Le langage de la Coopération internationale parle donc désormais de "state building" et de "social engeneering". En français, construction d’États et ingénierie sociale. En réalité, ce n’est pas neuf. L’idée était présente déjà en 1992 lorsque le secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros Ghali, en redéfinissait les missions dans son Agenda pour la paix – période d’après-guerre froide oblige : deux ans plus tôt le président Bush 1er, USA, avait édicté son nouvel ordre mondial et il fallait s’adapter. Y compris dans le cadre de la Coopération internationale où les "nouvelles stratégies internationales de lutte contre la pauvreté", tirant les leçons de l’échec du consensus de Washington fondé sur le retrait de l’État, faisaient le constat qu’une certaine "dose d’État" était nécessaire pour assurer un bon "climat d’affaires". L’évolution est bien mise en perspective, sous la plume de François Polet, dans la dernière livraison d’Alternatives Sud (vol. 19, 2012) intitulée "(Re-)construire les États, nouvelle frontière de l’ingérence" (Cetri, 180 pages, 13 euros). On ne s’y arrêtera ici que pour en relever certains traits, car la tendance dominante consistant à considérer les nations du Sud comme autant d’États-Lego, malléables à volonté, n’est pas sans rapport avec le discours que développent, souvent à leur insu, les ONG. L’État idéal au Sud (reconstruit de toutes pièces, comme un Lego) est en effet celui qui répond aux exigences de "bonne gouvernance", qui met en œuvre une "gestion axée sur les résultats", qui s’épanouit grâce à une "société civile indépendante" et une "économie de marché" – et, cerise sur le gâteau, qui troque le principe de souveraineté contre celui de la "responsabilité de protéger", un retournement sémantique, promu par Condoleeza Rice (fer de lance de la politique étrangères des USA 2005-2009), qui aboutit à considérer la souveraineté non plus comme un droit, mais comme un devoir – imposé de l’extérieur, cela va de soi, par les grandes puissances. Une recolonisation renforcée pour appeler un chat, un chat : les conditionnalités, de financières, seront désormais, en sus, "démocratiques". Et les États du Sud, une affaire "d’import-export institutionnel" pour reprendre le bon mot de Polet : au Sud, le rôle d’exporter à bon prix ses ressources naturelles et, en échange, au Nord celui d’exporter ses pièces de Lego étatiques politiquement correctes. Il y a ici des trucs qui devraient faire tiquer les ONG...
(Présentation du livre publié par le Cetri : http://www.cetri.be/spip.php?rubrique136&lang=fr )