Par un communiqué de presse commun, des organisations syndicales (CGT – CFDT) et associatives françaises ont salué le 23 mars dernier l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance [1]permettant de contraindre les multinationales à veiller au respect des droits humains et de l’environnement dans les filières. Cette loi est un premier pas historique dans l’instauration d’une certaine forme de responsabilité des firmes multinationales. La France devient donc le premier pays dans le monde à adopter une telle réglementation.
Alors que cette avancée législative a été saluée par de nombreuses organisations syndicales et associatives notamment réunies dans le forum français et citoyen pour la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) [2], le patronat français [3].
Elles devront établir un plan de vigilance qui précise les modalités et les moyens par lesquels ces multinationales vont devoir veiller au respect des droits humains et de l’environnement.
Ce que contient le plan de vigilance :
- 1° une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;
- 2° des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;
- 3° des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
- 4° un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;
- 5° un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité.
Ce plan concerne l’ensemble des filiales [4] mais aussi des sous-traitants [5] de la maison mère, qui entretiennent avec elles une « relation commerciale établie » [6], autrement dit, pour la première fois, c’est l’ensemble de la filière qui est concernée.
L’élaboration du plan de vigilance
« Le plan a pour vocation d’être élaboré en association avec les parties prenantes [7] de la société, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale ».
Si la définition de « parties prenantes » est relativement imprécise, nous considérons qu’elle inclut :
- les organisations syndicales de la société donneuse d’ordres ou société mère seront associées à des concertations sur le plan de vigilance ;
- les organisations syndicales des filiales et des sous-traitants ;
- les ONG présentes sur les territoires de l’activité de l’entreprise ;
- les clients de l’entreprise ;
- l’environnement qui entoure l’activité de l’entreprise de sa maison mère aux sous-traitants (populations, territoires etc.).
La notion de parties prenantes, plus large que les seuls partenaires sociaux, met en lumière le fait qu’interviennent à divers titres auprès des entreprises ou dans leur environnement une diversité d’acteurs, en particulier les ONG dont l’action
Action
Part de capital d’une entreprise. Le revenu en est le dividende. Pour les sociétés cotées en Bourse, l’action a également un cours qui dépend de l’offre et de la demande de cette action à ce moment-là et qui peut être différent de la valeur nominale au moment où l’action a été émise.
(en anglais : share ou equity)
est souvent complémentaire de celle des organisations syndicales. Néanmoins, les organisations syndicales implantées au cœur des entreprises et représentant les travailleurs jouent un rôle clé en matière de prévention des risques, comme le droit l’alerte alerte en cas de possibilité d’atteinte à la santé des travailleurs ou en cas de violation des droits du travail. Le plan de vigilance pouvant être considéré comme un plan de prévention des risques, les organisations syndicales sont donc centrales dans le dispositif introduit par la loi français. Cela conduit naturellement à ce que la responsabilité sociale des entreprises devienne à l’avenir un sujet de négociation collective comme les salaires ou la santé et la sécurité.
Nous considérons qu’à l’avenir, les plans de vigilance devront donc être négociés avec les organisations syndicales avec les syndicats du siège mais aussi avec les syndicats des sous-traitants et des fournisseurs ; et lorsque ces fournisseurs sont disséminés dans plusieurs pays en faisant intervenir les fédérations syndicales des secteurs concernés comme IndutriAll ou ITF.
Les organisations qui sont confrontés, ou appartiennent, à des entreprises dont le donneur d’ordres est français peuvent prendre toute leur place dans la discussion et l’élaboration des plans de vigilance. À l’échelle internationale, cette collaboration peut se faire :
- dans le cadre des instances de représentation du personnel comme les comités d’entreprises,
- à l’échelle d’un territoire dans un cadre multipartite (ONG, collectif d’habitants, syndicats etc.)
Les outils pour faire respecter le plan de vigilance
Les mécanismes juridiques :
- Le respect du plan de vigilance : en cas de non-respect, il est possible de saisir le juge pour mettre en demeure l’entreprise de respecter son plan de vigilance. Si celle-ci est infructueuse et dans un délai de 3 mois, le juge pourra, sous astreinte, contraindre l’entreprise à adopter les moyens nécessaires pour le respect de son plan de vigilance.
- En cas de carence de ce plan ou de manquements dans sa mise en œuvre, le juge pourra être saisi par « toute personne ayant intérêt à agir », ce même pour des dommages qui sont survenus à l’étranger, et exiger des dommages et intérêts
Intérêts
Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest) réparateurs au préjudice subi.
Les organisations syndicales françaises, de manière la plus unitaire possible, ayant intérêt à agir pour autrui, pourront donc engager des actions en justice pour obliger les multinationales à respecter les engagements pris.
NB : il s’agit donc d’une obligation
Obligation
Emprunt à long terme émis par une entreprise ou des pouvoirs publics ; il donne droit à un revenu fixe appelé intérêt.
(en anglais : bond ou debenture).
de moyens imposée à l’entreprise et sa responsabilité ne sera engagée qu’en cas de non-respect du plan de vigilance qu’elle s’est elle-même fixée.
Les outils politiques :
- Le plan de vigilance constitue une négociation importante entre les directions d’entreprise et les parties prenantes, que nous accompagnerons de campagnes syndicales appuyées sur du « naming » et du « shaming » pour obtenir des engagements les plus contraignants possibles et les faire respecter.
- Le plan de vigilance sera présenté annuellement dans le cadre du rapport extra-financier. Les instances représentatives du personnel françaises et internationales (comité d’entreprise européen) seront donc une étape importante dans notre démarche syndicale.
Contacts France :
– CGT : Marthe CORPET, conseillère confédérale, m.corpet cgt.fr
– CFDT : Frédérique LELLOUCHE, secrétaire confédérale, flellouche cfdt.fr
– UNSA : Emilie TRIGO, secrétaire nationale, emilie.trigo unsa.org
– FO : Andrée THOMAS, secrétaire confédérale athomas force-ouvriere.fr / Marjorie ALEXANDRE, assistante confédérale, malexandre force-ouvriere.fr
– CFE-CGC : Anne-Catherine CUDENNEC, déléguée confédérale, annecatherine.cudennec cfecgc.fr
– CFTC : Geoffroy DE VIENNE, conseiller du Président, geoffroy.devienne sfr.fr
– FSU : Julien RIVOIRE, julienrivoire93 gmail.com
– SUD : Stéphane ENJALRAN, secrétaire national senjalran solidaires.org
Genève, le 14/06/2017