Le groupe Delhaize, un des leaders dans la distribution belge (environ 25% de part de marché), a décidé de se séparer de 2.500 salariés (qu’il appelle encore "ses collaborateurs") et de fermer 14 magasins. En Belgique, il occupait fin 2013 13.609 personnes équivalents temps plein sur quelque 800 magasins (mais avec différentes enseignes). C’est un véritable séisme social. Un de plus pour la Belgique.
Les sites fermés sont ceux d’Eupen, de Dinant, d’Herstal, de La Louvière, de Tubize, de Schaerbeek (Verhaeren), d’Aarschot, de Diest, de Berlaar, de Genk (Stadsplein), de Courtrai (Ring), de Lommel, de Termonde et de Turnhout. Soit 5 en Wallonie, 1 à Bruxelles et 8 en Flandre. Les drames sociaux n’ont pas de frontière.
Pendant que les négociations politiques ont commencé pour former des équipes gouvernementales aux différents niveaux de pouvoir, fédéral, Régions, communautés, le système capitaliste de concurrence monopoliste continue à produire ses effets désastreux, sans que les responsables étatiques n’en viennent à remettre en cause les origines.
En effet, que reproche-t-on à ces 2.500 travailleurs "excédentaires" ? D’être trop chers ? De ne pas être assez productifs ?
Regardons les chiffres comptables de plus près.
Depuis 1990, le groupe Delhaize n’a pas connu une année de pertes, malgré les différentes crises qui ont frappé la Belgique et l’Europe. Il distribue régulièrement un dividende
Dividende
Revenu de la part de capital appelé action. Il est versé généralement en fonction du bénéfice réalisé par l’entreprise.
(en anglais : dividend)
, généralement en hausse, sauf en 2002 et 2012. Au total, depuis 1993, soit depuis 20 ans, ce sont près de 2,5 milliards d’euros de 2013 (en termes réels - sans inflation
Inflation
Terme devenu synonyme d’une augmentation globale de prix des biens et des services de consommation. Elle est poussée par une création monétaire qui dépasse ce que la production réelle est capable d’absorber.
(en anglais : inflation)
) qui auront été versés aux actionnaires.
Le groupe Delhaize a dépensé une partie de ses investissements pour conquérir de nouveaux marchés. Au départ de la Belgique, puis des États-Unis (acquisition du groupe Food Town, devenu Food Lion, dans les années 70), ses deux bases traditionnelles, il a fait une tentative au Portugal. En 1992, il clôture l’aventure. Puis, il s’implante en Tchéquie et en Grèce. Puis, il va fin des années 90 en Asie de l’Est, en Indonésie, en Thaïlande et à Singapour. Il continue sa percée en Europe de l’est et du sud : Slovaquie, Roumanie. Mais les expériences ont des résultats mitigés. En 2002, il quitte Singapour, puis un an plus tard la Thaïlande. En 2004, il part de Slovaquie et de Tchéquie en 2006. En 2011, rebelote, le groupe tente une nouvelle expérience en Europe : Serbie, Bosnie, Bulgarie, Albanie et Montenegro. Il ne lui faut pas deux ans pour se retirer de ces deux derniers territoires.
Ce sont ces investissements principalement qui coûtent et qui ne sont pas rentables. La section belge, elle, rapporte continuellement de l’argent (de même que la division américaine). Mais le groupe, de plus en plus dirigé par des actionnaires financiers en collaboration avec la famille d’origine (les Delhaize), cherche la rentabilité et le grossissement du groupe à tout prix.
On peut se demander comment cela va se poursuivre. Un des gros problèmes dans la zone euro et l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
est la déflation, c’est-à-dire la réduction des prix de façon générale. Celle-ci est provoquée par l’austérité menée par les autorités communautaires et leurs relais nationaux : moins de dépenses publiques, baisse du pouvoir d’achat, moindre consommation, guerre accrue dans le secteur de la distribution. Le marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
belge n’est plus très porteur, par rapport à d’autres dans les pays émergents. En 2010, Carrefour s’était déjà débarrassé de 1.672 emplois. C’est au tour de Delhaize. Qui sera le suivant ?
Cette mécanique montre l’absurdité de tout un système où salariés et clients sont perdants. Les travailleurs perdent leur poste. Ils voient leurs conditions de travail se détériorer, car il faut être de plus en plus rapide, performant. Comme l’écrivait Jean-Pierre Durand, c’est la méthode SBAM pour les caissières, mise au point d’ailleurs chez Carrefour (France) : pas de causeries intempestives, uniquement salut, bonjour, au revoir et merci (soit en prenant les premières lettres : SBAM).
Mais, pour les clients, ce n’est guère favorable. Certes, ils bénéficient momentanément d’une diminution de prix. Mais jusqu’à quand ? La concurrence entraîne la formation de monopoles et ceux-ci réintroduiront des prix élevés quand ils en auront l’occasion. En revanche, la qualité de l’alimentation se dégrade. De plus en plus de produits industriels, mal contrôlés et mal tracés, arrivent dans les assiettes. Et les services se raréfient. Les magasins vont bientôt ressembler tous à ces grands hangars de Colruyt, avec un minimum de personnel. Les caissières et caissiers remplacés par des automates scanners. On ne verra quasiment plus un salarié du magasin. Et comment fera-t-on pour retrouver les produits, s’ils ont changé de place (comme les techniciens du marketing le recommandent de le faire régulièrement, pour obliger les clients à regarder de nouveau tous les biens et à se laisser tenter par de nouveaux) ou si on ne connaît pas bien le magasin. Est-ce cela l’avenir meilleur que certains nous prédisent ?
La lutte pour le maintien des emplois à Delhaize ne concerne pas que les salariés menacés. C’est un combat global contre un système, où les intérêts des travailleurs, des consommateurs et de la population au final se croisent et se recoupent. Il n’y a pas de raison d’accepter ce programme inique. Ni pour les syndicats, ni pour les gouvernements. Depuis quand la volonté de verser dans le gigantisme, d’accumuler des richesses au profit d’une poignée d’actionnaires, correspond-il à l’intérêt du plus grand nombre ?
Vous trouverez ci-joint à droite, les comptes de Delhaize