« Chaque année, les entreprises communiquent leur rapport annuel. Ce document leur donne l’occasion de faire l’éloge de leur performance financière auprès de leurs actionnaires. Des performances financières qui s’obtiennent généralement au détriment des conditions de travail de leurs salariés ou de l’environnement. Ce nouveau numéro du Gresea Échos a l’ambition d’inaugurer une nouvelle tradition, celle du contre-rapport. Dans cette étude, Leila Van Keirsbilck et Bruno Bauraind proposent tout d’abord un nouveau classement des grandes entreprises en Belgique. Le BEL 20 est loin d’être un indicateur du pouvoir économique. Ils ont dès lors construit un BEL 20 alternatif qui permet de mieux cerner qui tient les manettes de l’économie belge. Chiffres à l’appui, ils démontrent ensuite le coût substantiel que font payer ces entreprises à la société belge. Enfin, alors que le devoir de vigilance fait l’actualité, ils remettent en perspective critique le concept de régulation des multinationales. »
Pouvoir économique et devoir de vigilance
Le 23 avril 2019, plusieurs organisations belges publiaient dans les pages de la Libre Belgique une lettre ouverte adressée aux partis politiques. Les signataires de la lettre, des syndicats, des mouvements politiques et des ONG, y demandent la création d’une loi belge qui oblige les entreprises à respecter les droits humains et l’environnement. Ils font directement référence au concept de « devoir de vigilance » qui est l’objet depuis 2017 d’une loi en France. Les plus grandes multinationales françaises sont désormais contraintes d’identifier les risques en termes de droits humains ou de sécurité des travailleurs sur les chaînes d’approvisionnement qu’elles contrôlent.
Depuis lors, les mobilisations pour faire adopter ce genre de loi se multiplient en Europe. Ce nouveau « cycle régulatoire » prend son origine en 2013 avec la catastrophe du Rana Plaza qui a coûté la vie à plus de 1.000 travailleuses et travailleurs du textile au Bangladesh. Les audits « indépendants » et autres codes de conduite ont encore une fois montré leur limite. TÜV, le leader mondial de la certification, avait inspecté le bâtiment moins d’un an avant la catastrophe [1]. Le Rana Plaza est la conséquence cruelle de plusieurs décennies d’autorégulation des multinationales qui ont surtout permis le développement d’un grand marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
international de l’audit
Audit
Examen des états et des comptes financiers d’une firme, de sorte à évaluer si les chiffres publiés correspondent à la réalité. L’opération est menée par une société privée indépendante appelée firme d’audit qui agrée légalement les comptes déposés. Quatre firmes dominent ce marché : Deloitte, Ernst & Young, KPMG et PricewaterhouseCoopers.
(en anglais : audit ou auditing)
. Des multinationales et des ONG qui, ensemble, construisent un droit international privé, hors de toute réglementation contraignante.
C’est ce constat qui amène, comme nous le verrons dans le troisième article de ce numéro, ces mêmes ONG à faire campagne aujourd’hui pour un Traité contraignant à l’ONU
ONU
Organisation des Nations Unies : Institution internationale créée en 1945 pour remplacer la Société des Nations et composée théoriquement de tous les pays reconnus internationalement (193 à ce jour). Officiellement, il faut signer la Charte de l’ONU pour en faire partie. L’institution représente en quelque sorte le gouvernement du monde où chaque État dispose d’une voix. Dans les faits, c’est le Conseil de sécurité qui dispose du véritable pouvoir. Il est composé de cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France et Grande-Bretagne) qui détiennent un droit de veto sur toute décision et de dix membres élus pour une durée de deux ans. L’ONU est constituée par une série de départements ou de structures plus ou moins indépendantes pour traiter de matières spécifiques. Le FMI et la Banque mondiale, bien qu’associés à ce système, n’en font pas officiellement partie.
(En anglais : United Nations, UN)
ou pour des lois de devoir de vigilance à l’échelon national. Après 50 ans de RSE, assiste-t-on à un tournant vers des réglementations « dures » à l’attention des multinationales ? Tout reste à faire.
En Belgique, la réflexion des différents acteurs sur une loi de devoir de vigilance en est encore à ses balbutiements. Dans les pages de ce Gresea Échos, nous avons voulu déterminer qui sont les grandes multinationales présentes en Belgique. Pour contraindre un acteur à respecter la loi, il ne faut pas seulement identifier ce qui lui est opposable dans le corpus existant, il faut surtout savoir qui il est. C’est le constat que les ONG font dans l’évaluation du devoir de vigilance français : l’entreprise multinationale
Multinationale
Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
reste un objet largement non identifié et donc très compliqué à règlementer. Le premier article proposé dans ce numéro doit beaucoup au travail de Leïla Van Keirsbilck à partir de la base de données Afin-a [2]. Le BEL 20 alternatif qu’elle propose montre par exemple que la Belgique est un pays de filiales mais pas de centres de décisions. En se concentrant seulement sur les plus grandes entreprises présentes en Belgique, une loi de devoir de vigilance risque d’être très peu effective. Doit-on exclure les petites et moyennes entreprises du champ d’une règlementation sur l’environnement ou les droits des travailleurs, alors que très souvent, ces plus petites entreprises sont prises dans des chaines d’approvisionnement mondialisées et qu’elles ont parfois des responsabilités importantes en tant que donneuses d’ordre ? Comme nous l’expliquons dans le second article qui traite de l’impact des multinationales sur l’économie belge, le pouvoir économique n’est plus seulement une question de taille, mais bien de positionnement des entreprises sur des chaînes de valeur internationales. Faut-il alors s’intéresser plutôt à des secteurs dits « à risques » pour l’environnement et les droits de travailleurs comme le textile ou les minerais ? Tout en sachant que le découpage par secteur est de moins en moins un concept relevant pour décrire la réalité des multinationales. Amazon produit des vêtements et Google est un donneur d’ordre de l’industrie électronique !
Nous ne trancherons pas ces questions. Mais la démographie du monde de l’entreprise en Belgique indique qu’une approche seulement juridique de la problématique ou un simple « copier-coller » de ce qui se fait dans d’autres pays en Europe sera nécessairement insuffisant. C’est pourquoi le second article met en perspective et fait la critique du rôle des multinationales dans le développement économique spécifique d’un pays comme la Belgique. Finalement, les multinationales investissent peu relativement aux politiques menées en ce sens, elles embauchent beaucoup moins que les entreprises publiques et elles ne paient quasiment pas d’impôt… Faut-il dès lors seulement être « vigilant » par rapport à leurs activités ?
Enfin, le troisième article propose une réflexion macro-politique sur les obstacles à la réglementation des multinationales. Est-il censé promouvoir un devoir de vigilance sur les réseaux de sous-traitance
Sous-traitance
Segment amont de la filière de la production qui livre systématiquement à une même compagnie donneuse d’ordre et soumise à cette dernière en matière de détermination des prix, de la quantité et de la qualité fournie, ainsi que des délais de livraison.
(en anglais : subcontracting)
si rien n’est fait en parallèle pour en limiter le recours ? Est-il possible de stabiliser le périmètre d’une entreprise sans questionner la libre-circulation du capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
? Peut-on finalement créer un rapport de force avec un acteur sans lui faire comprendre qu’on n’a pas nécessairement besoin de lui ?
Gresea Échos N°99 Les multinationales en Belgique. Contre-rapport annuel, septembre 2019
Sommaire GE99, septembre 2019, 32 pages
Édito : Pouvoir économique et devoir de vigilance/Bruno Bauraind
Le BEL 20 alternatif
Leïla Van Keirsbilck et Bruno Bauraind
Une analyse capital-travail du BEL 20 alternatif
Leïla Van Keirsbilck et Bruno Bauraind
Réglementer le pouvoir des multinationales
Leïla Van Keirsbilck et Bruno Bauraind
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