Ce dimanche 16 mars, l’ASBL Centre Jean Gol organise une conférence intitulée « Javier Milei va-t-il sauver ou plomber l’Argentine ? » avec comme invités le président du MR, Nicolas Bouzou, directeur du cabinet Asterès, (régulièrement rémunéré par les entreprises du CAC 40 pour rédiger des études « positives ») et Nathalie Janson, économiste et professeur à la NEOMA Business School. Ces intervenant·es débâteront sur « les apprentissages » de l’expérience libertarienne argentine pour l’Europe. Un événement qui interpelle à plusieurs égards, notamment dans un contexte où l’image de Milei commence à s’effriter dans un pays où des concerts de casseroles aux cris de « qu’ils s’en aillent tous » font à nouveau vibrer les rues [1].

L’ASBL Centre Jean Gol a tout ce qu’il faut pour être caractérisée comme l’une des associations qui, selon les mots des Engagés et du MR, « roule pour des partis politiques » avec « l’argent des contribuables » [2]. En septembre dernier, la nouvelle majorité en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) avait même promis d’y mettre fin en affirmant « ne plus permettre à des ASBL de dévoyer de l’argent public pour des actions de promotion de partis politiques » [3]. Une promesse difficile à tenir par des partis politiques qui disposent de leurs propres ASBL afin de (pour reprendre les mots avec lesquels le Centre Jean Gol définit sa mission) « s’affirmer comme une force incontournable » [4]. En poursuivant sa mission, le Centre Jean Gol invite le président du parti qu’elle promeut pour intervenir dans le cadre d’un événement culturel public qui représente un cas exemplaire de ce que Georges-Louis Bouchez dénonce lorsqu’il s’attaque à la culture en l’accusant d’être « politisée » et « couteuse » [5].
Mais, au-delà de ces incohérences, une autre question est bien plus intéressante : pourquoi la droite francophone convoque-t-elle l’extrême droite argentine à la Foire du livre ? Une lecture rapide de l’invitation à cet événement nous permet de proposer quelques réponses à cette question et, en même temps, de démystifier certains propos tenus par les organisateurs dans la présentation de cette conférence dans laquelle on peut lire :
« L’Argentine a choisi la rupture avec Javier Milei. En 2024, ce pays était au bord de la faillite. Aujourd’hui, le budget est en excédent, l’inflation
Inflation
Terme devenu synonyme d’une augmentation globale de prix des biens et des services de consommation. Elle est poussée par une création monétaire qui dépasse ce que la production réelle est capable d’absorber.
(en anglais : inflation)
a été divisée par 2, le FMI
FMI
Fonds Monétaire International : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
prévoit une croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
de 5% et la dette a été ramenée de 155% à 91,5% du PIB
PIB
Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
. Comment expliquer cette performance ? Cette thérapie de choc l’a été au prix d’un licenciement massif de fonctionnaires et a augmenté le taux de pauvreté. Mais une majorité de la population soutient les réformes. Cette approche radicale suscite autant d’espoirs que d’inquiétudes. Son pari est-il viable ? Va-t-il réellement redresser son pays ou le plomber ? Qu’est-ce que la situation argentine peut nous apprendre en Europe ? Devons-nous, nous aussi, simplifier et rationaliser notre volumineux dispositif législatif et réglementaire pour mettre fin aux gaspillages, développer notre efficience et stimuler nos entreprises ? » [6]
Un pays « au bord de la faillite » en 2024 et une diminution de la dette en 2025 ?
Impossible de ne pas s’arrêter à chaque argument. Commençons par le premier propos : « En 2024, ce pays était au bord de la faillite ». Tout d’abord, il est important de souligner qu’un État ne peut pas faire faillite. Cependant, ce terme est habituellement utilisé pour faire référence à une situation où il ne peut plus assurer ses fonctions. En Argentine, le terme a été fortement utilisé pour désigner la crise de 2001, lorsque le Fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
Monétaire international (FMI) a refusé de livrer les sommes attendues par l’État argentin afin que celui-ci puisse continuer à rembourser sa dette. Face à cette situation, l’État argentin est entré en défaut de paiement auprès du FMI et le pays a connu une grave crise sociale, politique et économique.
En 2005, après deux ans de relance économique postérieure à la crise, le gouvernement décide de solder toute sa dette auprès du FMI [7]. Le pays n’a plus contracté de nouvelles dettes auprès de cet organisme jusqu’en 2018, lorsque le FMI a accordé un prêt de 57 milliards de dollars au gouvernement de droite de Mauricio Macri, une somme équivalant à plus de 80% du montant total des prêts accordés par cette institution au pays au cours des 40 années précédentes. En échange, le gouvernement s’est engagé à procéder à un ajustement structurel ambitieux qui a fortement impacté l’économie du pays avec comme conséquence une diminution du salaire réel moyen, une augmentation du chômage, de l’inflation et de la pauvreté. En décembre 2019, le retour du progressisme au gouvernement, représenté par le centriste Alberto Fernández (2019-2023), n’est pas parvenu à résorber cette situation. Inflation, diminution du salaire réel, chômage et pauvreté ont suivi leur ascension [8]. En 2022, le gouvernement Fernández signe avec le FMI un accord de rééchelonnement de la dette, conditionné, notamment, par une réduction du déficit public et des subventions à l’énergie ainsi qu’une hausse des taux d’intérêt
Taux d’intérêt
Rapport de la rémunération d’un capital emprunté. Il consiste dans le ratio entre les intérêts et les fonds prêtés.
(en anglais : interest rate)
et la dévaluation
Dévaluation
Baisse du taux de change d’une devise par rapport aux autres devises. En général, une dévaluation se passe en système de change fixe, parce que la réduction a lieu par rapport à la devise clé.
(en anglais : devaluation).
du peso argentin. Des mesures qui renforcent le déficit de la balance commerciale
Balance commerciale
C’est le solde entre les exportations de marchandises qui constituent une rentrée d’argent (de devises étrangères) et les importations qui représentent une sortie d’argent. C’est pourquoi on parle d’excédent ou de déficit commercial si les exportations rapportent davantage ou non que les importations.
(en anglais : balance of trade).
et poussent à nouveau l’inflation vers des sommets.
Comme soulevé par l’économiste argentin Rolando Astarita, à la fin du gouvernement d’Alberto Fernández, l’Argentine avait réduit son déficit des réserves de change de plus de 10 milliards de dollars à environ 2 ou 3 milliards de dollars. Mais la situation bascule avec le gouvernement Milei (en fonction depuis le 10 décembre 2023). Entre juin et août 2024, la balance des opérations courantes accuse un déficit de 3,16 milliards de dollars. La Banque Centrale
Banque centrale
Organe bancaire, qui peut être public, privé ou mixte et qui organise trois missions essentiellement : il gère la politique monétaire d’un pays (parfois seul, parfois sous l’autorité du ministère des Finances) ; il administre les réserves d’or et de devises du pays ; et il est le prêteur en dernier ressort pour les banques commerciales. Pour les États-Unis, la banque centrale est la Federal Reserve (ou FED) ; pour la zone euro, c’est la Banque centrale européenne (ou BCE).
(en anglais : central bank ou reserve bank ou encore monetary authority).
Argentine a perdu des millions de dollars. En octobre, elle a effectué de nouveaux achats de dollars alors même que le paiement des dettes n’étaient pas couverts. En janvier 2025, le seul moyen pour l’Argentine d’assurer le service
Service
Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
de sa dette était un fort afflux de dollars [9]. Un scénario qui ne s’est pas produit. Le gouvernement est alors parvenu à négocier un nouvel accord avec le FMI qui lui a accordé un nouveau prêt de 4.700 millions de dollars afin que l’État ne tombe pas en défaut de paiement.
Deux mois plus tard, Milei doit renégocier un nouveau prêt avec le FMI sans quoi, non seulement il risque de ne pas honorer le paiement d’intérêts
Intérêts
Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
de la dette, mais, surtout, il lui sera très difficile de continuer à juguler l’inflation, ce qui pourrait mettre à mal la campagne de son parti pour les élections législatives de mi-mandat prévues en octobre de cette année.
Une inflation divisée par deux ?
L’inflation cumulée pour l’année 2023 était de 211,4%. Il s’agit du taux le plus important du pays depuis la crise d’hyperinflation de 1989-1990 (lorsque l’inflation avait atteint 1.344%). En 2024, l’inflation cumulée tout au long de l’année était de 117,8% [10]. Il y a donc bien eu une diminution de l’inflation. Mais, cette diminution est-elle due à la « thérapie du choc » mise en œuvre par le gouvernement Milei ? La réponse est à nuancer, car une grande partie de l’inflation de 2023 est le résultat de cette même « thérapie du choc ». Trois jours après son entrée en fonction, le gouvernement Milei annonce la troisième plus importante dévaluation de l’histoire du pays. Le 13 décembre 2023, le dollar officiel est passé de 366$ à 800$ en l’espace d’un seul jour. Cette mesure a eu un impact direct sur les prix. L’inflation du mois de décembre a atteint 25,5% [11] et elle est restée significativement haute durant le premier quadrimestre 2024 pour commencer à diminuer à partir du mois de mai. Ainsi, si nous analysons non pas l’année 2024, mais la première année de la « thérapie du choc » (c’est-à-dire, l’inflation interannuelle en novembre 2024), le taux d’inflation est de 166%, alors que l’inflation cumulée en novembre 2023 (c’est-à-dire durant l’année qui a précédé la « thérapie du choc ») était de 160,6% [12]. La « thérapie du choc » n’a donc pas freiné une inflation qui, au contraire, a explosé entre les mois de décembre 2023 et mai 2024, provoquant une diminution drastique des salaires réels et une augmentation de la pauvreté [13].
Un budget en excédent ?
En janvier, le gouvernement Milei s’est félicité d’avoir récupéré, via son plan de réductions des dépenses « à la tronçonneuse », un excédent budgétaire de 0,3% du PIB pour l’année 2024. Or, il oublie de souligner que l’indicateur budgétaire ne comprend pas les paiements de la dette. Ceci est dû aux modifications du calendrier des engagements de paiement des obligations et des emprunts d’État. Les annonces sur les comptes de la nation en 2024 et au début de cette année occultent ainsi le fait que cet « excédent » est lié au retard dans le paiement des intérêts de la dette, qui, pour le seul mois de janvier, ont été réduits de 95,4%.
Le FMI prévoit une croissance de 5%
Si les ajustements « à la tronçonneuse » ont eu de lourdes conséquences pour la société argentine, ils ont également impacté la structure du développement productif du pays. Les travaux publics ont été paralysés par ordre du gouvernement (ce qui a représenté une « économie » de 1,1 billion de pesos) et les subventions à l’énergie ont diminué de 0,6 billion de pesos. Rien que ces deux mesures ont eu un impact majeur sur les entreprises du pays, notamment sur celles du secteur industriel et de la construction. Selon l’Union industrielle (UIA), en mars 2024, l’activité manufacturière avait chuté de 17,2%, alors que le secteur de la construction s’est effondré de 42 points. Dans les deux cas, les valeurs négatives sont supérieures à celles de la pandémie de Covid-19 [14] !
Le rapport trimestriel Perspectives de l’économie mondiale publié par le FMI le 17 janvier 2025, estime une diminution du PIB réel de 2,8% en 2024. Il projette une croissance de 5% pour l’année 2025. Des projections qui pourraient être mises à mal par les derniers événements argentins (marquant l’ouverture d’une crise politique et sociale d’envergure) et qui dépendront fortement de la décision du FMI de continuer à soutenir le gouvernement Milei au prix d’une nouvelle atteinte à la démocratie.
En effet, acculé par la multiplication de scandales déclenchés suite à l’affaire de la cryptomonnaie $LIBRA qui ont provoqué une chute de la popularité de Milei dans un contexte d’année électorale, le président a signé ce lundi 10 mars, un décret de nécessité et d’urgence (DNU) [15] habilitant le pouvoir exécutif à négocier un nouvel accord avec le FMI. Le DNU 179 prévoit la continuité d’une politique économique
Politique économique
Stratégie menée par les pouvoirs publics en matière économique. Cela peut incorporer une action au niveau de l’industrie, des secteurs, de la monnaie, de la fiscalité, de l’environnement. Elle peut être poursuivie par l’intermédiaire d’un plan strict ou souple ou par des recommandations ou des incitations.
(en anglais : economic policy).
de « déficit zéro » et annule la Loi de renforcement de la soutenabilité de la dette publique
Dette publique
État d’endettement de l’ensemble des pouvoirs publics (Etat, régions, provinces, sécurité sociale si elle dépend de l’Etat...).
(en anglais : public debt ou government debt)
, sanctionnée par le congrès en 2021, afin d’établir un contrôle du pouvoir législatif sur le processus d’endettement public. Il s’agit d’une nouvelle manœuvre du gouvernement Milei pour accélérer les négociations d’un nouvel endettement auprès du FMI dont le DNU ne prévoit ni le montant ni les conditions. Une décision qui a suscité de nouveaux scandales qui vont des dénonciations concernant le non-respect des accords parlementaires préalables stipulés par la loi pour la sanction d’un DNU, jusqu’aux plaintes déposées par certains député·es contre un décret qui s’attaque à la constitution nationale.
Selon l’ancien vice-président de la Banque Centrale, Jorge Carrera, Milei cherche à copier la stratégie réalisée en 2018 par le gouvernement Macri consistant à s’endetter auprès du FMI afin d’intervenir dans le marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
du dollar à travers la banque centrale, ce qui permet de maintenir un prix artificiellement bas du dollar [16], et ainsi retenir l’inflation au prix d’un endettement sans fin, ce qui permet de justifier des politiques austéritaires nécessaires à l’accumulation
Accumulation
Processus consistant à réinvestir les profits réalisés dans l’année dans l’agrandissement des capacités de production, de sorte à engendrer des bénéfices plus importants à l’avenir.
(en anglais : accumulation)
du capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
.
Une chute accélérée de la « popularité » de « la tronçonneuse »
Au regard des derniers événements, l’exemple Milei choisit par le Centre Jean Gol afin d’assurer sa mission « d’alimenter la réflexion sur les thèmes de société […] qui sont au centre des activités du Mouvement Réformateur » [17], semble compromettre une réponse sérieuse à la question centrale de cette conférence : « Devons-nous, nous aussi, simplifier et rationaliser notre volumineux dispositif législatif et réglementaire pour mettre fin aux gaspillages, développer notre efficience et stimuler nos entreprises ? » [18]
D’une part, nous avons vu que la tronçonneuse ne favorise pas les entreprises nationales qui ont de plus en plus du mal à résister (avec un dollar relativement bas) à la concurrence internationale ainsi qu’a une chute cumulée pour l’année 2024 de 7,4% de la consommation interne [19], due à la diminution du pouvoir d’achat de la population.
D’autre part, le contexte argentin a été complètement bouleversé durant le dernier mois et plus particulièrement durant les dernières heures. Le président argentin a fait l’objet de plus d’une centaine de plaintes (en Argentine, aux États-Unis et en Espagne) suite à la promotion de la cryptomonnaie $Libra le 14 février [20]. Á la suite de cela, une multiplication de scandales impliquant des ministres, des députés, ainsi que des journalistes et des « experts » proches du président a déclenché une crise à l’intérieur de Clarín, le principal groupe des médias argentins (notamment par l’émergence des dénonciations entre journalistes du même groupe concernant des pots-de-vin reçus pour promouvoir les campagnes politiques de la droite) et une confrontation directe de Milei vis-à-vis de ce groupe qui, jusqu’ici, a fortement soutenu son gouvernement.
Aux scandales, aux dénonciations et à une potentielle perte de soutien inconditionnel du gouvernement Milei par Clarin, s’ajoutent les inondations meurtrières qui ont frappé le pays la semaine passée, notamment dans la ville de Bahia Blanca (province de Buenos Aires) provoquant la mort d’au moins 16 personnes et la disparition d’une centaine d’autres. Une catastrophe que le gouvernement climatosceptique de Milei a essayé de capitaliser en la rejetant sur le dos de son rival, le gouverneur de la province de Buenos Aires, Axel Kicillof. Cependant, la visite du président accompagné de sa sœur, secrétaire générale de la présidence de la Nation, Karina Milei, le ministre de l’Intérieur, la ministre de la Sécurité et le ministre de la Défense a dû être réalisée sous la surveillance de la police fédérale et maintenue secrète afin d’éviter toute « manifestation ». Malgré cela, elle a été fortement contestée. Alors qu’ils tentaient de visiter un quartier gravement touché par les inondations, les ministres de la Sécurité et de la Défense ont été particulièrement visés par la foule et ont dû partir, escortés par les forces de la police [21].
De retour à la capitale de Buenos Aires, les libertariens ont dû confronter une impressionnante manifestation de retraité·es. La ministre de la Sécurité n’a pas hésité à ordonner une répression brutale provocant plusieurs blessés dont deux graves (une retraitée et un photographe qui, en ce moment, se bat contre la mort) et l’arrestation de plus d’une centaine de personnes.
Cette répression a déclenché un concert de casseroles qui a mobilisé des manifestant·es devant les commissariats afin de revendiquer la libération des détenu·es et la démission de la ministre de la Sécurité et qui s’est poursuivi toute la nuit aux cris de « qu’ils s’en aillent tous ». Les détenu·es ont été être libérés le lendemain par l’ordre d’une juge. Les plaintes se multiplient quant à la légalité de la répression déployée durant cette manifestation qui risque de couter son poste à la ministre de la Sécurité et de causer une grave crise institutionnelle. Ce 13 mars, la Centrale Générale des Travailleurs a annoncé l’organisation d’une grève générale avant le 10 avril.
En même temps que la police déployait une répression inouïe contre les manifestant·es, des événements de violence avaient lieu à l’intérieur même du Congrès, entre des députés du parti de Milei, à cause d’une dispute autour du scandale de la cryptomonnaie $Libra.
Enfin, si en février 2025 les enquêtes livrées par divers cabinets de consultance dévoilaient une diminution de l’image positive de Milei, le 12 mars, lorsque des batailles se livraient en dehors et au sein du Congrès de la Nation, la firme Management & Fit, un cabinet proche du gouvernement publiait les résultats d’une enquête selon laquelle seulement 30% des personnes interrogées disaient être optimistes quant à la situation du pays. Le premier sujet de préoccupation invoqué était l’insécurité, le deuxième, l’inflation. De nombreux instituts de sondage affirment aujourd’hui que le prochain conflit auquel le gouvernement sera confronté sera le passage au Congrès du DNU, qui tente de conclure un accord avec le FMI sans passer par un débat parlementaire. Pour rappel, lorsqu’en 2019 les mobilisations populaires ont commencé à impacter les projections économiques des investisseurs (produisant une augmentation du risque-pays), la popularité du gouvernement de Mauricio Macri a commencé sa chutte, suivie par une crise des changes, le sauvetage du FMI, une baisse de l’activité économique et, finalement, la défaite électorale de Macri face à son rival Alberto Fernández.
Le postulat « une majorité de la population soutient les réformes » soutenu par le Centre Jean Gol n’est plus à l’ordre du jour. Au regard des derniers événements argentins, si la droite francophone considère ce gouvernement comme un exemple, il semblerait que les mobilisations actuelles et les scandales en cours sont une réponse claire au fait que ce « pari » n’est pas « viable » et que la « rationalisation » du « volumineux dispositif législatif et réglementaire pour mettre fin aux gaspillages, développer notre efficience et stimuler nos entreprises » [22] n’est pas synonyme de croissance économique et, encore moins, de stabilité sociopolitique.
Pour citer cet article : Natalia Hirtz, "Quelques réflexions autour de la conférence sur Javier Milei organisée par le Centre Jean Gol dans le cadre de la Foire du Livre", Gresea, mars 2025.
Photo : AnaliaCid.

