"Les mines doivent fermer, car il n’y a plus d’argent. " C’est sous ce prétexte qu’au printemps, Madrid a supprimé deux tiers des subventions au secteur. Ces économies font partie du budget de famine du gouvernement Rajoy. Par sa décision, Rajoy viole des accords décidés plus tôt. Les syndicats des mineurs adressent un ultimatum au gouvernement : pour le 14 septembre, il faut avoir fixé une date pour des négociations, sinon il y aura de nouvelles protestations massives des mineurs.
Cette analyse a également été publiée en néerlandais sur le site de l’agence De WereldMorgen http://www.dewereldmorgen.be/video/2012/09/13/spaanse-mijnwerkers-stellen-ultimatum-aan-regering-rajoy - Greet Brauwers et Miriam Izquierdo ont contribué à sa réalisation).
Langreo, dans la principauté des Asturies, dans le Nord de l’Espagne. Il a fait très chaud, ici, ces derniers mois. Cette année, même dans les Asturies toujours vertes, l’herbe est desséchée. C’est surtout au sens figuré, ici, que ce fut la fournaise. On le voit partout. Aux traces carbonisées sur l’autoroute, suite aux blocages et aux pneus incendiés. Aux mots d’ordre qu’on a tagués sur les murs des usines…
Les choses ont commencé ce printemps, avec "29M", la grève générale du 29 mars contre le gouvernement de droite – disons même d’ultra-droite – de Mariano Rajoy (PP). Le lendemain 30 mars, le Premier ministre Rajoy allait faire passer un premier budget de famine au Parlement, avec 27 milliards d’euros d’économies (en juillet, Rajoy y a même rajouté 65 milliards d’euros).
Les économies ont également touché l’industrie houillère. Le Premier ministre Rajoy a décidé de supprimer deux tiers des subventions aux mines. "Nos gens ont réagi en colère", explique Avelino Martinez, "car le résultat de cette décision serait qu’avant la fin de 2012, d’autres mines devraient encore fermer."
Avelino, les cheveux courts et crépus, avec son T-shirt marqué "rock ’n’ roll", est délégué principal aux Comisiones Obreras (CCOO – Commissions ouvrières) à la mine Maria Luisa de Langreo. Il nous reçoit dans le local syndical de la mine. Un portrait de Che Guevara est accroché au mur. Dans un coin, un bouclier d’acier galvanisé. "Fabrication maison", sourit Avelino, "contre les balles en caoutchouc de la police."
José Luis Villares Suárez, aux CCOO, secrétaire syndical pour tout le secteur, s’est rendu lui aussi à la mine de Maria Luisa. Pour ce faire, il a dû chambouler complètement son agenda surchargé. "Depuis les années quatre-vingt-dix, nous nous battons pour les emplois dans les mines et la reconversion des bassins miniers", dit José Luis.
"La plupart des mines travaillent à perte. L’État éponge les pertes avec des subventions. Après 2018, l’Europe ne veut plus en entendre parler. L’industrie houillère doit donc restructurer. C’est pourquoi, en compagnie des entrepreneurs et des précédents gouvernements, nous avons mis au point plusieurs plans nationaux pour le secteur. Le plus récent court jusque fin 2012."
"En supprimant les subventions, le gouvernement Rajoy a balayé unilatéralement ce plan de la table. Nous ne pouvions pas laisser faire ça !" En mai 2012, il s’en est suivi quatre jours de grève. Toutes les mines ont été à l’arrêt. "Mais les mineurs voulaient continuer", dit Avelino, "çà et là, il y a eu des sit-in souterrains. Cela a abouti à une grève de durée indéterminée. Nous l’avons maintenue pendant 57 jours."
Parachutée par Rajoy
En tout, 8.000 mineurs travaillent encore dans les mines de charbon espagnoles, avec des bassins en Andalousie, dans le sud de l’Espagne, et dans les provinces de Leon et des Asturies dans le nord. En dehors des Asturies, ce sont surtout des mines privées, qui sont actives. Dans les Asturies, la mine d’État HUNOSA donne du travail à 1.800 personnes, dans dix mines.
Il y a vingt-cinq ans, 25.000 personnes travaillaient encore pour HUNOSA. On y a donc vilainement sabré dans l’emploi. Maria Luisa est une petite mine de HUNOSA : 250 personnes y travaillent encore. HUNOSA se trouve actuellement en terrain mouvant. Les gouvernements successifs y ont toujours parachuté leurs personnes de confiance, que ce soient les socialistes du PSOE ou la droite avec le PP qui siégeaient à Madrid.
Le Premier ministre Rajoy a perpétué la tradition avec enthousiasme. Il a parachuté sa collègue de parti Maria Teresa Mallada de Castro à la tête de HUNOSA, elle y préside désormais le conseil d’administration. C’est une fonction clé dans l’attaque de Rajoy contre le secteur. Car, si HUNOSA plie, c’est l’ennemi le plus costaud qui tombe, pour Rajoy.
Madame Mallada s’acquitte de sa tâche. On s’attendrait de cette patronne qu’elle défende les intérêts de son entreprise et de son personnel. Mais Mallada fait tout le contraire. Elle accepte que HUNOSA continue sans subventions. En d’autres termes, elle accélère la liquidation de cette entreprise d’État. Les journaux et la télévision reprennent comme un seul écho les arguments du camp gouvernemental. On ne s’enquiert même pas des contre-arguments des mineurs.
"Mais qu’il n’y a plus d’argent, c’est un mensonge", déclare le secrétaire des CCOO Villares Suarez, "le gouvernement a bien trouvé des milliards pour les banques et pour maintenir en vie une firme qui perçoit le péage sur les autoroutes."
Dans les médias, les protestations des mineurs sont vilipendées. Les reportages télévisés se concentrent sur le sensationnel : les blocages des autoroutes, les combats avec la police. La répression policière a été dure. "Lors des précédentes mobilisations, ça s’était aussi déroulé de façon très violente", déclare Avelino, "mais aujourd’hui, nous sommes surtout confrontés aux nouvelles techniques policières."
Dans les communes minières, cela grouillait d’équipes mobiles de la police, qui retenaient les voitures et fichaient les passagers. Maria Luisa était l’une des mines où patrouillaient même des unités des forces spéciales. Sans doute des paramilitaires de la Guardia Civil.
José Luis Villares Sùarez poursuit : "Il va y avoir des procès. Quelque 130 mineurs vont sans doute devoir comparaître devant le juge. Certains camarades ont été accusés d’avoir prétendument tiré sur les hélicoptères de la police d’où on tirait avec des balles en caoutchouc. Moi-même, je suis accusé de trouble de l’ordre et de blocage de la voie publique. On peut s’attendre à des amendes de 300 à 30.000 euros."
Mais on n’a toujours pas trouvé l’arme secrète des mineurs. Les deux syndicalistes m’en parlent d’un air quelque peu radieux. C’est un engin pour riposter vers la police avec… des balles de golf !
Le lobby des importateurs
Rajoy et son gouvernement n’ont pas laissé un pouce de marge de manœuvre aux mineurs. Pourquoi sont-ils si inflexibles ? Les syndicalistes des Comisiones Obreras ont plusieurs explications, à ce propos. Le secrétaire Villares Suárez : "Ils veulent se débarrasser très rapidement de l’industrie minière, et des mineurs, des délégués syndicaux et des syndicats en tant que tels."
Politiquement, les deux camps sont diamétralement opposés : l’ultralibéral Partido Popular face aux communautés ouvrières, avec plusieurs décennies de tradition socialiste et communiste.
Soit dit en passant : jusqu’à ce jour, certains hommes politiques du PP ont en haute estime le dictateur Franco (précisément l’homme qui, en 1934, avait réprimé dans le sang une révolte des mineurs asturiens). Avelino Martinez et son secrétaire syndical voient également de puissants lobbys économiques derrière la politique du gouvernement. Ils prônent les intérêts des grands négociants en matières premières. Ceux-ci ont tout intérêt à ce que l’Espagne ne produise plus de charbon et qu’on se contente uniquement d’en importer.
"Les producteurs d’énergie importent aujourd’hui 85 pour 100 du charbon dont ils ont besoin pour les centrales", dit Avelino, "et ils paient un prix raisonnable grâce au fait qu’il y a du charbon espagnol encore relativement bon marché. Mais le jour où l’on ne produira plus de charbon espagnol, les importateurs recevront le monopole. Et là, immédiatement, ils multiplieront leur prix par deux ou par trois. Tout le monde le sentira passer. Dans toute l’Espagne."
À proximité des mines des Asturies, se trouve un excellent indicateur : El Musel, le port de Gijon. En juin 2012, on apprend que plus de 150.000 tonnes de charbon importé y sont stockées. D’après un journal local, la cargaison a été introduite par Goldman Sachs, l’une des plus grandes banques du monde et une spéculatrice de longue date dans les matières premières, "qui veut vendre le charbon en Europe, via des contrats à terme et, partant, avec d’énormes bénéfices [1]".
La nouvelle a choqué les communes minières. À ce moment précis, les mineurs étaient occupés à parcourir en marchant 400 kilomètres, c’est-à-dire tout le trajet en direction de Madrid, où ils étaient accueillis triomphalement le 11 juillet par la population de la capitale.
Avelino Martinez : "Ils voudraient aussi nous faire croire que le charbon importé est moins polluant. Mais ce qu’ils ne nous disent pas, c’est que ce charbon est amené par bateau et qu’ici, on le transporte par camion vers les centrales. Et ils ne tiennent pas compte de la pollution de tous ces transports !"
Les vallées minières meurent
Les syndicats sont prêts à mobiliser les mineurs à nouveau. "Ici, il ne s’agit pas des emplois à Maria Luisa ou de HUNOSA uniquement", dit Avelino. "Pour nous, il n’y a pas de distinction entre les emplois de l’entreprise publique HUNOSA et ceux des entreprises privées. Nous luttons pour tous les emplois dans le secteur minier et autour."
Quand on calcule tout ensemble, c’est bien vite 30.000 travailleurs qui risquent de perdre leur revenu. En effet, pour chaque emploi dans les mines, il y a au moins trois emplois chez les sous-traitants, les fournisseurs et toutes les entreprises, petites ou grandes, qui vivent de l’industrie houillère. À première vue, la principauté des Asturies a encore beaucoup d’industrie lourde.
À Avilès, à la côte, par exemple, il y a les énormes zingueries et aciéries de Xstrata et ArcelorMittal. "Mais ne vous y trompez pas", dit Avelino, "les mines de charbon restent la colonne vertébrale de l’économie, ici. Si les mines ferment, ce sont des vallées tout entières qui vont se transformer en désert social."
Dans le passé, on a beaucoup investi dans la reconversion, afin de créer de l’emploi pour les anciens mineurs. "Comment cela se fait, je n’en sais rien", déclare José Luis, "mais il n’en reste que quelques PME. La plupart des grandes entreprises qui ont démarré avec l’argent de la reconversion n’ont pas tenu le coup longtemps." Raison de plus, pour ces syndicalistes, de planifier la dernière phase de la reconversion jusqu’en 2018, et de façon rigoureuse ensuite.
Entre-temps, les syndicats miniers ont adressé un ultimatum au gouvernement : s’il ne montre pas pour le 14 septembre qu’il veut négocier, les syndicats décideront de nouvelles mobilisations massives. [2]
"Cette année, aucun boulot ne peut se perdre dans les mines, c’est le point le plus urgent", explique José Luis Villares Suárez. Mais les négociations doivent aussi déboucher sur un nouveau plan national pour l’industrie houillère, de 2013 à 2018, et après. "Ce plan doit offrir aux régions minières des garanties pour l’avenir."