Et revoici la marchandise travail...
En 1996, écrivions-nous, l’emploi dans le monde se porte mal. Et, en 2006, nous pouvons enfin écrire... Là, le lecteur perspicace aura remarqué qu’une période de dix ans sépare ces deux phrases. Pourquoi dix ans ? Pourquoi l’emploi ? Et pourquoi enfin ?
En 1996, le Gresea était, avec beaucoup d’autres, engagé dans une campagne de mobilisation sur l’emploi. Cela suppose de savoir, d’abord, de quoi on parle. D’où le projet, inabouti, de publier des fiches pédagogiques sur l’emploi dans le monde. Une visite guidée.

Mais donc, hélas, projet inabouti. L’idée était en effet, sur la base d’une radioscopie didactique de l’emploi mondial, d’en soumettre les résultats à une hypothèse. L’hypothèse était la suivante : le massacre de l’emploi par les Programmes d’Ajustements Structurels, dans les pays du Tiers-monde, ne peut être dissocié des Programmes de Modération Salariale qui déferlent sur les travailleurs des pays industrialisés. Massacre, là aussi. Même logique économique. Capital contre travail.

On n’a pas eu le temps. Il y a eu d’autres urgences. Il a fallu parer au plus pressé. Peut-être. Dix ans, c’est long. Il y avait sans doute d’autres raisons, probablement idiotes. On ne va décortiquer, maintenant, cet échec. Il faut positiver.

Positivons. Nous disposons de la radioscopie de 1996 et, les bégaiements de l’histoire ont des bons côtés, une nouvelle campagne nationale sur l’emploi est en gestation. Le lecteur perspicace ne pourra s’empêcher de frapper du poing la table : mais, c’est l’occasion rêvée de reprendre le projet à zéro ! Comparer 1996 et 2006 (chiffre rond de dix ans, là !) et, enfin, pousser l’analyse jusqu’à ses impitoyables conclusions !

C’est l’idée, le fil directeur de ce numéro du Gresea Echos. Comparer et dresser un diagnostic, qu’en est-il du grand malade ? L’emploi, donc. Les travailleurs.

C’est vite dit. L’emploi, chacun sait ce que c’est jusqu’au moment où on passe à la définition. C’est quoi, un emploi ? Comme cela, à la grosse louche, c’est le contraire du non emploi. D’un côté, des gens au travail. De l’autre, des gens sans travail. Facile. Il suffit de calculer. On prend la population active mondiale (tous ceux et toutes celles qui ont entre 18 et 64 ans, mettons) et on prend tous les chômeurs du monde, puis on soustrait et cela sort sans problème du chapeau : le nombre exact, à la décimale près, de gens au travail dans le monde.

Cela ne marche pas comme cela, naturellement. L’emploi, c’est fuyant comme une anguille. Qu’est-ce qu’on compte ? Un type qui travaille une heure pendant une semaine donnée ? C’est ainsi qu’Eurostat (les statisticiens de l’Union européenne) procède. Pour Eurostat, ce type-là est compté comme un travailleur qui a un emploi.

On peut pousser plus loin. Vers la zone grise, ceux qui n’ont pas de travail tout en n’étant pas au chômage. Tout le secteur criminel, par exemple, dont Marx soulignait à quel point il est "productif" et indispensable à nos économies. En effet, notait-il, "Le criminel ne produit pas seulement des crimes, mais aussi le droit criminel, et, par suite, le professeur des cours de droit criminel, et l’inévitable traité grâce auquel ledit professeur jette comme "marchandise" ses conférences sur le marché général. Il se produit de la sorte une augmentation de la richesse nationale [... puisque] le criminel produit d’autre part toute la police et la justice criminelle, les sbires, juges, bourreaux, jurés, etc. ; tous ces différents métiers, qui constituent autant de catégories de la division sociale du travail (...)" [1]

On n’en retiendra, pour l’heure, que ceci. Le travail est une marchandise. Il était marchandise en 1996 et il l’est en 2006. Il faut commencer par là. Commençons...

Avertissement

La présente réactualisation de notre radioscopie 1996 de l’emploi dans le monde diffère de cette dernière sur plusieurs points. Toutes les fiches thématiques de l’édition originale n’ont pas été reprises. De même, à notre regret, nous n’avons pas toujours pu, pour les tableaux statistiques, trouver les nouvelles données correspondantes. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Cette lacune est, largement, le reflet du manque de cohérence et d’esprit de suivi des grandes institutions internationales qui les fournissent (OCDE, Banque mondiale, agences des Nations unies, etc.). Au fil du temps, les regroupements régionaux ont changé, idem pour d’autres agrégats, les critères de ventilation : le PNUD ne donne plus, par exemple, la répartition de l’emploi par grand secteur d’activités, à laquelle il a substitué une approche "genre". Pourquoi non ? Mais c’est, en même temps, faire œuvre de destruction de la mémoire, empêcher toute comparaison historique.
Un mot des statistiques, aussi. Toujours à prendre avec une pincée de sel. Et beaucoup de scepticisme. On ne réduit pas l’homme à un chiffre. Et le chiffre, lui-même, est toujours traître. Quand on parle d’emploi, par exemple. C’est quoi un emploi ? Dans la statistique Eurostat, vous travaillez une heure par semaine et ça y est, vous figurez parmi les heureux élus qui ont un emploi. C’est pour rire ? Cela fonctionne comme cela. Ajouter le problème de la fiabilité. L’économiste Claude Pottier notait en 2003, que les statistiques sont satisfaisantes aux Etats-Unis, un peu moins au Japon et... "médiocres dans le cas de l’Union européenne". Fermons la parenthèse. Les chiffres, ce n’est jamais qu’indicatif, de vagues esquisses qui, au mieux, brossent des grandes tendances.

Sommaire

  • Edito : Et revoici la marchandise travail ...
  • Fiche 1 : L’emploi dans le monde
  • Fiche 2 : Emploi et chômage dans les pays de l’OCDE
  • Fiche 3 : L’emploi et le chômage en Russie et en Ukraine
  • Fiche 4:L’emploi en Afrique
  • Fiche 5 : L’emploi en Asie
  • Fiche 6 : L’emploi en Amérique latine
  • Fiche 7 : Croissance et inégalités
  • Fiche 8 : Qualité des emplois
  • Fiche 9 : Emplois et migrations
  • Fiche 10 : Protection sociale et droits des travailleurs
  • Fiche 11 : Structure de l’emploi
  • A lire

 

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Notes

[1Karl Marx, Matériaux pour l’économie, 1844-1858, in Œuvres, vol. 1, La Pléiade, p. 399.