Hier, ça ira beaucoup mieux
En tant que discours, la lutte contre la pauvreté ne peut manquer d’irriter l’esprit critique. Trop de consensus, si on peut dire, est toujours suspect. La lutte contre la pauvreté forme aujourd’hui le fil conducteur de toute la grande sphère de l’interventionnisme développementaliste.
Ah...
Ce n’est pas venu tout seul, ce n’est pas tombé du ciel. Mais d’autres, comme Francine Mestrum dont on lira l’analyse plus loin, expliquent cela très bien. On se limitera ici à quelques boutades méditatives. En se fixant de grandioses objectifs millénaristes, les Nations Unies espèrent, on le sait, réduire de moitié la pauvreté en 2015. Cela rappelle quelque chose : McNamara, l’asphalteur du Viêt-Nam. Lorsqu’il était président de la Banque mondiale, en 1973, il disait avoir l’ambition d’éradiquer la pauvreté absolue d’ici à la fin du siècle (cité par Sachs et Esteva, 1996 : Des Ruines du développement). A ce rythme, dans vingt ans, il y aura un rigolo pour dire que, tout compte fait, si on la réduit d’un quart à l’horizon 3000, ce ne serait déjà pas si mal.
Et puis, il y a ces étranges juxtapositions. D’un côté, on peut lire que la question de la pauvreté a succédé, au FMI et à la Banque mondiale, à celle du développement, que ces institutions jugeraient de plus en plus "comme peu accessible" (Charvin, 2002 : L’investissement international et le droit au développement). D’un autre côté, à un tout autre endroit de son livre, le même auteur relève que "la tendance dominante va dans le sens d’un renforcement général de la protection de l’investissement". On a quelque peine à imaginer qu’il n’y a pas un lien. La priorité aux pauvres et la priorité à l’investissement vont de pair.
On vit des temps difficiles.
Ils sont surtout difficiles pour les pauvres. On ne s’étonnera pas, lorsqu’ils prennent la parole, d’entendre alors des paroles enflammées, peut-être excessives, comme certaines contributions en témoignent dans ces pages. D’autres, avant, ont tenu le même langage, Léon Bloy, par exemple, qui écrivait ceci dans son livre "Le sang des pauvres" : "Le riche est une brute inexorable qu’on est forcé d’arrêter avec une faux ou un paquet de mitraille dans le ventre" (cité par Ziegler, 2002 : Les nouveaux maîtres du monde).
Là, c’est l’envers de la médaille. S’il y a des pauvres, c’est que, forcément, il y a des riches. La lutte contre la pauvreté n’est pas sans induire une association d’idées invitant plutôt à une lutte contre les riches. Car les inégalités, elles, ne cessent de croître. Des années septante aux années nonante, la part de la production mondiale captée par les 20% des plus riches est passée de 70 à 86%, tandis que celle des 20% les plus pauvres a dégringolé de 2,3 à 1,4% (PNUD, 1998 : Rapport sur le développement du monde).
La critique principale que l’on fait au discours de la lutte contre la pauvreté est, justement, qu’il masque la question des inégalités. C’est ce qu’il importe de garder en mémoire. Il y a aujourd’hui beaucoup d’argent pour le secourisme anti-pauvreté et, sans doute, une partie parvient aux gens qui sont dans le besoin. C’est positif.
Mais, comme Friedrich Engels l’a pointé en son temps, cette forme d’opportunisme "honnête", qui œuvre sincèrement pour des légers mieux, "est peut-être le plus dangereux de tous". Car il endort l’esprit critique. Lorsque qu’on vit des temps difficiles, c’est mortel.

Sommaire :

  • Edito : Hier, ça ira beaucoup mieux (E. Rydberg)
  • Parcours de discours (G. Van Parys)
  • La pauvreté : l’alibi des mondialisateurs (F. Mestrum)
  • Mesure et démesure (D. Lhost)
  • Assomons les pauvres ! (Ch. Beaudlaire)
  • Mondialisation, syndicats et pauvreté (P. Gruselin)
  • Nous n’étions pas pauvres (Assembly of the poors)
  • Refuser l’inacceptable (F. Bouchez)
  • Pour en savoir plus ... (M. François)
  • Le Gresea et les forums sociaux (D. Horman)
  • A lire.

 

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