On peut appeler ruse de la Raison le fait que celle-ci laisse agir à sa place les passions,
en sorte que c’est seulement le moyen par lequel elle parvient à l’existence
qui éprouve des pertes et subit des dommages" (GWF Hegel)

En clôture du cycle de conférences-débats proposé par le Groupe Politiques de Développement (FGTB, CSC, Attac et le Gresea), Attac proposait au public, le 15 décembre 2008, une mise en perspective de "l’homme économique" occidental par l’historien français Christian Laval. Exposé décapant dont nous rendrons compte avant d’en établir une lecture critique. Pour le Gresea, l’Homo œconomicus, le projet de société (néo)libéral et la modernité, cela ne fait pas tout un bloc. Il faut discerner. Commençons cependant par résumer la pensée de Laval.

Pour certains, la crise financière actuelle n’est rien d’autre que le chant du cygne d’un système économique et politique omnipotent depuis les années 80, le néolibéralisme Néolibéralisme Doctrine économique consistant à remettre au goût du jour les théories libérales « pures ». Elle consiste surtout à réduire le rôle de l’État dans l’économie, à diminuer la fiscalité surtout pour les plus riches, à ouvrir les secteurs à la « libre concurrence », à laisser le marché s’autoréguler, donc à déréglementer, à baisser les dépenses sociales. Elle a été impulsée par Friedrich von Hayek et Milton Friedman. Mais elle a pris de l’ampleur au moment des gouvernements de Thatcher en Grande-Bretagne et de Reagan aux États-Unis.
(en anglais : neoliberalism)
. Christian Laval, lui, propose une lecture différente de ce qu’il préfère nommer "un accident de parcours" ou une "brèche", dans laquelle les forces de gauche sont appelées à s’immiscer. Pour ce faire, il faut avant toute chose jeter un œil dans le rétroviseur et répondre à cette question : "comment l’homme en est-il arrivé là ?". En effet, nous n’avons pas toujours été des êtres humains motivés par ce que Thomas Hobbes définissait comme "l’acquisition of more…". Il suffit de s’en référer à Marcel Mauss ou à Claude Lévi-Strauss pour comprendre qu’il n’y a pas si longtemps, c’était la réciprocité qui faisait sens dans les relations entre les hommes. Comment alors, en Occident, est-on passé de cette économie du don à celle de la spéculation Spéculation Action qui consiste à évaluer les variations futures de marchandises ou de produits financiers et à miser son capital en conséquence ; la spéculation consiste à repérer avant tous les autres des situations où des prix doivent monter ou descendre et d’acheter quand les cours sont bas et de vendre quand les cours sont élevés.
(en anglais : speculation)
et "du toujours plus" ?

 Intérêts divers

Christian Laval, en prenant appui sur l’héritage laissé par Michel Foucault, propose de scruter du côté de l’intérêt pour trouver le déterminant de cette mutation anthropologique. Terme très usité dans le domaine bancaire, l’intérêt va en effet progressivement envahir tous les domaines du vivre ensemble. L’économique avec les marchands italiens, le spirituel avec les calvinistes et les jansénistes, le politique et la définition de l’intérêt national.

Au 19e siècle, l’intérêt est au centre de l’articulation de courants de pensée opposés, tantôt consensuels chez les libéraux partisans du "laisser-faire", tantôt conflictuels chez les marxistes. Ici, d’ailleurs, selon Laval, on pourrait parler d’une occasion manquée pour le socialisme Socialisme Soit étape sociétale intermédiaire qui permet d’accéder au communisme, soit théorie politique élaborée au XIXe siècle visant à améliorer et changer la société par des réformes progressives ; la première conception se comprend dans la théorie marxisme comme le passage obligé pour aller vers la société sans classes, étant donné qu’il faut changer les mentalités pour une telle société et aussi empêcher les anciennes classe dirigeantes de revenir au pouvoir ; la seconde conception est celle professée par les partis socialistes actuels ; on parle aussi dans ce cas de social-démocratie.
(en anglais : socialism)
, celle de ne pas avoir su réaliser le travail de contestation de l’homme économique, même si, à l’image de Karl Marx, il invitait à le dépasser.

Au tournant des 19e et 20e siècles, la crise du modèle libéral, qui atteindra son apogée en 1929, va permettre la transformation et le renforcement du système de protection sociale. Le libéralisme Libéralisme Philosophie économique et politique, apparue au XVIIIe siècle et privilégiant les principes de liberté et de responsabilité individuelle ; il en découle une défense du marché de la libre concurrence. pur d’Adam Smith a vécu. Pourtant, face à la montée des totalitarismes, dans les salons feutrés de quelques think tanks anglo-saxons, on décide de réactiver l’architecture globale du modèle libéral en la castrant partiellement pour en éviter les dérives les plus graves. Le néolibéralisme est ainsi porté sur les fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
baptismaux. Son contenu nouveau ? Un ordre de marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
reconstruit et encadré par l’État. Car les hommes ne seraient pas assez rationnels pour comprendre toujours où se trouve leur intérêt. On va donc les guider. Selon l’historien français, "le monde de l’intérêt, cela se construit !"

 La crise : une opportunité ?

A partir de là, le néolibéralisme va parvenir à réunifier les deux représentations symboliques de l’homme occidental : le bourgeois et le citoyen, l’économie et le droit. Progressivement, notre système politico-juridique sera ainsi soumis au discours sur l’intérêt, au détriment de ceux sur la souveraineté politique, la démocratie ou encore les droits de l’homme. "Le droit au service Service Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
du marché". En témoignent ici, les institutions européennes, simples garantes de la concurrence. En témoigne aussi, selon Christian Laval, l’école française depuis une vingtaine d’années où on ne forme plus que des "étudiants capables de se vendre"…

La crise financière et économique actuelle donne l’occasion de dépasser cette conception économique de l’homme. Pour cela, il ne faudrait pas se limiter à la mise en cause d’un système financier sénile car dixit Laval, la construction européenne ne s’arrête pas, les privatisations des services publics non plus et, paradoxalement, la plupart des réponses politiques à la crise prennent la forme d’une accélération des réformes néolibérales. Et Laval de s’écrier : "Voyez les réformes "sarkoziennes" en France, voyez encore aux États-Unis, la nomination de Timothy Geithner au poste de ministre des Finances du gouvernement Obama, un ancien du "Consensus de Washington"… L’être humain ? Au service du marché. Donc : réagir sous peine d’assister impuissant à la dissolution des gens".

Pour conclure, une recommandation de Christian Laval, ancien chercheur de la Fédération syndicale unitaire (FSU), aux syndicalistes présents dans la salle : "Attention au culte de la modernité et du progrès. Cette volonté de toujours paraître progressiste peut empêcher la critique des aspects les plus dangereux du monde moderne."

C’est ici que commence la discussion. Parlons de tout cela.

 Une post-modernité bien capitaliste

D’un point de vue analytique, s’il apparaît indispensable de faire voir le lien entre la crise en cours et le courant utilitariste en philosophie, on ne peut pour autant se cantonner au développement proposé par Laval. Car, en fin de compte, s’il est vrai que l’histoire des hommes se trouve déterminée part les soubassements économiques des sociétés dans lesquels ils évoluent, alors force nous est de constater une disjonction évidente et fort contemporaine entre les concepts de "modernité" et de "capitalisme Capitalisme Système économique et sociétal fondé sur la possession des entreprises, des bureaux et des usines par des détenteurs de capitaux auxquels des salariés, ne possédant pas les moyens de subsistance, doivent vendre leur force de travail contre un salaire.
(en anglais : capitalism)
". Pour preuve, on peut parfaitement renvoyer la modernité à la "séniorerie", comme l’on dit en Belgique, des concepts dépassés et exalter, sans désemparer, les vertus du capitalisme.

C’est à ce constat que nous renvoie Michel Vakaloulis dans son ouvrage au titre dénué d’ambiguïté "Le capitalisme postmoderne". [1] Selon Vakaloulis, on constate qu’au cours des vingt dernières années, un ensemble de stratégies de modernisation des procès de production ont pris place en Occident. Ces stratégies ont modifié de fond en comble l’économie et le vivre ensemble issus de la révolution keynésienne et des Trente Glorieuses Trente glorieuses Période des trente années suivant la dernière guerre, entre 1945 et 1975, au cours de laquelle la croissance économique a atteint dans les pays occidentaux des taux très élevés, beaucoup plus élevés que dans les périodes antérieures. Ce taux élevé de croissance est essentiellement dû à la conjonction de plusieurs catégories de facteurs comme le progrès de la productivité, la politique de hauts salaires, la régulation par les pouvoirs publics, etc.
(En anglais : The Glorious Thirty)
. Vakoulis énumère le contenu de ces réformes.

Et de citer pêle-mêle l’instauration de "nouvelles règles de régulation économique" (en clair, la promotion du libéralisme comme mode de gestion globale de l’appareil économique), la célébration du marché comme élément pivot des systèmes démocratiques, la globalisation de la concurrence capitaliste, le tout entraînant un "déclin" des valeurs et des attitudes collectives au profit d’un individualisme concurrentiel. L’enjeu principal de ces stratégies est la consolidation d’un nouveau bloc historique de domination de classes, en rupture avec la période fordiste.

Il s’agit d’impulser la nouvelle économie de la flexibilité, de neutraliser l’antagonisme social, de naturaliser la reconstruction post-moderne du rapport capitaliste. Le salariat se trouve au centre de ce tourbillon. La crise [ndlr lorsque l’auteur écrivit ces lignes, nous étions en 2001. Ces propos n’en ont que plus de force aujourd’hui] redistribue les cartes, aiguise la concurrence, redessine les équilibres et les compromis entre les forces adverses. L’ancien n’est plus reconductible alors que le nouveau demeure incertain. Des défis sont à relever, des défauts sont à craindre." [2]

Vakaloulis se montre des plus clairs : on peut réfuter la modernité et faire l’éloge du capitalisme. Symétriquement, peut-on être moderne et non-aligné sur le projet capitaliste ? Autant le dire d’emblée, cette hypothèse ne nous apparaît pas dénuée de sens ni d’un point de vue strictement théorique ni en ce qui concerne l’énonciation de principes permettant de baliser des tendances pour l’action collective.

La période avec laquelle nous serions en train de rompre et dans laquelle Laval voit le moment clé de la réhabilitation de l’intérêt, c’est l’ère fordiste (plus connue sous le terme générique de "Trente Glorieuses") qui a débuté en 1945 avec l’instauration des systèmes de protection sociale en Europe occidentale, la nationalisation Nationalisation Acte de prise en mains d’une entreprise, autrefois privée, par les pouvoirs publics ; cela peut se faire avec ou sans indemnisation des anciens actionnaires ; sans compensation, on appelle cela une expropriation.
(en anglais : nationalization)
de secteurs clés de l’économie et la mise en œuvre des services publics (en particulier, dans le domaine des transports) et qui s’est achevée au milieu des années 70. [3]

 Une autre modernité est-elle possible ?

Étrange. Et le fait mérite d’être souligné. S’il est vrai, et en cela Laval a raison, que les Trente glorieuses n’ont pas marqué une rupture par rapport à l’"homo oeconomicus" comme sujet central de la théorie économique, il n’en reste pas moins que ces années ont inauguré une rupture par rapport à la nature de l’Etat telle que pensée par les théoriciens de l’État minimal cher aux libéraux du 19e siècle.

Après la révolution des trente glorieuses, la sphère marchande (celle où des biens s’échangent contre de l’argent selon le principe de libre confrontation de l’offre et de la demande) voyait son importance diminuer dans le fonctionnement des sociétés d’Europe occidentale. Et du point de vue des classes populaires, payer son médecin au prix plein ou bénéficier d’une aide conséquente de la sécurité sociale, ce n’est pas anecdotique.

La question relève tout bonnement de l’ordre de la réalisation concrète et matérielle du droit à la santé. Elle est donc politique. Profondément politique. Et en ce sens, elle marque une mise sous tutelle de l’économique par le politique se portant garant d’une démocratie d’un type particulier, puisque essentiellement économique et sociale. En tant que telle, la Sécurité sociale représente un îlot de socialisation de la richesse Richesse Mot confus qui peut désigner aussi bien le patrimoine (stock) que le Produit intérieur brut (PIB), la valeur ajoutée ou l’accumulation de marchandises produites (flux).
(en anglais : wealth)
(oserait-on dire de socialisme ?) au sein de sociétés marquées dans les faits par la prédominance de l’échange marchand.

En ce sens, le projet politique qui a permis la mise en œuvre d’une telle construction politique ne peut être tenu coupable d’avoir réhabilité l’homo oeconomicus sans autre forme de procès. Sinon par l’effet d’une ruse de la raison (voir, à ce sujet, notre citation introductive), un de ces moments dans l’histoire où le déchaînement des passions fait voir, par son inconsistance conceptuelle, que le sens des choses est tout autre que ce que la clameur publique veut bien laisser entendre. Et c’est un peu ce qui se produit avec Laval lorsqu’il remet en question le postulat de la rationalité économique, clairement à l’œuvre, par ailleurs, dans les fondations de l’État social de 1945.

L’État social, une autre économie

Sa critique manque de peu sa cible mais elle la manque tout de même. En fait, on dira de Laval qu’il fait preuve d’unilatéralisme dans sa critique. Car si les Trente Glorieuses n’ont pas aboli le calcul économique, elles lui dont donné une toute autre signification et envergure que ce qui lui préexistait dans les années trente, époque on ne peut plus fidèle au projet libéral d’État minimal dans un cadre macroéconomique marqué par un seul mot d’ordre "laissez-faire, laissez-passer". La création de l’État social établit, en effet, une double mutation en ce qui concerne le calcul économique proprement dit.

Première mutation : d’un point de vue évaluatif, les résultats du fonctionnement de l’économie ne sont pas appréciés du seul point de vue du profit individuel. L’économie doit servir à autre chose que le seul accroissement des richesses individuelles et monétaires. Il faut redistribuer ce qui est produit "ailleurs" dans l’économie. C’est, dans une perspective keynésienne, une question de survie pour le système économique.

Autre mutation importante : l’établissement de la solidarité suppose, d’un point de vue institutionnel, une méditation à proprement sociale de sorte que ce qui relevait autrefois de la charité individuelle passe entre les mains du politique qui se porte garant des intérêts des milieux populaires. L’instance à partir de laquelle s’établit une véritable pensée du socioéconomique n’est plus l’individu mais l’État et c’est ce dernier qui assure la promotion de ce calcul économique "élargi". Une politisation des questions sociales et économiques s’est donc concrètement opérée sans, d’aucune façon, répudier l’intérêt économique comme fondement d’une stratégie globale de développement. Au contraire, le politique, en ces années, a donné au calcul économique, et à lui seul, de nouvelles catégories lui permettant d’adopter un point de vue plus large que le point de vue étriqué de l’homo œconomicus. Penser l’économie rationnellement, froidement mais à un autre niveau que l’individu, voilà le tour de force qu’ont opéré les pères de l’État social.

Ce tour de force aura in fine consisté à opérer une fusion entre la quête d’émancipation sociale de ce que l’on appelait la classe ouvrière avec les impératifs de gestion de la machine économique.

 La raison en action demain

Certes, inutile de tourner autour du pot, la civilisation fordiste est entrée en crise. Est-ce, pour autant, que l’on doit impérativement passer la rationalité (et en particulier, la rationalité économique) par pertes et profits (sic) ? Ce serait, à notre sens, faire preuve de myopie.

Nous n’avons pas besoin de moins de modernité. Mais, au contraire, de plus de modernité au sens politique du terme, c’est-à-dire un projet collectif émancipateur revendiquant sa filiation avec la révolution française. Et cette entreprise de libération aura encore besoin de la rationalité pour dire, par exemple, à quel point un système économique qui peut détruire 25.000 milliards de dollars sur les marchés financiers en un hiver est fondamentalement irrationnel, anarchique et pas du tout fonctionnel.

Parler de l’économie capitaliste comme d’un système en définitive peu efficace, c’est, si l’on veut prendre la pleine mesure de la présence au sein de nos économies de l’îlot de socialisme qu’est la sécurité sociale dans nos sociétés postmodernes, rééditer l’exploit réalisé par les fondateurs de l’état social en Belgique. C’est-à-dire dénoncer l’anarchie de la production capitaliste et lui opposer un calcul d’un niveau supérieur. Mais attention, pas n’importe comment.

Cette dénonciation et la proposition d’alternatives qui la prolongent supposent, au passage, que l’on réhabilite le conflit social comme mode opératoire permettant la réalisation d’un projet d’émancipation sociale. D’un point de vue programmatique, l’analyse des formes concrètes de la domination à l’œuvre dans le capitalisme moderne visera, dès lors, à "faire apparaître les nouvelles figures de l’antagonisme social et les potentialités de l’action collective des dominés, potentialités certes entravées mais d’ores et déjà réelles". Michel Vakaloulis, op.cit., http://netx.u-paris10.fr/actuelmarx/cappost.htm (Consultation du site : novembre 2008). [4]

Notes

[1Michel Vakaloulis, "Le capitalisme postmoderne", Collection Actuel Marx Confrontation, PUF, Paris, 2001. Michel Vakaloulis, 39 ans, économiste de formation, diplômé en science politique, docteur en philosophie est maître de conférences à l’Université de Paris VIII, Saint-Denis.

[2Source : Actuel Marx, URL : http://netx.u-paris10.fr/actuelmarx/cappost.htm (Consultation du site : novembre 2008).

[3Pour une présentation complète de cette époque, Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Paris, Fayard, 1979, 300 p. (Rééd. Hachette Pluriel n° 8363).

[4Michel Vakaloulis, op.cit., http://netx.u-paris10.fr/actuelmarx/cappost.htm (Consultation du site : novembre 2008).