Chaque année, la République démocratique du Congo attire l’attention au Mining Indaba, la rencontre africaine des entreprises minières à Capetown. Cette année le ministre des Mines, Martin Kabuelulu y a annoncé que son pays abandonnait la révision de son Code minier. Le patronat et ses porte-paroles sont heureux : « Pas de hausse des taxations sur nos activités onéreuses, quel soulagement. » La RDC est-elle en train de reculer définitivement sur ce front ?


Le Code minier balise l’espace dans lequel les entreprises minières opèrent, définit les droits et devoirs du gouvernement et des opérateurs du secteur. Il a aussi pour fonction de garantir un cadre juridique stable aux investisseurs et fixe les montants que les entreprises doivent régler à l’État pour extraire les minerais du sous-sol national.

L’actuel Code minier de la République démocratique du Congo est en vigueur depuis 2002. Lorsqu’il a été promulgué, les parties prenantes s’étaient entendues sur une durée de dix ans avant une nouvelle réforme. Le Code aurait donc pu être modifié à partir de 2012. C’est ce qui s’est passé : des discussions ont en effet commencé en tripartite, entre les entreprises minières, le gouvernement et des organisations de la société civile, pour adapter le Code au nouvel environnement économique et politique du Congo.

 Profits en déséquilibre

Une révision du Code minier au Congo n’est jamais dénuée de signification. Le pays possède en effet d’importantes réserves de minerais et de métaux de base. Il est le premier producteur de cuivre en Afrique et produit la moitié du cobalt (matériau de base utilisé pour des batteries rechargeables notamment) du monde. Il extrait également du zinc, de l’or, du diamant et des « métaux technologiques » comme le tantale (dans le « coltan ») et l’étain (dans la « cassitérite »). Ces marchés prospèrent depuis les années 2000, en bonne partie du fait de la demande chinoise. Mais au Congo, les faveurs accordées sont rarement mises en balance avec les profits qu’en retirent les pays.

Le Code a été rédigé à un des moments les plus difficiles de l’histoire du pays, pendant la guerre qui a suivi la fin de la dictature du maréchal Mobutu. Pour attirer les investisseurs internationaux, le Congo a dû se plier à leurs besoins et rendre attractif le « climat des affaires ». Les rapports entre le pays et les investisseurs étaient alors asymétriques, et en défaveur de l’État. Le juriste américain John P. Williams a décrit en 2013 le Code congolais comme l’un des « meilleurs en Afrique ». [1] Williams, du cabinet d’avocats Duncan & Allen de Washington, s’est spécialisé dans les législations minières depuis 1989 et a assisté la Banque mondiale en tant que consultant sur cette matière. Il est co-auteur du Code minier du Congo, avec des juristes congolais. Leur texte a permis aux entreprises de développer leurs activités en toute sérénité depuis 2002.

Ce fait a été reconnu en octobre dernier par Norbert Toé, chef de mission du Fonds monétaire international pour le Congo. « Le Code minier de 2002 est trop généreux et le gouvernement n’y gagne pas beaucoup », a déclaré ce haut fonctionnaire. La raison ? « Le secteur minier agit comme une enclave. Le capital entre, il exploite la ressource naturelle, il l’exporte et rapatrie les profits. Ce qui reste dans le pays est la taxation par le gouvernement ». Mais Toé dit, une fois de plus : « it’s not that much », le pays n’y gagne pas beaucoup. [2] On comprend pourquoi le gouvernement a voulu améliorer le Code.

Les organisations de la société civile (OSC) ont elles aussi leur position sur la question. Pour elles, la transparence fait dramatiquement défaut, du côté des autorités comme des entreprises. Ces organisations n’ont pas compris pourquoi le gouvernement avait retiré en mars 2015 le projet de loi de révision du Code, et espèrent que le projet sera introduit pour discussion à l’Assemblée parlementaire en mars 2016. [3]

 Trop pénible, selon les entreprises

Les OSC mettent aussi la gestion de l’État en question. Pour elles par exemple, l’État n’est toujours pas en mesure de voir clair dans le secteur. Leur scepticisme a été renforcé par le cas de l’entreprise KCC au Katanga. Ses mines de cuivre et de cobalt ont été mises à l’arrêt en septembre dernier sur ordre de l’entreprise minière suisse Glencore, selon elle pour faire des travaux de modernisation). Glencore possède l’entreprise Katanga Mining, qui a son tour est l’actionnaire majoritaire (avec 75 pour cent du capital) de KCC. Or, KCC avait près de 3 milliards de dollars de dettes envers Katanga Mining / Glencore en juin 2015. À part le fait que Glencore se comporte comme un usurier, des organisations congolaises ont dénoncé les licenciements de travailleurs et demandé comment KCC pourra rembourser une telle dette si sa mine à Kolwezi ne produit plus rien pendant dix-huit mois comme cela a été ordonné par Glencore.
Cet exemple illustre la thèse de Norbert Toé du FMI selon laquelle les entreprises minières étrangères peuvent agir dans leurs enclaves à leur guise sans être perturbées par les pouvoirs publics. D’aucuns y verront un argument supplémentaire pour réglementer plus fermement leurs activités dans un nouveau Code minier.

Mais les entreprises ne sont pas du même avis. Nous l’avons déjà montré avec notre documentaire ‘Avec le vent’ et le dossier qui l’accompagne [4]. On peut observer la manière dont des chefs d’entreprises étrangères s’opposaient en 2013 contre la mise en place d’un nouveau Code, plus strict. Représentés par la Chambre des Mines, ils n’ont pas renoncé à leur lobbying.

Au contraire, tout au long de l’année 2015, alors que les discussions sur le Code étaient au point mort, les patrons miniers redoublaient d’agressivité [5]. La Chambre des Mines avait alors « confiance » dans le fait que ses objections seraient intégrées par le gouvernement. La forte baisse des prix des métaux lui a donné le prétexte rêvé pour clamer la nécessité du report de la révision du Code minier. « Mieux vaut une législation minière attractive qu’agressive », écrivent les patrons dans leur dernier rapport annuel [6].

 Que veut le gouvernement ?

À première vue, le 10 février dernier à Capetown, le ministre des Mines Kabuelulu a cédé aux demandes patronales. Le texte du discours du ministre, transmis à l’agence de presse AFP, explique : « A ce jour, il convient de noter qu’au regard du contexte général du secteur minier, le gouvernement a opté pour le maintien du Code minier et de ses mesures d’application, actuellement en vigueur, pour régir le secteur minier de la République Démocratique du Congo ». Le gouvernement renonce-t-il définitivement à la révision du Code minier de 2002 ? C’est la confusion. L’agence de presse américaine Bloomberg cite le ministre ainsi : « Nous ne pouvons pas ajouter à la crise dans laquelle nous sommes. Toute cette année sera très difficile à cause des prix des matières premières et de l’énergie. » [7] Mais l’agence AFP poursuit : « M. Kabwelulu n’a pas dit clairement que son gouvernement avait définitivement remis son projet de réforme du Code minier. Pressé par l’AFP d’apporter des précisions sur les intentions de l’exécutif, un responsable ministériel n’a pas souhaité faire de commentaire. » [8] Mais Valery Kassa, le directeur de Cabinet du ministre des Mines, spécifie dans un courriel adressé à l’ONG Global Witness que rien ne change : le Code de 2002 restera en vigueur jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un nouveau Code. Le gouvernement n’a pas donc pas renoncé à la révision. [9]

Pour la Chambre des Mines, l’affaire est quasi close. La Chambre, par la voix du chef d’entreprise et ancien ministre Simon Tuma-Waku, applaudit immédiatement les propos du ministre Kabuelulu. « Le gouvernement s’accorde avec nous sur le fait qu’il serait dangereux de toucher au Code minier », dit-il à Bloomberg. Tuma-Waku souligne en même temps que le projet d’amendement du Code peut être ravivé ultérieurement « parce qu’il est au Parlement » [10]. Pourtant, dans les jours qui suivent les tweets sont dominés par le sensationnel. La revue Jeune Afrique donne le ton : « La RDC renonce à modifier son Code minier ».

Certains prennent leurs rêves pour un acquis. Dans le même temps, le gouvernement congolais n’apporte pas de son côté toute la clarté nécessaire. Cinq jours après Capetown, « la troïka stratégique » se réunit à Kinshasa. Elle rassemble le Premier ministre Augustin Matata Ponyo et le Gouverneur de la Banque centrale accompagnés des ministres de l’Économie, des Finances, du Budget (et exceptionnellement le ministre des Sports, puisqu’une semaine avant les Léopards, l’équipe nationale de football ont remporté le Championnat d’Afrique des Nations lors de la finale à Kigali). Le ministre de l’Économie aurait alors déclaré prendre acte de la déclaration de son collègue des Mines, ce qui implique donc que « la RDC continue à légiférer sur base de l’ancien Code minier » [11].

 Aucune raison pour traîner

Au sein de la société civile congolaise, on veut que « la tripartite » soit rouverte. Huit organisations l’ont urgemment demandé dans une lettre au Premier ministre. Henri Muhiya de la Commission Episcopale pour les Ressources Naturelles (CERN) est un des signataires. Nous l’avons joint par téléphone à Kinshasa. « Nous avons assez avancé avec la tripartite, sur l’environnement, le développement local, la transparence et même la fiscalité », nous dit Mr Muhiya, « nous ne pouvons pas jeter ce travail par la fenêtre ».

Mais des dossiers épineux doivent trouver une solution. Henri Muhiya en cite deux. Il règne tout d’abord une ambiguïté sur les droits miniers. Certaines entreprises minières sont toujours soumises à des conventions avec l’État et bénéficient dans ce cadre d’exonérations fiscales. C’est apparemment le cas de l’entreprise Banro qui exploite de l’or dans la province du Sud Kivu. Mais les entreprises qui sont dans le cadre du Code minier ne bénéficient pas de ces exonérations. Il faudrait donc équilibrer cette situation.

Les prix bas des minerais ne justifient pas que la révision du Code soit reportée. Henri Muhiya explique : « Les modifications au Code ne seront d’applications que dans dix ans. Cela est explicité dans l’article 276 du Code et le ministre des Mines l’a répété dans une note de présentation ». Cette « garantie de stabilité » vaut pour toute modification sauf pour les redevances à payer par les entreprises minières. « Mais pour les redevances nous avions trouvé un consensus dans la tripartite », dit Mr Muhiya.

Il faut accroître la contribution du secteur minier au budget de l’État, ont écrit les organisations dans leur lettre au Premier ministre. La réforme minière est urgente, « tenant compte de l’importance du secteur minier à l’économie nationale, du caractère non renouvelable des ressources minières et du déséquilibre dans la répartition des revenus issus de l’exploitation entre les entreprises extractives et la RDC ». La lettre date du 4 février [12]. Les organisations attendent une réponse.

 


Pour citer cet article :

Raf Custers, "La réforme minière au Congo menacée d’enlisement", Gresea, mai 2016, texte disponible à l’adresse :
[http://www.gresea.be/spip.php?article1503]


Notes

[1La Révision du Code minier. Promines finance les travaux de l’Atelier tripartite sur le Code minier, Promines, Kinshasa, novembre 2013.

[2Norbert Toé dans IMF Survey : « The mining sector in particular and the natural resource sector in general act as an enclave industry. Capital comes in, they exploit the natural resource, take it out as exports, and the profits get repatriated. So basically what is left in the country is the taxation that the government gets. But again, the 2002 Mining Code is overly generous, so in terms of what the government is getting, it’s not that much. ». Cité dans : The Democratic Republic of the Congo Scores High on Growth, Lags in Poverty Reduction, IMF Survey, 13 octobre 2015.

[3Déclaration des organisations de la société civile impliquées dans le processus de révision du Code minier et l’évaluation du contexte du secteur minier en RDC, 10 novembre 2015, publié sur congomines.org

[4Avec le vent. Comment les Congolais vivent avec les mines et l’investissement étranger, documentaire réalisé par Raf Custers, production GRESEA/Films de la Passerelle, 35 minutes, 2013. http://www.gresea.be/spip.php?article1335

[5Voir : Custers, Raf & Gelin, Romain, Congo : les patrons miniers de plus en plus agressifs, 3 juin 2015 http://www.gresea.be/spip.php?article1382

[62015. DRC Mining industry. Annual Report, Chambre des Mines-Fédération des entreprises du Congo, février 2016.

[7« We can’t add to the crisis we are in,” Mines Minister Martin Kabwelulu said in an interview in Cape Town, explaining why the government won’t push through proposed changes to the mining code. “This whole year will be very difficult because of commodity prices and our energy prices. », cité par : Wild, Franz & Wilson, Tom, Congo Abandons Mining-Code Changes Amid Industry Gloom, Bloomberg, 10 février 2016.

[8RDC : le patronat salue l’annonce gouvernementale d’un maintien du code minier, AFP, 10 février 2016, via Romandie.com.

[9Congo government says still plans to change mining code, Reuters, 11 février 2016.

[10Wild, Franz & Wilson, Tom, O.c.

[11Réunion de la troïka stratégique, GroupeLAvenir, Fév 16, 2016

[12Relance de l’examen du projet de loi portant révision du Code minier au Parlement pour la session de mars 2016. Lettre au Premier ministre, Comité de coordination des organisations de la société civile sur les travaux du Code minier, Kinshasa, 4 février 2016.