La société civile. Avis de recherche
Il en va de la société civile comme du mouton à cinq pattes. Beaucoup en ont entendu parler. Personne ne l’a vu.
C’est vrai de tous les concepts. Leur définition, mouvante, évolutive, prend place dans l’affrontement des idées.
La société civile est une donnée qui n’est objective ni neutre. Régis Debray a eu à son sujet une pensée désobligeante : « Société civile, c’est en jargon moderne, « la bonne société » d’antan. Les « autorités sociales » de 1900. Les « importants » d’Alain. Les « escarpins » de Thibaudet. Les plateaux télévisés des soirées électorales, où l’on est sûr de ne pas rencontrer de fleuriste, de cordonnier, de pompiste ou de boulanger. Bref, les nouveaux notables. » (in Que vive la République, 1989). L’avis est tranché. Il a le mérite de rappeler que la notion — comme toute chose de l’esprit guettée par le politiquement correct aujourd’hui — ne fait pas l’unanimité. Et qu’il faut faire attention de ne pas rester à sa surface, qu’on sait séduisante.
C’est heureux.

Fidèle à sa tradition d’interprétation critique et de proposition structurante, le GRESEA a choisi d’y consacrer un dossier et, ainsi, d’apporter sa pierre à la construction d’une réflexion sur les voies et moyens de l’altermondialisation et de l’antimondialisation, réflexion considérée par tous comme urgente. A cela, il y a au moins deux raisons.

La première est que ce qu’on appelait naguère « l’associatif » a, contrairement au mouton à cinq pattes, gagné en visibilité. De Seattle à Gênes en passant par Porto Alegre, la société civile a, massivement, pris possession de la rue. Cela ne passe pas inaperçu. Les photos ont fait le tour du monde et le fait a été commenté dans tous les sens : mais que veulent tous ces gens ? Ils ne veulent pas de l’horreur économique. Bigre...

La seconde est que, par des chemins qui ne sont pas tous désintéressés ou tracés dans la clarté, cette société civile est de plus en plus appelée à prendre part à des processus de décision, tant au plan national qu’européen. Et ce au détriment d’autres acteurs, notamment syndicaux, qui voient ainsi se détériorer un rapport de forces qui leur était déjà défavorable. L’observation est vraie également dans la perspective Nord-Sud : là où bien souvent le Nord a exporté sa notion de l’Etat afin de disposer d’un interlocuteur dont les ressorts lui sont familiers, il impose désormais la présence, au rang de partenaire de la coopération au développement, d’une société civile aux couleurs locales. L’enjeu n’est pas mince.

La réflexion est urgente. L’associatif n’est jamais que la première phase de l’organisation puis de la structuration d’un fait social. Il est une nébuleuse émergente. Dans le kaléidoscope des pages qui suivent, il ira sous les noms de constellations, de puzzles et, même, de féodalités. Car, en cherchant à refaire ce que des associations plus anciennes ont tenté avant eux — refaire le monde, quoi d’autre ? —, elles vont courir le risque de reproduire ce qui, chez leurs aînées, les avaient détournées d’elles. Des structures ossifiées, une autonomie perdue.

L’autonomie est, dans la notion de société civile, un élément clé. Une nécessité vitale. Une condition d’existence. On méditera, à cet égard, les paroles d’un grand sceptique de l’avènement de l’homme moderne, Louis Dumont : « L’idéal de l’autonomie de chacun s’impose à des hommes qui dépendent les uns des autres sur le plan matériel bien davantage que tous leurs devanciers. Plus paradoxalement encore, ces hommes finissent par réifier leur croyance et s’imaginer que la société toute entière fonctionne en fait comme ils ont pensé que le domaine politique créé par eux doit fonctionner. » (in Homo hierarchicus, 1966). Le point de vue, à nouveau, tient de la douche froide. Ce n’est qu’un pan des conditions d’existence des sociétés — et de la nécessaire, et lucide, construction des utopies solidaires. Cette réflexion nous engage toutes et tous.

Sommaire :

  • De quelques réflexions sur la société civile et l’Altermondialisme (René De Schutter)
  • Réflexions sur Gênes : les points forts et les problèmes du Mouvement (Luciana Castellina)
  • Amérique latine : la société civile en ébullition (Benito Martinez)
  • Afrique : les mouvements sociaux et l’Etat (B. Carton et B. Lahouel)
  • Les mouvements sociaux en Inde (Mathew Kayany)
  • Porto Alegre II : mondialisation des résistances (François Houtart)
  • Société civile, société politique (Denis Horman).

 

Pour consulter la revue en ligne : https://issuu.com/gresea/docs/ge33-34

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