La marchandisation de nos sociétés, et les inégalités d’accès à de nombreux biens et services fondamentaux doivent nous inciter à penser d’autres formes d’organisation de l’économie. La gratuité, en tant que construction politique ayant largement fait ses preuves (école, sécurité sociale...), mériterait ainsi d’être pensée plus largement, dans l’optique d’un monde moins exclusif et prédateur de son écosystème, où le commun prime sur la compétition. Quelques éléments de réflexion sur ce concept si familier, mais trop peu débattu, dans le Gresea Echos n°102
Édito : La gratuité : révolutionnaire ?
La gratuité a toujours existé et régi de larges pans de nos vies et de nos relations sociales qu’elles soient familiales, amicales, amoureuses, spirituelles, au travers du don, de l’entraide, ou dans l’accès aux ressources offertes par la nature comme le soleil ou l’air…
S’il est important de rappeler que la gratuité a été la norme des sociétés humaines pendant des millénaires, c’est aussi parce que nos sociétés contemporaines se « marchandisent », tant par la mise en marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
(recours à la concurrence, procédures contractuelles, accroissement de la part des entreprises lucratives, évaluation des performances…) que par la mise en marchandise
Marchandise
Tout bien ou service qui peut être acheté et vendu (sur un marché).
(en anglais : commodity ou good)
(rendre marchande une relation qui ne l’était pas auparavant) de nombreux biens et services [1].
Ce numéro du Gresea Échos vise justement à alimenter la réflexion autour de la gratuité comme alternative au rouleau-compresseur de la marchandisation. À travers plusieurs articles, nous tenterons d’apporter quelques éclairages sur la notion de gratuité, ses motivations et les domaines auxquels elle peut s’appliquer.
La gratuité peut évoquer les services publics, le partage, la solidarité, voire même des formes d’économie plus sobres en termes d’utilisation des ressources. Mais, elle peut aussi être mobilisée à des fins beaucoup moins altruistes. C’est cette ambivalence que nous aborderons dans les articles consacrés au numérique et aux formes particulières de travail gratuit ou non rémunéré, selon une perspective féministe.
Un autre objectif de ce numéro est de rappeler que la gratuité est d’abord une construction politique. À côté d’une gratuité « naturelle » - celle de respirer de l’air, de profiter du paysage ou de bronzer – s’est aussi établie une gratuité fondée sur les besoins collectifs, les communs et la reconnaissance du droit à chacun d’accéder à un certain nombre de biens et services de base. La gratuité est avant tout un acte politique.
Évidemment, les détracteurs de la gratuité ne manqueront pas de lever le lièvre : la gratuité ne fait pas disparaitre les coûts. En effet, elle ne les fait pas disparaitre, mais bien le prix d’accès. Personne ne viendrait remettre en cause l’idée de l’école gratuite sous prétexte que celle-ci a un coût : pour rémunérer les profs, disposer de salles de classe, les entretenir, fournir du matériel scolaire… Ces coûts ont en fait été socialisés, tout le monde y contribue par l’impôt selon ses moyens, sauf peut-être les praticiens de l’évasion fiscale. Nos sociétés ont reconnu que l’accès à l’enseignement était un droit fondamental et l’ont mis en pratique.
Le même principe pourrait aussi s’appliquer, avec des modalités probablement différentes, pour la reconnaissance de droits de base comme l’accès à l’eau, à la santé, au logement, à l’énergie, à la culture… Mais également pour en acquérir et en faire reconnaitre de nouveaux : droit à la mobilité, service
Service
Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
public funéraire, restauration scolaire de qualité, locale et gratuite, accès à la justice, etc., pour peu qu’ils soient formulés collectivement.
Notons également que la gratuité, et les questions qu’elle sous-tend, est aussi un levier pour donner la priorité aux valeurs d’usages sur les valeurs d’échange, au lien social sur le lien marchand, au bien-vivre plutôt qu’au lucre. Elle ouvre également le débat de la distribution et de la redistribution des richesses : – quel financement ? Qui doit contribuer ? À quelle hauteur ? Elle questionne enfin la démocratie : que doit-on rendre gratuit ? De quelle manière ? Comment le décide-t-on collectivement ?
Enfin, si la gratuité peut être porteuse de revendications, de combats et de victoires, rappelons aussi qu’elle n’est pas la panacée ni la solution à tous les problèmes de nos sociétés, mais plutôt un moyen d’opposer un récit concret, enviable et alternatif à celui de l’hyper-marchandisation d’une société de plus en plus inégalitaire et destructrice de son environnement. Elle porte, en ce sens, des germes révolutionnaires.
Sommaire GE102 ; juin 2020 ; 72 pages
Éditorial : La gratuité : révolutionnaire ?
Romain Gelin
Salariat, syndicalisme et gratuité ; Construire une civilisation de la gratuité
Paul Ariès
Aux racines du « travail gratuit » Des perspectives féministes
Natalia Hirtz
Gratuité des transports :d’abord une volonté politique
Romain Gelin
La gratuité en Belgique : flux et reflux
Romain Gelin
Droit à l’eau : la gratuité comme alliée ?
Romain Gelin
Gratuité et numérique :des relations ambigües
Cédric Leterme
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