La Cnuced
CNUCED
Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement : Institution des Nations unies créée en 1964, en vue de mieux prendre en compte les besoins et aspirations des peuples du Tiers-monde. La CNUCED édite un rapport annuel sur les investissements directs à l’étranger et les multinationales dans le monde, en anglais le World Investment Report.
(En anglais : United Nations Conference on Trade and Development, UNCTAD)
sera au centre de la redéfinition des rapports nord-sud à Doha du 21 au 26 avril. Deux thèses, deux blocs, deux communautés internationales s’y affrontent. En jeu : l’avenir d’un espace de critique du modèle économique dominant.
Ce texte a été publié dans une version un peu plus courte dans La Libre en date du 20 avril 2012.
Les préparatifs à la réunion de la Conférence des Nations unies pour le Commerce et le Développement
Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement
ou CNUCED : Institution des Nations unies créée en 1964, en vue de mieux prendre en compte les besoins et aspirations des peuples du Tiers-monde. La CNUCED édite un rapport annuel sur les investissements directs à l’étranger et les multinationales dans le monde, en anglais le World Investment Report.
(En anglais : United Nations Conference on Trade and Development, UNCTAD)
(Cnuced
CNUCED
Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement : Institution des Nations unies créée en 1964, en vue de mieux prendre en compte les besoins et aspirations des peuples du Tiers-monde. La CNUCED édite un rapport annuel sur les investissements directs à l’étranger et les multinationales dans le monde, en anglais le World Investment Report.
(En anglais : United Nations Conference on Trade and Development, UNCTAD)
) auront une nouvelle fois fait un pied de nez à la notion de "communauté internationale". La réunion aura lieu à Doha du 21 au 26 avril 2012.
La Cnuced est un organe permanent des Nations unies et la réunion a pour objet d’en déterminer le mandat durant les quatre prochaines années. Avec les Nations unies, on peut sans problème parler de communauté internationale, tous les pays y sont représentés. Mais ils n’ont pas tous le même point de vue, ni le même poids. Il y a une communauté internationale minoritaire qui cherche à imposer aux autres ses choix et il y a une communauté internationale majoritaire qui bien souvent les subit. On le voit dans les préparatifs sur le mandat de la Cnuced.
Les blocs font bloc
Un petit document de synthèse transmis par le gouvernement belge fait apparaître deux gros groupes. Il montre assez bien que, dans le registre de la publicité politique, la communauté internationale a des problèmes existentiels. D’un côté, pour discuter du mandat de la Cnuced, on a l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
qui s’aligne sur les États-Unis et le Japon. Ce groupe est présidé par la Suisse et compte également la Nouvelle Zélande, le Canada, la Norvège et l’Australie. Le groupe "occidental", on pourrait dire. De l’autre côté, présidé par la Thaïlande, on a le G77. Le G77 est en quelque sorte le syndicat des pays du Tiers-monde, ils étaient 77 à sa création en 1964, ils sont maintenant 132 : c’est la communauté internationale majoritaire [1]. Par un jeu de mots facile, on pourrait dire qu’il y a, d’un côté, le groupe des alignés et, de l’autre, le groupe des non alignés. (Il y a aussi un petit bloc regroupant les pays auparavant liés à l’ex-URSS.) Et ils ne sont pas d’accord.
Le groupe du Sud, par exemple, n’apprécie guère l’introduction du terme "économies émergentes" que le bloc occidental veut lui imposer pour, estime-t-il, le diviser. Il rejette également les notions de "respect des droits humains", "d’État de droit" et "d’égalité des sexes" que le bloc occidental voudrait voir intégrées dans le mandat de la Cnuced. Le bloc du Sud les qualifie de "liste d’emplettes" (shopping list) chargées d’arrière-pensées politiques. Fait controverse également, la volonté du Sud d’obtenir plus de marges d’autonomie. On dit "policy space" en anglais – mais ce terme technocratique de "espace de manœuvre politique" gagnerait plutôt à être recadré dans la renaissance d’une lutte pour l’indépendance et contre la (néo)colonisation. Elle n’est pas achevée [2]. Il y a enfin un dialogue de sourds sur le rôle de la Cnuced dans l’analyse de la crise et des marchés financiers. Ce n’est pas le rôle de la Cnuced, dit le bloc occidental : pas touche !
Problème d’hégémonie
Dans un courrier au Financial Times, 3 avril 2012, Robert Wade de la London School of Economics met cela bien en évidence. Et notamment en rappelant d’emblée que la Cnuced n’est pas un organe des Nations unies comme un autre. La Cnuced est l’agence onusienne où se font le mieux entendre les préoccupations du Sud en matière de commerce, de dette et de la finance.
Voilà qui explique que le bloc occidental souhaite que la Cnuced se cantonne aux thématiques subalternes de "bonne gouvernance, de démocratie, de liberté, de genre, des jeunes et de réforme organisationnelle interne" – et, écrit-il, qu’il rejette avec détermination tout rôle futur de la Cnuced dans l’analyse des flux
Flux
Notion économique qui consiste à comptabiliser tout ce qui entre et ce qui sort durant une période donnée (un an par exemple) pour une catégorie économique. Pour une personne, c’est par exemple ses revenus moins ses dépenses et éventuellement ce qu’il a vendu comme avoir et ce qu’il a acquis. Le flux s’oppose au stock.
(en anglais : flow)
de capitaux, des termes de l’échange
Termes de l’échange
Pouvoir d’achat de biens et services importés qu’un pays détient grâce à ses exportations. L’indice des termes de l’échange le plus courant mesure le rapport entre les prix des exportations et les prix des importations. Une augmentation de cet indice correspond à une amélioration des termes de l’échange : par exemple, un pays vend plus cher ses exportations pour un prix à l’importation constant. Inversement, une diminution de l’indice correspond à une dégradation des termes de l’échange.
(en anglais : terms of trade)
, de la financiarisation
Financiarisation
Terme utilisé pour caractériser et dénoncer l’emprise croissante de la sphère financière (marchés financiers, sociétés financières...) sur le reste de l’économie. Cela se caractérise surtout par un endettement croissant de tous les acteurs économiques, un développement démesuré de la Bourse et des impératifs exigés aux entreprises par les marchés financiers en termes de rentabilité.
(en anglais : securitization ou financialization)
des ressources naturelles, etc. Il s’agit là, insiste le bloc occidental, de "prérogatives du Fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
monétaire international, de la Banque mondiale
Banque mondiale
Institution intergouvernementale créée à la conférence de Bretton Woods (1944) pour aider à la reconstruction des pays dévastés par la deuxième guerre mondiale. Forte du capital souscrit par ses membres, la Banque mondiale a désormais pour objectif de financer des projets de développement au sein des pays moins avancés en jouant le rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et les pays détenteurs de capitaux. Elle se compose de trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID) et la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’agit que lorsque le FMI est parvenu à imposer ses orientations politiques et économiques aux pays demandeurs.
(En anglais : World Bank)
et de l’Organisation mondiale du commerce
Organisation mondiale du Commerce
Ou OMC : Institution créée le 1er janvier 1995 pour favoriser le libre-échange et y ériger les règles fondamentales, en se substituant au GATT. Par rapport au GATT, elle élargit les accords de liberté à des domaines non traités à ce niveau jusqu’alors comme l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les investissements liés au commerce… En outre, elle établit un tribunal, l’organe des règlements des différends, permettant à un pays qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre de déposer plainte contre celui-ci, puis de prendre des sanctions de représailles si son cas est reconnu valable. Il y a actuellement 157 membres (en comptant l’Union européenne) et 26 États observateurs susceptibles d’entrer dans l’association dans les prochaines années.
(En anglais : World Trade Organization, WTO)
". La Cnuced n’a pas à jouer dans la cour de ces "grands". Elle ne doit pas leur jeter de l’ombre.
Cela ne doit pas étonner. Voici peu, dans une interview accordée à L’Humanité, 25 octobre 2011, Heiner Flassbeck, chef économiste de la Cnuced, a eu des propos qui bousculent assez les récits qu’on entend en général de la bouche de hauts responsables du bloc occidental [3]. Le surendettement des États ? Il est, assène-t-il, "la conséquence de la crise d’un système bancaire inepte". Les politiques d’austérité ? Elles sont contre-productives et néfastes – et Flassbeck de désigner la politique allemande de compression des salaires et de réduction des dépenses publiques comme étant "à l’origine des graves déséquilibres d’aujourd’hui en Europe". Même tonalité lorsqu’il s’agit de l’emballement des prix alimentaires : il est dû, dit-il, à la spéculation
Spéculation
Action qui consiste à évaluer les variations futures de marchandises ou de produits financiers et à miser son capital en conséquence ; la spéculation consiste à repérer avant tous les autres des situations où des prix doivent monter ou descendre et d’acheter quand les cours sont bas et de vendre quand les cours sont élevés.
(en anglais : speculation)
, "une machine à produire des prix erronés".
Au sujet des salaires, Flassbeck va également à contre-courant. Ils ne doivent pas, comme pense "l’immense majorité des économistes", être "un produit du marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
", ils ne "sauraient être un simple produit d’échange". Et lorsque, enfin, il commente la multiplication de manifestations populaires contre les politiques d’austérité, Flassbeck sera carrément cruel dans son analyse : "Je pense qu’il est important que les gens manifestent leur indignation. Car les dirigeants politiques restent sourds. C’est peut-être aussi une question de rapport de forces. Quoi qu’il en soit la démocratie ne fonctionne plus normalement."
C’est un langage que le bloc occidental – ses élites dirigeantes – n’aime pas entendre. Et cela explique bien des choses. Le langage que tiennent le Fonds monétaire international
Fonds Monétaire International
Ou FMI : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce est, à peu de choses près, interchangeable. Il plait au bloc occidental et c’est assez naturel car ces grands machins sont des créations de ce bloc (la communauté internationale minoritaire, pour mémoire). Voici peu, le 28 mars 2012, la Banque mondiale a ainsi bruyamment communiqué autour de la lutte contre la corruption [4], un de ses thèmes chéris – et du bloc occidental, car lorsqu’il est question de corruption, ce n’est jamais Paris, Washington ou Londres qui sont visés, mais Kinshasa, Kampala, Beijing ou Delhi.
Persona non grata
La Cnuced, c’est différent. Elle a une toute autre origine. C’est un des rares lieux, bénéficiant d’un certain prestige et d’une réputation de sérieux scientifique, où s’exprime un discours amical aux préoccupations et aux positions des pays du Tiers-monde. On les appelle parfois "pays du Sud" ou encore "pays en développement" : l’idée de chambouler la nomenclature en distinguant au sein de ces derniers des "économies émergentes" passe mal chez eux, on l’a vu. A ce compte, pourquoi ne pas aussi subdiviser de la même manière l’autre bloc, celui des pays développés, qui compterait dès lors des "économies déclinantes" ? Cela dit en passant.
Car le problème ici, et on le voit bien, c’est la possibilité d’une contestation, à armes égales, de l’infaillibilité des thèses soutenues au plan mondial par la communauté internationale (comprendre : le bloc occidental). Si la Cnuced accède demain au même statut de référence que celui dont jouit la BM (Banque mondiale), le FMI
FMI
Fonds Monétaire International : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
(Fonds monétaire international et l’OMC
OMC
Organisation mondiale du Commerce : Institution créée le 1er janvier 1995 pour favoriser le libre-échange et y ériger les règles fondamentales, en se substituant au GATT. Par rapport au GATT, elle élargit les accords de liberté à des domaines non traités à ce niveau jusqu’alors comme l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les investissements liés au commerce… En outre, elle établit un tribunal, l’organe des règlements des différends, permettant à un pays qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre de déposer plainte contre celui-ci, puis de prendre des sanctions de représailles si son cas est reconnu valable. Il y a actuellement 157 membres (en comptant l’Union européenne) et 26 États observateurs susceptibles d’entrer dans l’association dans les prochaines années.
(En anglais : World Trade Organization, WTO)
(Organisation mondiale du commerce), le risque de contradiction dans la caution scientifique des politiques censées faire consensus va considérablement s’accroître. On entendra régulièrement des remarques de ce genre : "Le FMI a dit cela ? C’est exact, mais la Cnuced dit le contraire."
Le réveil du Sud ?
On n’en est pas là. Comme Robert Wade fait à juste titre remarquer dans son courrier au Financial Times, il manque au G77 (la communauté internationale majoritaire) l’unité de vue et d’action dont fait preuve le bloc occidental. A l’exception de l’Afrique du Sud, note-t-il, les autres pays "Brics" (Brésil, Russie, Inde et Chine) "sont restés largement passifs" devant l’affaiblissement de la Cnuced.
En même temps, cependant, ce sont les mêmes pays "Brics" – à eux seuls, 40% de la population mondiale – qui, le 29 mars 2012, ont clôturé leur quatrième sommet à Dehli sur une déclaration annonçant la création d’une "South South Bank" (banque Sud Sud) aux fins de "contourner le FMI et la Banque mondiale et de s’extirper peu à peu de la dépendance vis-à-vis du dollar, monnaie
Monnaie
À l’origine une marchandise qui servait d’équivalent universel à l’échange des autres marchandises. Progressivement la monnaie est devenue une représentation de cette marchandise d’origine (or, argent, métaux précieux...) et peut même ne plus y être directement liée comme aujourd’hui. La monnaie se compose des billets de banques et des pièces, appelés monnaie fiduciaire, et de comptes bancaires, intitulés monnaie scripturale. Aux États-Unis et en Europe, les billets et les pièces ne représentent plus que 10% de la monnaie en circulation. Donc 90% de la monnaie est créée par des banques privées à travers les opérations de crédit.
(en anglais : currency)
internationale commune de fait." [5]
Ce n’est sans doute pas encore la manifestation éclatante d’un "second réveil du Sud" que l’économiste tiers-mondiste Samir Amin appelle de ses voeux [6], mais on peut y voir les prémisses... Le Cnuced XIII de ce mois d’avril, à Doha, sera tout sauf routinier. Il faudra lire avec attention les déclarations qui y seront faites.