La Bolivie, pour son malheur, est un pays riche. Riche comme l’est le Congo et tant d’autres pays situés dans l’hémisphère sud, c’est-à-dire pauvre. Ses richesses ne l’enrichissent pas, elles s’envolent ailleurs. Cela ne date pas d’aujourd’hui.
Il y a plus de trente ans de cela, Pierre Jalée en décrivait les rouages. Au sujet du pétrole, par exemple, dont il rappelait ceci que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays industrialisés se sont développés "à partir de ce postulat implicite que les hydrocarbures et matières premières du Tiers-monde étaient et resteraient à leur libre disposition en abondance quasi-illimitée, et à bon marché. C’est ainsi que presque partout – en France, notamment –, la priorité dans les bilans énergétiques fut donnée au pétrole brut du tiers monde au détriment principalement du charbon.
Les prix du pétrole brut du tiers monde étaient si bas qu’ils autorisaient en outre un prélèvement fiscal considérable au profit des États importateurs. Il en résulta des sociétés qu’on dénomma « de consommation », des types d’économies qu’il faut se résoudre à appeler aujourd’hui « de gaspillage », qui impliquent une croissance aberrante de certains secteurs comme l’automobile et une dilapidation générale des biens et des efforts. C’est l’exploitation sans frein des richesses du Tiers-monde qui permit une expansion économique des puissances impérialistes à la fois outrancière, artificielle et déformée."
La citation est longue, mais valait d’être reproduite en entier, tant le portrait reste exact aujourd’hui, à l’exception peut-être du terme "impérialiste" qui n’a plus guère cours. Pierre Jalée écrivait en 1975, c’est dans un petit ouvrage intitulé "Le pillage du tiers monde" publié dans la Petite collection Maspero, n°16. Et c’est le pétrole encore qui, à l’époque, permet à Jalée de chiffrer le carrousel : en 1972, les États producteurs ont exporté un volume de 1,3 milliard de tonnes de brut dont la valeur s’est répartie en 17 milliards de dollars de recettes pour lesdits États, en 28 milliards de dollars de recettes fiscales dans les États importateurs et en 28 milliards de dollars de bénéfices aux compagnies pétrolières. Il faut un dessin ? Il est là.
Cela ne veut pas dire que rien n’a changé entre-temps. Lorsque Jalée étudiait la carte économique du monde, il avait devant lui trois grands blocs, celui des pays capitalistes industrialisés, celui du Tiers-monde et celui des pays socialistes, représentant respectivement, en chiffres ronds, 20%, 50% et 30% de la population mondiale. Voilà qui rendait possible, pour les déshérités de l’humanité, un "non-alignement" et, partant, une certaine autonomie. Cela, c’est fi-ni. Le leitmotiv est désormais, de signature occidentale et à marche forcée, "l’intégration dans l’économie mondiale" telle que dictée à Washington et son bureau européen, à Bruxelles. Des mouvements d’indépendance ne subsiste qu’un peu de "policy space" [1] soigneusement délimité par les grandes puissances.
Cette nouvelle donne, certes, comporte des éléments perturbateurs. C’est, par exemple, l’entrée en force de la Chine dans les projets de développement des pays du Sud, en Afrique surtout, 9 milliards de dollars rien qu’en investissements hydroélectriques et, comme notent les observateurs occidentaux, la Chine n’y attache aucune condition de "progrès dans les droits de l’homme, dans l’environnement ou dans la gouvernance", au contraire des capitales occidentales. C’est, sous une nouvelle forme, un gage de non-alignement.
Et puis il y a l’émergence de gouvernements "populaires", notamment en Afrique du Sud, au Congo, au Venezuela et… en Bolivie. C’est sur ce pays que le présent numéro du Gresea Echos tourne ses projecteurs. Car la Bolivie, avec son projet de développement autonome (autocentré, disait-on auparavant) d’une industrie du lithium est exemplaire d’une redéfinition des rapports nord-sud – aux conditions souverainement déterminées par les États du Tiers-monde. Cela porte un nom. Libre à chacun de dire lequel : cliquez pour ajouter.
Ce n’est pas, comme on le verra au fil des pages qui suivent, choisir la voie de la facilité. Lésées dans leurs intérêts, les sociétés transnationales restent des adversaires redoutables et, au contraire de ces dernières, qui ne s’embarrassent pas de telles vétilles, ces États doivent composer avec la "société civile", les populations locales concernées par les projets industriels.
Erik Rydberg
Made in Bolivia. Le Sud se développe solo : le cas du lithium
Numéro coordonné par Raf Custers
Sommaire
- Edito/Cliquez ici pour ajouter un titre/Erik Rydberg
- Made in Bolivia/Raf Custers
- Un projet...indigène/Freddy Mamani Machaca
- Ressources du sol bolivien : mirage ou El Dorado ?/Eric Pirard
- Quelle voie pour l’exploitation minière en Bolivie ?/Jasmine Pétry
- Un retour au développement autocentré ?/Raf Custers
- Risques réels, information défaillante/Nathalie Maricq
- Made in Utopia ?/Raf Custers
- achACT
- A lire
Numéro consultable en ligne : https://issuu.com/gresea/docs/ge67bassed__finitionreduit
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