait 88 % des surfaces plantées en OGM [20].

2.2. Concernant le marché semencier au sens large
La concentration d’un secteur d’activités donné peut être mesurée à l’aide de différents indicateurs. L’un des indicateurs les plus couramment utilisés est le "ratio de concentration" (CR - Concentration Ratio). Il mesure la part de marché contrôlée par les plus grandes firmes (typiquement les 3, 4 ou 5 plus importantes). Le CR4, par exemple, mesure l’ensemble des parts de marché détenues par les 4 plus grandes firmes. Un CR4 inférieur ou égal à 40 % est généralement considéré comme révélateur d’un marché concurrentiel [21].

Dans le secteur semencier en général (toutes cultures confondues, variétés transgéniques et conventionnelles comprises), en termes de volumes commercialisés, le CR4 était à l’échelle mondiale de 23 % en 1997. En 2004, il atteignait 33 %, les quatre firmes dominant l’offre semencière étant Monsanto, Dupont/Pioneer, Syngenta et Limagrain [22]. A l’échelle nationale, la concentration de l’offre semencière est souvent plus importante. C’est particulièrement le cas aux États-Unis. En 1997, déjà, l’USDA (Département de l’Agriculture des États-Unis – United States Department of Agriculture) constatait que les quatre plus importantes compagnies semencières y détenaient 47 % du volume total de semences commercialisées pour le soja, 69 % pour le maïs et 92 % pour le coton.

2.3. Le secteur public en perte de vitesse
Autre évolution importante à souligner, les variétés développées par le secteur privé prennent de plus en plus le pas sur celles issues de la recherche publique. Un seul exemple. Aux Etats-Unis, en 1980, plus de 70% des surfaces plantées en soja l’étaient avec des variétés développées par la recherche publique. Au milieu des années 1990, ce chiffre n’était plus que de 10 % [23].

 3. Rôle des pratiques des multinationales dans cette concentration

Les pratiques des multinationales du secteur jouent un rôle important dans la concentration de l’offre semencière transgénique. Pour se limiter à l’essentiel, relevons deux de ces pratiques : les investissements massifs en R&D (Recherche & Développement) dans le domaine des biotechnologies végétales ; un mouvement de fusions et acquisitions d’entreprises.

3.1. Les investissements massifs en R&D dans le domaine des biotechnologies végétales
Chaque année, les plus importantes multinationales du secteur des semences transgéniques dépensent plusieurs centaines de millions de dollars en R&D pour développer de nouveaux OGM. Ces investissements massifs contribuent manifestement à la concentration de l’offre de semences transgéniques, au moins pour les deux raisons suivantes :

  • Très peu d’acteurs ont les reins suffisamment solides pour assumer les dépenses nécessaires à la R&D. Car cela coûte cher, très cher. A titre indicatif, selon des estimations de l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) réalisées en 2001, entre 100.000 et 500.000 dollars sont nécessaires au seul entretien d’un brevet (simple reconduction d’une année à l’autre) dans les pays développés pour les 10 à 20 années de sa durée de vie. Par ailleurs, détenir un brevet sans avoir les moyens de le défendre n’a pas de sens. Pour que cela en ait, il faut être prêt à dépenser 1,6 million de dollars en moyenne par contestation de brevet, toujours selon l’INRA [24]

    Quant aux essais en champ, indispensables à la mise au point d’OGM, leur coût est de l’ordre de 1 à 10 millions de dollars [25]. Et tout cela sans même parler du coût de la recherche proprement dite menée en laboratoire…

  • Les entreprises cherchant à pénétrer le marché du transgénique sont toujours susceptibles de voir leurs activités en R&D bloquées par leurs concurrents et plus particulièrement par ceux qui dominent le marché. En effet, la mise au point de nouveaux OGM implique assez systématiquement l’utilisation de matériel génétique et/ou de techniques de manipulation génétique appartenant aux concurrents. Or, pour rappel, les brevets que détiennent ces concurrents sur ce matériel génétique et/ou ces techniques les autorisent à priver à tout moment quiconque de l’usage de leurs biens… Compte tenu de ces risques et des montants colossaux à consentir pour la R&D, les entreprises désireuses de pénétrer le marché sont fortement découragées à investir dans le domaine [26]

3.2. Un mouvement de fusions et acquisitions d’entreprises
Une manière d’accroître les ressources financières nécessaires aux investissements en R&D dans le domaine des biotechnologies végétales consiste pour les firmes à réaliser d’importantes économies d’échelle en fusionnant avec ou en acquérant des entreprises concurrentes. C’est précisément l’une des raisons pour lesquelles on a pu assister, au cours de ces dernières années, à de nombreuses fusions et acquisitions dans l’industrie du transgénique [27].

Aux États-Unis, par exemple, favorisées par un renforcement du régime de protection des DPI, les dépenses du secteur privé en R&D dans le domaine des biotechnologies ont été multipliées par 14 entre 1960 et 1996. Parallèlement, le nombre d’entreprises privées actives dans le secteur a augmenté jusqu’au début des années 1990. Ensuite s’est développé un important mouvement de fusions et acquisitions. Entre 1995 et 1998, 68 compagnies semencières ont été rachetées ou sont entrées en joint-ventures, par/avec quelques entreprises multinationales. Sur l’ensemble de ces rachats et joint-ventures, 22 ont bénéficié à Monsanto, 18 à Aventis, 10 à Dow Chemical, 7 à AstraZeneca, 6 à Novartis et 5 à Dupont [28].
Parce qu’elles réduisent le nombre d’entreprises présentes sur le marché, les fusions et acquisitions d’entreprises contribuent manifestement à accroître la concentration de l’offre semencière transgénique.

 Conclusion : des OGM pour l’Afrique ?

Évaluer la mesure dans laquelle les pays africains sont en capacité de maîtriser le processus de développement, brevetage et commercialisation de semences transgéniques sur leur continent conduit tout particulièrement à se poser les deux questions suivantes :

  • Les instituts de recherche et/ou entreprises africains désireux d’investir en ce domaine ont-ils les reins suffisamment solides financièrement pour développer, breveter et commercialiser leurs propres OGM ? Sont-ils prêts, par exemple, à dépenser entre 80 et 400 millions de francs CFA pour le simple entretien d’un seul brevet tout au long de sa durée de vie, ou 1 milliard 300 millions de francs CFA par protestation de brevet détenu ? Ou encore, ont-ils sérieusement les moyens d’investir entre 550 millions et 5 milliards 500 millions de francs CFA pour procéder aux essais en champ nécessaires à la commercialisation d’un seul OGM ? [29]
  • Les mêmes instituts et entreprises du continent africain ne risquent-ils pas à terme de se heurter aux blocages de multinationales leur refusant l’usage de matériel génétique et/ou de procédés de manipulation génétique pourtant indispensables à leurs activités de R&D ? Que feront-ils si de tels blocages surviennent ?

Étant donné le déséquilibre des forces en présence et la configuration actuelle du marché des semences transgéniques, des OGM essentiellement ’Made in Africa’ sur le sol africain paraissent irréalistes. Au Burkina, les variétés génétiquement modifiées semées sur 15.000 hectares pour cette campagne 2008-2009 ne sont pas la propriété exclusive des autorités Burkinabé. Monsanto en est copropriétaire [30]. Pourtant, la multinationale a plus que jamais intérêt à convaincre les organisations agricoles et les gouvernements africains que l’Afrique peut avoir la maîtrise du processus, à l’heure où plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre envisagent l’adoption des biotechnologies végétales. Et cela dans un contexte où pour rappel, de nombreuses voix justifient précisément leur opposition à l’introduction d’OGM au motif que les multinationales resteront aux commandes. Pour ces raisons, il est probable que Monsanto et d’autres multinationales se montrent aujourd’hui plus conciliantes, moins possessives en la matière qu’elles le seront demain quand les filières locales d’approvisionnement seront devenues fortement dépendantes des semences transgéniques. On peut donc légitimement être inquiet : si les pays africains ne contrôlent déjà pas la filière aujourd’hui, quelles chances ont-ils de le faire demain, quand les multinationales du secteur se révèleront plus agressives ?

En complément à cette analyse, nous conseillons aux lectrices et lecteurs la lecture de cette autre analyse du Gresea : "OGM en Afrique : enjeux socio-économiques". Cette dernière traite des conséquences économiques et sociales probables d’une large adoption des cultures transgéniques en Afrique, à l’échelle des paysans et des économies nationales des pays concernés.

Notes

[1Roamba P.-M., Salif Diallo à propos du coton transgénique : "On est dedans !", Le Pays, 29 septembre 2006 : http://www.lefaso.net/spip.php?article16658

[2Définition extraite du site Internet agroJob à la page suivante : http://www.agrojob.com/dictionnaire/definition-O.G.M.-2343.htm

[3Un herbicide est dit "total" lorsqu’il vise la destruction de toutes les espèces de plantes environnantes. Il peut avoir une rémanence (persistance de l’effet du produit après son utilisation) très courte ou très longue. Agra-Ost, Les herbicides, 2006, 5 p.

[4Res’OGM info, OGM et pesticides, 2007, 4 p.

[5Quazzo C., Meunier E., Des Etats-Unis à l’Inde : le coton transgénique tisse sa toile, 2003, 4 p.

[6Le coton (2,5 % des surfaces cultivées à l’échelle mondiale) utilise proportionnellement plus de pesticides que toute autre culture, soit respectivement 10 et 25 % des quantités totales de pesticides et insecticides employés en agriculture. C’est donc aussi la culture où ces avantages théoriques font particulièrement sens. De fait, les impacts économiques, sanitaires et environnementaux néfastes découlant de l’utilisation massive de pesticides conventionnels sont considérables. Pour des informations à cet égard, voir Parmentier S., Bailly O., Coton. Des vies sur le fil, Oxfam-Magasins du monde, 2005, 152 p.

[7ETC Group. (Mai/juin 2008). Patenting the "Climate Genes"… And Capturing the Climate Agenda. ETC Group, 30 p.

[8Pour une information de synthèse sur cet accord et les enjeux qui lui sont liés, consulter par exemple la brochure du Gresea, L’ADPIC, quels enjeux ?, Gresea Echos n°31, quatrième trimestre 2001. Ce numéro de la revue Gresea Echos peut être obtenu gratuitement, sous format pdf, sur simple demande à : gresea skynet.be

[9Op. cit. note 6.

[10Science & Décision, Biotechnologies, brevets et agriculture : une nouvelle donne ?, 2005, 27 p.

[11Gazaro W. R., La protection industrielle. Le cas des OGM, OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle), 2008, 20 p.

[12Baron V. (2008). Les cultures transgéniques gagnent du terrain en Afrique du Sud. ADIT.

[13Noisette C., Egypte – Autorisation commerciale du maïs BT, septembre 2008 : http://www.infogm.org/spip.php?article3647

[14Internutrition, Point, n°81, juillet 2008 : http://www.internutrition.ch/in-news/point/jul08_f.html

[15Information recueillie à Bamako, en décembre 2007, auprès de responsables de l’AOPP.

[16Inter-réseaux Développement rural, Entretien avec François Traoré, président de l’AProCa, 2 mars 2006 : http://www.inter-reseaux.org/article.php3?id_article=793

[17CORPLIFE est la fédération internationale des industries semencières.

[18COPAGEN – Burkina Faso. Déclaration de la COPAGEN - Burkina sur l’introduction et la généralisation de la culture du coton transgénique au Burkina. Juin 2008, 2 p.

[19À titre d’exemple, selon l’ISAAA (International Service for Acquisition of Agro-biotech Application), à l’échelle mondiale, les plantes génétiquement manipulées ont couvert 114,3 millions d’hectares en 2007, ce qui représente une croissance de 12 % par rapport à 2006. SemenceMag.fr, les cultures OGM dans le monde, février 2008 : http://www.semencemag.fr/OGM.html. A noter que les données fournies par l’ISAAA doivent être prises en compte à titre purement indicatif, avec la plus grande réserve : elles sont probablement exagérées. Les données fournies par cet organisme ont d’ailleurs été à plusieurs reprises critiquées pour leur manque d’exactitude, en particulier en ce qui concerne les surfaces plantées en OGM en Afrique du Sud, en Inde et aux États-Unis. Fondée par l’industrie du transgénique, l’ISAAA a objectivement intérêt à publier des chiffres probants quant à la progression des cultures génétiquement modifiées. Voir Friends of the Earth Europe, Too close for comfort. The relationship between the biotech industry and the European Commission, octobre 2007, 27 p.

[20ETC Group, Global Seed Industry Concentration – 2005, septembre/octobre 2005, 12 p.

[21Murphy S. (2006). Concentrated Market Power and Agricultural. .Heinrich Böll Foundation, Misereor, Wuppertal Institute for Climate, Environment and Energy, 41 p.

[22Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 2008. L’agriculture au service du développement. 2008, 448 p.

[23Economic Research Service, USDA, "Mergers and Acquisitions Rose in the Past Three Decades", In USDA, The Seed Industry in U.S. Agriculture / AIB786, , 2004, p. 39-40.

[24INRA, Le Bulletin des BioTechnologies n°182, 2001, 35 p.

[25Op cit. note 10.

[26Voir par exemple Oehmke F. J., Wolf A., "Measuring Concentration in the Biotechnology R&D industry : Adjusting for Interfirm Transfer of Genetic Materials", In AgBioForum, AgBioForum, 6(3), 2003, p. 134-140.

[27Fernandez-Corejo J., Caswell M., The First Decade of Genetically Engineered Crops in the United States, USDA (United States Department of Agriculture), 2006, 34 p.

[28King J.L., Concentration and Technology in Agricultural Input Industries, USDA, 2001, 14 p.

[29Les montants renseignés correspondent à la conversion en francs CFA des estimations de coûts renseignées plus haut en dollars US, en appliquant les taux de change €/dollar annuels en vigueur lorsque ces estimations ont été réalisées. En 2001, 1 € valait environ 0,8 dollars US (http://www3.ac-clermont.fr/etabliss/stael/ses/spip.php?article1257). En 2005, 1 € valait environ 1,2 $ US. (http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/27/EuroDollarECB.png). Et cela étant entendu qu’1 € vaut environ 655 francs CFA (http://en.wikipedia.org/wiki/CFA_franc).

[30Dupont G., Au Burkina Faso, la culture de coton génétiquement modifié suscite la polémique, Le monde, 25 juin 2008, p. 7.