La perspective lucrative d’une population mondiale croissante pousse le conglomérat minier BHP Billiton à investir dans le secteur des engrais. Si ce géant réussit à s’emparer de PotashCorp, le premier producteur de potasse, BHP devient le leader incontesté de ce secteur.
BHP Billiton a une nouvelle proie dans le collimateur. BHP, la plus grande société minière tout court, veut s’acheter Potash Corporation du Canada. Celle-ci, à son tour, est la plus grande productrice de potasse, une matière première
Matière première
Matière extraite de la nature ou produite par elle-même, utilisée dans la production de produits finis ou comme source d’énergie. Il s’agit des produits agricoles, des minerais ou des combustibles.
(en anglais : raw material)
servant à la fabrication d’engrais. Dans ce secteur des profits sérieux semblent s’annoncer. Parce que, dit le raisonnement courant, à l’avenir plus de gens voudront manger plus et mieux, tandis que la superficie arable reste limitée. Et donc, l’agriculture aura besoin de plus d’engrais. Cette logique arrange bien la grande industrie qui cherche aussi à hausser son chiffre d’affaires
Chiffre d’affaires
Montant total des ventes d’une firme sur les opérations concernant principalement les activités centrales de celle-ci (donc hors vente immobilière et financière pour des entreprises qui n’opèrent pas traditionnellement sur ces marchés).
(en anglais : revenues ou net sales)
avec des engrais.
BHP Billiton est prêt à dépenser plus de 30 milliards d’euros pour s’emparer de la société minière canadienne. Potash Corporation of Saskatchewan (PotashCorp ou PCS) n’est pas un petit acteur. Ses mines ont la capacité de fournir un cinquième de la production mondiale de potasse. La potasse est, avec l’azote et le phosphate, un des ingrédients classiques des engrais.
C’est un secteur très concentré. On ne trouve la potasse que dans treize pays, mais une poignée seulement (le Canada, la Biélorussie, la Chine, l’Allemagne, Israël, la Jordanie et la Russie) représente 90 % de la production. [1] Et un groupe sélect d’entreprises, avec PotashCorp en tête, domine la production dans ces pays. [2] Peu d’acteurs, donc très puissants.
Ces dernières années, PotashCorp a pleinement usé de sa puissance. Avec deux autres producteurs de potasse, la société Mosaic des États-Unis (une filiale de Cargill) [3] et Agrium du Canada, PotashCorp a créé la société Canpotex qui commercialise la potasse en dehors de l’Amérique du Nord. Au sein de Canpotex, un cartel
Cartel
Association de plusieurs entreprises d’un secteur en vue de réglementer la production de celui-ci : maintenir un même prix de vente sur le marché, se répartir des quotas de production, etc.
(en anglais : cartel, mais souvent coalition, syndicate ou trust)
tout ce qu’il y a de plus légal, les trois membres concluent des accords secrets sur la production et les prix. [4] Lorsqu’en 2007 et 2008 les prix de l’alimentation ont connu une forte hausse sur le marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
mondial, le prix de la potasse a suivi rapidement : il a septuplé, passant d’environ 120 euros la tonne en 2006 à plus ou moins 780 euros la tonne en 2008. A partir de fin 2008, cependant, la demande de potasse s’est tassée, à cause de la crise économique mondiale et les prix de potasse ont chuté. Enfin, pas vraiment, car les membres du cartel Canpotex ont de commun accord réduit la production (de 40% !) et ont de cette manière réussi à soutenir artificiellement le prix de la potasse.
PCS n’a pas de scrupules dans ce petit jeu de cartel. Il faut savoir que, si BHP Billiton devait réussir à mettre la main sur les mines de potasse de PotashCorp, c’est pour les faire tourner à plein régime. Ce n’est pas l’avis de Bill Doyle, administrateur délégué de PotashCorp, qui a dissuadé BHP de suivre cette stratégie ("elle conduit à la banqueroute", dixit Doyle), ajoutant que BHP devrait maintenir la politique de pénurie artificielle. [5] C’est dans le besoin qu’on reconnaît ses amis. Des dirigeants des autres membres du cartel, Mosaic et Agrium, se sont rangés du côté de PotashCorp. Eux aussi veulent évidemment pouvoir ‘réguler’ le marché.
Quiconque pense que le profit vient avant toute autre préoccupation, découvrira d’autres aspects attrayants chez PotashCorp. Contrairement à des concurrents plus modestes, ses coûts de production restent relativement réduits. Combinés avec un prix soutenu artificiellement, voilà qui donne une belle marge de profit. Pendant le premier semestre de 2010, elle était de 56%. [6] Les affaires vont bien pour PotashCorp. En 2007 le groupe publiait un bénéfice de plus de 780 millions d’euros, en 2008 de près de 2,7 milliards d’euros et en 2009 de nouveau de près de 780 millions d’euros, et cela surtout grâce à ses mines de potasse.
L’hebdomadaire boursier Trends-Tendance désignait l’action
Action
Part de capital d’une entreprise. Le revenu en est le dividende. Pour les sociétés cotées en Bourse, l’action a également un cours qui dépend de l’offre et de la demande de cette action à ce moment-là et qui peut être différent de la valeur nominale au moment où l’action a été émise.
(en anglais : share ou equity)
PotashCorp dernièrement de "digne d’achat sous US$105". Soit en dessous de 82 euros. Cet avis était publié dans l’édition du 19 août 2010, bouclée au moment où l’offre de BHP Billiton sur PotashCorp était rendue publique. A cause de cette offre, le cours de l’action PotashCorp a monté, comme par hasard, à 116 euros !
Les commerçants de la potasse, et des engrais en général, aiment bien gonfler leur business pour chauffer ceux qui voudraient placer leur argent et les investisseurs. Leur devise : The World Wants More (Le Monde en Demande Plus). PotashCorp prophétise que la population mondiale croîtra de 6,1 milliards de personnes en 2000 à 9,2 milliards en 2050. Ces êtres humains voudront plus de nourriture d’une meilleure qualité, tandis que la superficie arable ne croîtra pas. Pour résoudre ce dilemme PotashCorp propose des solutions toutes faites : Fertile soils grow More, More of the quality nutrient, More flexibility, More advantages, More value, We have More than anyone ! [7] (Les sols fertiles produisent Plus, Plus d’aliments de qualité, Plus de flexibilité, Plus d’avantages, Plus de valeur, Nous en avons plus que tous les autres). La Chine et l’Inde seraient donc des marchés prometteurs pour le secteur des engrais. En passant : est-ce que la "flexibilité" dont il est question ici exprime la capacité d’augmenter ou de réduire, selon les besoins, la production pour maintenir un prix élevé ? Comme si des prix élevés faisaient l’affaire des agriculteurs dans les marchés émergents.
Les médias boursiers font écho aux slogans du Toujours Plus, si nécessaire avec des rapports de la FAO à l’appui. Mais ces slogans sont boiteux. De un, il n’y pas que les engrais qui fertilisent le sol : selon certains les engrais produisent même un effet contraire à long terme. [8] En plus, la grande industrie des engrais s’aligne sur le modèle de croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
des agro-industriels. Mais est-ce un modèle ? Dans une note de la Banque Mondiale
Banque mondiale
Institution intergouvernementale créée à la conférence de Bretton Woods (1944) pour aider à la reconstruction des pays dévastés par la deuxième guerre mondiale. Forte du capital souscrit par ses membres, la Banque mondiale a désormais pour objectif de financer des projets de développement au sein des pays moins avancés en jouant le rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et les pays détenteurs de capitaux. Elle se compose de trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID) et la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’agit que lorsque le FMI est parvenu à imposer ses orientations politiques et économiques aux pays demandeurs.
(En anglais : World Bank)
, parmi tant d’autres, la Chine figure plutôt comme un modèle alternatif. Ce pays a doublé sa production de céréales entre 1991 et 2001 en s’appuyant sur les petites fermes de moins de 0,2 hectare chacune. [9]
Les grandes entreprises minières par contre, cela n’étonnera personne, considèrent le secteur des engrais comme une très bonne affaire. Le géant australo-britannique BHP Billiton, le numéro un mondial dans le secteur minier, extrait toute une gamme de minerais de la terre et aussi de la potasse. Depuis quelque temps, BHP développe la mine de Jansen au Canada. Jansen sera prête à produire dans cinq ans. Puisque, compte tenu du marché prospère actuel, BHP ne veut pas attendre aussi longtemps, il a acheté en janvier 2010 l’entreprise canadienne Athabasca Potash pour 257 millions d’euros. Et maintenant BHP espère tirer le gros lot en achetant PotashCorp.
BHP Billiton accumule les bénéfices depuis des années. Lors de la dernière année comptable, clôturée le 30 juin 2010, BHP a doublé le bénéfice par rapport à l’année précédente pour atteindre 9,8 milliards d’euros, grâce à des ventes records de fer, de coke et de pétrole. [10] BHP Billiton est assis sur un montant de cash (qui serait actuellement de 6,5 milliards euros) [11] et des investisseurs impatients se demandent pourquoi BHP ne le dépenserait pas. D’autres miniers géants, Rio Tinto (UK) et Vale (Brésil) ont aussi des intérêts dans le secteur des engrais. Mais si BHP Billiton réussit à s’emparer de PotashCorp, BHP deviendrait le leader incontesté du secteur. Il contrôlerait alors près d’un tiers de la production globale de potasse.
Journaux et Bourses spéculent en espérant que d’autres acteurs pousseraient l’enchère en lançant une offre supérieure à celle de BHP Billiton. Le nom le plus cité est celui de Sinochem, un group chimique chinois. PotashCorp a un intérêt dans le capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
de Sinofert, une filiale de Sinochem, qui serait donc le candidat le plus probable à riposter contre BHP.