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L’ironie n’échappera à personne. Dans le précédent Gresea Echos, il a été question de l’ouverture des frontières que le commerce international impose aux Etats-nations. C’est une ouverture d’un genre particulier : ouverture aux investissements étrangers, à la concurrence internationale, à la libéralisation. Ce n’est pas du goût de tout le monde. D’où débat. Même débat, cette fois, mais avec inversion des arguments. Car la logique économique, qui impose partout la libre circulation des biens et des capitaux, trébuche sur ses propres certitudes dès lors qu’il s’agit de la circulation des gens. Le “ village global ” apparaît comme un leurre, un dédale qui, s’il n’oppose aucun obstacle aux flux financiers, entrave tout déplacement humain. Bien sûr, le système n’est pas parfait. Il connaît des problèmes d’étanchéité. Entre 1989 et 1998, l’Union européenne a accueilli, chaque année, un million et demi d’immigré, dont un tiers d’illégaux [1] .

Et entre 1980 et 1992, ils étaient quelque quinze millions à s’établir en Europe occidentale [2], c’est comme si toute la population de la Syrie s’était déplacée en bloc. La "Forteresse Europe" a des allures de passoire. Y a-t-il lieu, à ce sujet, de se positionner ? Il y a, sur la question, beaucoup d’idéalisme. Il n’est pas dit que cela fonctionne ainsi. Dans un travail remarquable sur les politiques d’immigration belges, Vincent de Coorebyter met en évidence une constante : depuis 1920 et sans que l’arrêt de l’immigration décidé en 1974 n’y change rien, “l’immigration n’est admise que dans la mesure où elle joue un rôle économique et, plus précisément un rôle d’apport de main-d’œuvre indispensable au développement de l’industrie belge. Dispositions législatives, va-et-vient entre ouverture et fermeture des frontières, implantation géographique et caractéristiques socioprofessionnelles des immigrés, données démographiques, tout cela reste suspendu (nous soulignons) à la conjoncture économique et sociale belge.” [3] Dit autrement, les belles idées qu’on peut avoir sur le droit des gens à circuler et à s’établir librement n’ont qu’un lointain rapport avec les mécanismes qui, en réalité, leur permettent de le faire. Ces belles idées ne sont qu’écume, une écume qui tantôt sert, tantôt dessert les mécanismes agissants, qui sont économiques. Il est bon de garder cela à l’esprit quand on cherche à se “ positionner ”.

Pour le Gresea, qui concentre son action sur les conséquences des décisions prises par les acteurs économiques du Nord pour les peuples du Sud, le phénomène des migrations en est un des exemples éclairants. L’industrie belge avait besoin d’immigrés et, donc, il y a eu des immigrés. Elle en aura encore besoin et, donc, il y en aura encore. Chez Vincent de Coorebyter, il n’y a pas d’écume. La Belgique aurait attiré des immigrés pour des motifs démographiques ? Cette mesure, dit-il, “ revenait à fixer les étrangers sur notre sol (...) avec l’assurance de voir se développer en Belgique (...) une main-d’œuvre abondante, bon marché et au taux d’activité d’élevé. ”

C’est dire qu’économie et démographie sont intimement liées. Deux illustrations récentes. Le “ rapport Lamy ”, d’abord, qui esquisse un scénario catastrophe pour l’Europe sur l’échiquier mondial à l’horizon 2050, celle-ci étant menacée de décrochage économique vis-à-vis des Etats-Unis en raison notamment de“ l’hiver démographique ” qui guette sa population : “ la géographie ne suffit pas à définir le pourtour économique et “ civilisationnel ” de l’Union ” [4] s’exclame Lamy pour prôner, à mots voilés, l’ouverture des frontières. Et, dans la même veine, c’est l’analyse que Stein Ringer [5] fait du rapport 2002 des Nations Unies sur la population qui esquisse pour l’Europe rien moins qu’un effondrement (avec son taux de fécondité de 1,4 enfant par femme, sa population sera réduite de moitié en 100 ans...) et qui inviterait à chercher le salut dans l’immigration : c’est, dit-il, mal poser la question. Primo, parce que, immigration il y aura de toute façon. Secundo, parce qu’elle ne suffira pas, à elle seule, à redresser la situation. Et tertio, parce qu’elle n’est guère désirée par la majorité des Européens. Ce sont, par trois fois, des constats qui auront l’heur de déplaire...
Mais ce sont des constats qu’il faut considérer les yeux ouverts. L’écume, la mode, aujourd’hui, vantent et inventent le “ citoyen mondial ”, l’homme “ nomade ” d’Attali, une abstraction par laquelle les beaux esprits de la “ jet-set ” se flattent eux-mêmes tout en s’aveuglant devant ce qui n’est que business et shopping migratoire, guerres et déplacements forcés de population : on compte 18 millions de réfugiés/déplacés dans le monde. L’homme qui s’expatrie par goût reste à inventer.

Sommaire :

  • In memoriam
  • Edito
  • Université des alternatives
  • Un thème controversé (R. De Schutter)
  • Les migrations internationales en chiffres
  • Leçons de Côte d’Ivoire (Aka Kouamé et Hamadi Betbout)
  • Le paradoxe libéral (A.G.)
  • Les nouveaux flux migratoires (Andrea Rea)
  • Un processus fragile (B. Lahouel)
  • Nouvelle belgitude, tragi-comique (Dogan Ozguden)
  • Collectifs de résistance... (D. Horman)
  • Pour ou contre la fermeture (R. De Schutter)
  • De quelques associations ressources
  • Un musée des gens d’ici et d’ailleurs
  • Pour en savoir plus (M. François)
  • Les feuilles de route du GRESEA
  • A lire

 

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Notes

[1The Economist, 2 novembre 2002.

[2L’Europe et toutes ses migrations, Wihtol de Wenden et de
Tinguy, Editions Complexe, 1995.

[3Immigration et culture (1) ˆ Décor et cocnepts, Courrier
hebdomadaire du Crisp, n° 1186, 1988.

[4Le Figaro, 10 février 2003.

[5Times Literary Supplement, 28 février 2003.Juillet -