Samir Amin est actuellement sans doute un des critiques marxistes les plus féconds du système économique libéral. Ancré dans le tiers-monde : ceci explique cela. Il a récemment accordé une interview à Åke Kilander pour le magazine suédois FiB/K (n°2, février 2006). Elle condense l’analyse qu’il fait du "capitalisme Capitalisme Système économique et sociétal fondé sur la possession des entreprises, des bureaux et des usines par des détenteurs de capitaux auxquels des salariés, ne possédant pas les moyens de subsistance, doivent vendre leur force de travail contre un salaire.
(en anglais : capitalism)
réellement existant" et de ses multiples "discours idéologiques d’accompagnement". Et elle propose deux tâches immédiates pour réaliser l’unité mondiale des travailleurs : mettre en échec le projet de contrôle militaire planétaire des USA et vaincre l’économie libérale. Nous avons jugé important de traduire ce texte afin qu’il connaisse une large diffusion.

(Titres et intertitres sont de la rédaction.)

La moitié de la population mondiale est menacée d’extinction en l’espace de quelques décennies. Le pronostic est de Samir Amin. De passage à Stockholm, il y a quelques années, il a esquissé cette évolution comme une possibilité. Cela n’a pas ému grand monde. Personnellement, je n’ai cessé d’y réfléchir bien que personne ne semblait s’en préoccuper. Dans son dernier livre, "Le virus libéral", Amin analyse cette menace de manière plus approfondie et contextualisée.

La moitié de la population mondiale, trois milliards de personnes, vivent de l’agriculture. Une dizaine de millions travaillent dans une agriculture mécanisée dans l’économie capitaliste de l’Amérique du Nord, de l’Europe, de l’Australie et d’une partie de l’Amérique latine. La productivité Productivité Rapport entre la quantité produite et les ressources utilisées pour ce faire. En général, on calcule a priori une productivité du travail, qui est le rapport entre soit de la quantité produite, soit de la valeur ajoutée réelle (hors inflation) et le nombre de personnes nécessaires pour cette production (ou le nombre d’heures de travail prestées). Par ailleurs, on calcule aussi une productivité du capital ou une productivité globale des facteurs (travail et capital ensemble, sans que cela soit spécifique à l’un ou à l’autre). Mais c’est très confus pour savoir ce que cela veut dire concrètement. Pour les marxistes, par contre, on distingue la productivité du travail, qui est hausse de la production à travers des moyens techniques (machines plus performantes, meilleure organisation du travail, etc.), et l’intensification du travail, qui exige une dépense de force humaine supplémentaire (accélération des rythmes de travail, suppression des temps morts, etc.).
(en anglais : productivity)
dans les exploitations agricoles les plus efficientes du monde est presque 2.000 fois supérieure à celle de l’écrasante majorité des paysans.

Marchandisation et génocide

En novembre 2001, l’Organisation mondiale du commerce Organisation mondiale du Commerce Ou OMC : Institution créée le 1er janvier 1995 pour favoriser le libre-échange et y ériger les règles fondamentales, en se substituant au GATT. Par rapport au GATT, elle élargit les accords de liberté à des domaines non traités à ce niveau jusqu’alors comme l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les investissements liés au commerce… En outre, elle établit un tribunal, l’organe des règlements des différends, permettant à un pays qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre de déposer plainte contre celui-ci, puis de prendre des sanctions de représailles si son cas est reconnu valable. Il y a actuellement 157 membres (en comptant l’Union européenne) et 26 États observateurs susceptibles d’entrer dans l’association dans les prochaines années.
(En anglais : World Trade Organization, WTO)
(OMC OMC Organisation mondiale du Commerce : Institution créée le 1er janvier 1995 pour favoriser le libre-échange et y ériger les règles fondamentales, en se substituant au GATT. Par rapport au GATT, elle élargit les accords de liberté à des domaines non traités à ce niveau jusqu’alors comme l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les investissements liés au commerce… En outre, elle établit un tribunal, l’organe des règlements des différends, permettant à un pays qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre de déposer plainte contre celui-ci, puis de prendre des sanctions de représailles si son cas est reconnu valable. Il y a actuellement 157 membres (en comptant l’Union européenne) et 26 États observateurs susceptibles d’entrer dans l’association dans les prochaines années.
(En anglais : World Trade Organization, WTO)
) a donné son feu vert à l’ouverture à la concurrence de l’agriculture. Les produits alimentaires : une marchandise Marchandise Tout bien ou service qui peut être acheté et vendu (sur un marché).
(en anglais : commodity ou good)
comme une autre. Cela a ouvert la possibilité pour les sociétés transnationales, dans toute la zone couverte par l’OMC, d’acheter des terres et de rationaliser la production d’aliments sur la base des techniques les plus efficaces. Il serait ainsi possible d’assurer tous les besoins en aliments du monde par l’addition de quelque vingt millions de travailleurs agricoles. Ce processus de rationalisation prendra environ quelques décennies – et rendra la moitié de la population inutile et surnuméraire. Un travailleur agricole bien équipé pourrait remplacer 2.000 paysans pauvres.

Ceci n’est pas un "problème structurel" ordinaire. Trois milliards de personnes ne pourront pas être absorbés par l’industrie, même avec une croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
fantastique. Et rien n’indique que l’économie mondiale pourra pourvoir à leurs besoins.

Nous sommes menacés par un génocide, une catastrophe d’une ampleur telle qu’elle fera plus de victimes que le bilan cumulé de toutes les guerres et catastrophes naturelles que l’histoire a connues. Question : Son analyse ne rencontre-t-elle aucun écho ? N’y a-t-il aucune mobilisation pour empêcher cette catastrophe ?

 Il nous faut avant tout recréer des alliances entre les classes laborieuses des villes et de la campagne, dit Samir Amin. C’est fondamental et c’est possible. Cette question est train de mûrir et les gens se rendent de plus en plus compte que l’évolution actuelle conduit au génocide. Au Nord, cependant, on paraît pas en être conscient. Pensez au capitalisme Capitalisme Système économique et sociétal fondé sur la possession des entreprises, des bureaux et des usines par des détenteurs de capitaux auxquels des salariés, ne possédant pas les moyens de subsistance, doivent vendre leur force de travail contre un salaire.
(en anglais : capitalism)
suédois qui, jusqu’aux années trente, a provoqué une catastrophe énorme qui a pu être absorbée – parce que vous êtes un petit pays – grâce à une émigration massive vers l’Amérique. Il faut, en outre, vaincre l’économie libérale. Cela aussi est possible. Il y a dix ans, beaucoup de gens croyait en l’économie libérale. C’est beaucoup moins vrai aujourd’hui.

Cela peut sembler optimiste. Je lui rappelle ce qui est advenu du mouvement Front National de Libération à Stockholm qui, en 1968, protestait contre la passivité des pays développés qui laissaient les Etats-Unis poursuivre la guerre du Vietnam en faisant fonctionner la planche à billets. Trois ans plus tard, ce mouvement s’est remobilisé lors de la crise, avec la libéralisation Libéralisation Action qui consiste à ouvrir un marché à la concurrence d’autres acteurs (étrangers ou autres) autrefois interdits d’accès à ce secteur. des taux de change et la montée en puissance de l’économie libérale. La plupart des manifestants étaient des adolescents mais l’histoire leur a donné raison, contre les économistes et les politiciens de l’establishment. Nous lisions votre livre "L’accumulation Accumulation Processus consistant à réinvestir les profits réalisés dans l’année dans l’agrandissement des capacités de production, de sorte à engendrer des bénéfices plus importants à l’avenir.
(en anglais : accumulation)
globale du capital Capital Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
", nous critiquions l’économie libérale et nous pensions savoir, en gros, comment le monde fonctionnait. Les peuples de l’Asie du Sud-Est ont été victorieux et le monde paraissait plein de possibilités. Mais ce fut ensuite la défaite et nous nous retrouvons dans un monde qui est à peine meilleur qu’il y a trente ans. Question : Pourquoi ?

Trois compromis mis en échec

Samir Amin commence son analyse avec la Seconde Guerre mondiale :

 Le capitalisme n’a eu de cesse d’affaiblir les classes laborieuses. Elles ont emporté des succès ces dernières vingt années – bien plus que durant les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Pendant 20-40 ans, après la guerre, le rapport de forces a été plus que jamais dans l’histoire du capitalisme été favorable aux peuples. C’était le résultat de trois victoires : celle de la démocratie sur le fascisme, celle des peuples d’Asie et d’Afrique sur le colonialisme et celle de l’Union soviétique sur le nazisme. Ces victoires ont rendu possibles trois compromis historiques entre travail et capital Capital . En Europe occidentale, on a pu construire l’Etat Providence. En Europe de l’Est et dans quelques autres pays s’est développé le socialisme Socialisme Soit étape sociétale intermédiaire qui permet d’accéder au communisme, soit théorie politique élaborée au XIXe siècle visant à améliorer et changer la société par des réformes progressives ; la première conception se comprend dans la théorie marxisme comme le passage obligé pour aller vers la société sans classes, étant donné qu’il faut changer les mentalités pour une telle société et aussi empêcher les anciennes classe dirigeantes de revenir au pouvoir ; la seconde conception est celle professée par les partis socialistes actuels ; on parle aussi dans ce cas de social-démocratie.
(en anglais : socialism)
réellement existant. Et en Asie et en Afrique, dans l’esprit de la Conférence de Bandung, un développement indépendant a pu être entamé. Ces compromis ont permis une certaine croissance et un certain développement qui ont bénéficié aux classes laborieuses (mais pas nécessairement de manière démocratique ou socialiste). Ces compromis avaient cependant leurs limites et les contradictions internes ont crû avec les années. Dans les années 1970 et 1980, il y a eu stagnation et le capital a pu repasser à la contre-offensive. L’impérialisme a assumé la forme nouvelle d’un "impérialisme collectif" conduit par la Triade Triade Expression, créée par K. Ohmae en 1985 désignant les trois pôles mondiaux (États-Unis, Union européenne et Japon), autour desquels se définissent les stratégies économiques mondiales.
(En anglais : Triad)
(Etats-Unis, UE UE Ou Union Européenne : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
et Japon). Son oligarchie financière partage un intérêt commun d’appropriation du marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
mondial.

Lorsque les compromis se sont fissurés, l’oligarchie financière a pu propager l’économie de marché sur une aire sans cesse plus grande sans rencontrer de résistances.

L’économie de marché est son idéologie, acceptée même par la social-démocratie.

 Ce que les sociaux-démocrates n’ont jamais compris est que la défaite du communisme Communisme Système économique et sociétal fondé sur la disparition des classes sociales et sur le partage des biens et des services en fonction des besoins de chacun.
(en anglais : communism)
n’a pas été leur victoire, mais leur propre défaite. Ils n’ont pas su tirer avantage de la chute du mur, que du contraire, ils en ont aussi les victimes. En Europe de l’Ouest, le capital s’est vu obligé d’accepter l’Etat Providence, entre autres grâce à la menace communiste. Lorsque le mur est tombé, il a pu passer à l’offensive contre les classes laborieuses, non seulement en Europe de l’Est mais aussi dans les Etats Providence de l’Ouest.

Le "modèle" chinois...

Question : Et la Chine ? Peut-elle à l’avenir devenir une superpuissance à l’égale des Etats-Unis ? Samir Amin a déjà signalé auparavant l’impossibilité pour les quatre "tigres" d’Asie de s’élever au rang des pays industrialisés développés. Et je lui rappelle que Mao pensait la même chose dans son "A propos de la nouvelle démocratie". Mais la Chine est un grand pays et la situation a peut-être changé ?

 Non, je n’ai pas changé d’opinion. Il existe des projets nationaux bourgeois. L’un d’eux est la Chine. Il en existait auparavant deux autres, la Corée du Sud et Taiwan. Ils ont pu se développer grâce à un soutien des Etats-Unis, accordé pour des motifs géopolitiques. Le projet national bourgeois chinois est plus grand et plus important. Le leadership chinois constitue actuellement une classe politique dirigeante qui s’imagine que la Chine va devenir une grande puissance capitaliste à l’intérieur du système global, avec une capacité de défier les autres. Je pense que cela leur sera impossible, pour une raison très simple. Pour atteindre ce but par la voie capitaliste, ils ne disposeront pas d’un soutien massif interne. Pareil projet ne pourra se construire qu’en augmentant la marginalisation et les inégalités, et en affaiblissant les classes laborieuses et la majorité des paysans. Le compromis historique social-démocrate entre travail et capital ne peut être réédité. Il n’était possible que dans des pays qui pouvaient tirer avantage du fait qu’ils se trouvaient à un niveau supérieur – impérialiste – à l’intérieur du système global.

La logique du système va contraindre la Chine à devenir davantage encore une chaîne de montage bon marché à l’exportation, surtout vers les Etats-Unis mais aussi vers l’Europe où les revenus sont plus élevés. Cela, c’est la contradiction grandissante. La majorité des classes laborieuses en Chine – urbaines et rurales – prend de plus en plus conscience de ce que la voie capitaliste n’a que très peu de chose à lui offrir. Les progrès ont reposé, durant un nombre d’années, sur la croissance d’une classe moyenne, qui a cru de quelques pour cent à sans doute quelque 10-20 pour cent de la population. Cette évolution peut encore se poursuivre un temps mais pas durant plusieurs années. Il n’y a rien à retirer du système mondial.

La Triade : totale OPA OPA Offre publique d’achat : proposition publique faite par un investisseur d’acquérir une société ou une partie de celle-ci à un prix annoncé. Elle peut être amicale ou hostile, si le management de la firme ciblée est d’accord de se faire reprendre ou non.
(en anglais : tender offer).

Question : Qu’est-ce qui caractérise dans ce cas "l’impérialisme collectif" ?

 Jusqu’à la fin du 20e siècle, les monopoles ou les oligopoles étaient essentiellement nationaux, en ce sens qu’ils étaient positionnés sur un marché national (même si le pillage avait également lieu à l’étranger). Le degré de concentration dans l’économie est actuellement à ce point élevé qu’une société transnationale Transnationale Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : transanational)
ou un oligopole qui souhaite rejoindre le peloton de tête doit avoir un accès immédiat à un marché global. Une entreprise dominante n’avait besoin, il y a cinquante ans, que d’environ 100 millions de clients potentiels. Aujourd’hui, il lui en faut 600 millions. Telle est la base de l’impérialisme collectif.

L’oligarchie financière de la Triade ne dispose pas d’un appareil d’Etat commun pour administrer son impérialisme. Il agit par le biais d’instruments collectifs tels que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
monétaire international (FMI FMI Fonds Monétaire International : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
), la Banque mondiale Banque mondiale Institution intergouvernementale créée à la conférence de Bretton Woods (1944) pour aider à la reconstruction des pays dévastés par la deuxième guerre mondiale. Forte du capital souscrit par ses membres, la Banque mondiale a désormais pour objectif de financer des projets de développement au sein des pays moins avancés en jouant le rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et les pays détenteurs de capitaux. Elle se compose de trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID) et la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’agit que lorsque le FMI est parvenu à imposer ses orientations politiques et économiques aux pays demandeurs.
(En anglais : World Bank)
(BM) et l’Union européenne Union Européenne Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
. Ce sont tous des instruments qui cherchent à diriger l’économie globale et modifier le rapport de forces en défaveur des classes laborieuses. L’Europe et le Japon sont aussi libéraux que les Etats-Unis au sein de l’OMC, le FMI et la BM, mais ils ont besoin d’une puissance militaire pour arriver à leurs fins. C’est dans cette perspective que les Etats-Unis apparaissent comme une puissance hégémonique. Ils entrent en Irak non seulement dans leurs propres intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
mais aussi pour ceux de l’oligarchie financière européenne, qui devra payer pour le service Service Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
rendu – et bien au-delà de son prix. L’ensemble des investissements militaires des Etats-Unis est financé par le reste du monde – y compris par l’Europe.

Un autre monde est possible

Le même jour, à Stockholm, Samir Amin participe à une réunion sur le thème "Travailleurs de tous les pays – concurrence ou coopération ?", qui sera repris au Forum social mondial de Bamako quelques jours plus tard. Samir Amin introduit les débats.

 Notre tâche est de faire renaître l’internationalisme des peuples. Les travailleurs et les classes laborieuses devraient s’unir à tous les niveaux, à l’intérieur des pays et entre les pays, et cesser de se faire concurrence. Cela ne pourra se faire que sur une base anti-impérialiste appuyée sur une stratégie antilibérale. L’internationalisme ne peut être bâti sur la charité – donner aux pauvres pour des motifs humanitaires – mais sur la solidarité, sur des intérêts communs opposables à un ennemi. Et l’ennemi principal est l’oligarchie financière de la Triade, ses représentants politiques et avant tout la classe dominante des Etats-Unis.

Amin esquisse la naissance de l’impérialisme collectif et en arrive à la conclusion.

 Nous devons nous fixer deux tâches immédiates. En premier lieu, nous devons infliger une défaite au projet des Etats-Unis de contrôler militairement la planète. Ce faisant, nous créerons aussi les conditions d’une victoire sur l’impérialisme collectif. Je suis optimiste, je dirais même très optimiste. Les Etats-Unis ont déjà perdu la guerre en Irak – pas entièrement, mais au point d’avoir manqué leur but d’y installer un régime de marionnettes en état de fonctionnement. Il nous faut aller plus loin que cela, de sorte que la classe dirigeante des Etats-Unis se voie contrainte par les peuples du monde d’abandonner son projet de contrôle militaire. Nous avons besoin d’une sorte de campagne "US go home" mondiale visant le démantèlement des bases américaines dans le monde et, pour ce qui concerne l’Europe, la dissolution de l’Otan.

En deuxième lieu, il nous faut vaincre le libéralisme Libéralisme Philosophie économique et politique, apparue au XVIIIe siècle et privilégiant les principes de liberté et de responsabilité individuelle ; il en découle une défense du marché de la libre concurrence. économique, qui s’exprime par le biais des instruments de l’impérialisme collectif tels que l’OMC, le FMI et l’Union européenne. L’OMC n’a pas pour objet le commerce international. C’est une institution qui organise le système économique dans tous les pays, surtout dans le tiers-monde, dans le but d’accélérer l’accumulation du capital dans l’intérêt des pays du Centre. Ses missions sont celles d’un Ministère des Colonies. L’Angleterre et la France n’ont pas agi autrement auparavant.

Il nous est possible d’obtenir des victoires sur ces deux fronts durant les prochaines années.

L’énorme défi pour les partis et organisations au sein du Forum social mondial est de combiner ces deux tâches. Cela suppose de redonner la primauté aux politiques nationales sur les politiques internationales. Les nations ont besoin d’autodétermination – non pour des raisons culturelles, parce qu’elles sont noires ou blanches, chrétiennes ou musulmanes, mais en raison de leur histoire politique. Un haut degré d’indépendance est nécessaire pour faire baisser les inégalités entre nations dans le monde d’aujourd’hui. C’est ainsi qu’il nous faut concevoir l’unité des classes laborieuses.

Le débat doit partir de la base. Je ne vois aucune contradiction entre les niveaux nationaux et globaux, mais je pense qu’il n’y aura aucun progrès au plan international tant qu’il n’y aura pas de progrès au plan national. Lorsque les choses bougent, c’est du bas vers le haut et, cela, c’est essentiellement le niveau national.

Åke Kilander (interview)
GRESEA (traduction)