La boulette de Rogoff et Reinhart, deux stars du scientisme économique, a fait le tour de toute la presse. Elle mérite d’être gardée en mémoire. Cas d’école. Pour mémoire, nos deux économistes de Harvard (États-Unis) avaient produit un papier tendant à démontrer que trop de dette publique Dette publique État d’endettement de l’ensemble des pouvoirs publics (Etat, régions, provinces, sécurité sociale si elle dépend de l’Etat...).
(en anglais : public debt ou government debt)
nuit : si elle dépasse 90% du produit intérieur brut Produit intérieur brut Ou PIB : Richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
, la croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
d’un pays diminuera brutalement, et immanquablement. L’étude sera publiée en 2010 dans une revue prestigieuse et elle tombera à pic. Juste comme la Grèce se voyait enfoncée dans le marasme et que la "Troïka" (triumvirat) allait lui tomber dessus avec ses recettes d’austérité radicales. Rogoff et Reinhart venaient en appui et serviront d’argument d’autorité pour justifier l’injustifiable, ce déjà sur le plan théorique : leur thèse revenait en effet à prétendre, par une inversion fantastique des enchaînements, que la dette est source de récession Récession Crise économique, c’est-à-dire baisse du produit intérieur brut durant plusieurs mois au moins.
(en anglais : recession ou crisis)
alors que, d’évidence, c’est le contraire [1] qui se produit, comme viendra souligner Catherine Mathieu de l’Observatoire français des conjonctures économiques [L’Humanité, 23 avril 2013]. C’est cependant l’étude Rogoff et Reinhart qui fera foi, au point de voir se qualifiée comme "l’analyse économique ayant eu le plus d’influence ces dernières années" à entendre Paul Krugman [International Herald Tribune, 20 avril 2013]. Et ce, soulignera Krugman, grâce à l’artifice, classique dans la propagande ordinaire, consistant à présenter une thèse agréable à la pensée unique comme venant "des économistes" (tous, en bloc) et non de "certains économistes" voire, mieux, de "quelques économistes vigoureusement contestés par d’autres économistes d’une égale réputation". Mais, donc, patatras, Rogoff et Reinhart avaient tout faux. Trois économistes d’une autre université ont refait les calculs du tandem et – boulette suprême – y ont détecté des erreurs de la taille du porte-avions. Il y a plus gênant. Comme Adrien De Tricornot le signalera, sans en relever le scandaleux, Rogoff et Reinhart ont produit, deux ans plus tard, 2012, une autre étude allant à contre-courant de leur travail antérieur en affirmant, cette fois, qu’on ne constate pas de récession associée à 90% de dette – mais, là, "cela n’a hélas pas fait grand bruit" [Le Monde, 23 avril 2013], ni dans les technostructures de l’austérité [2], ni de la part de Rogoff et Reinhart... Certaines thèses percent, d’autres pas, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures pour comprendre pourquoi.

Notes

[1En général, pas nécessairement.

[2C’est avec un plaisir assassin que, le 24 avril 2013, le président du PS belge, Paul Magnette, a retweeté une info du journal De Morgen faisant état des pressions exercées par la Commission européenne sur la Belgique en s’appuyant... sur l’étude foireuse du couple Rogoff-Reinhart. Pour lire cela dans le texte, courrier d’Ollie Rehn du 13 février 2013, c’est à la page 3, avant-dernier paragraphe : le seuil des 90%, "largement reconnu (et) basé sur une recherche sérieuse" (sic) : http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/rehn/documents/cab20130213_en.pdf