Lorsqu’il nous a fallu mettre des mots sur le thème qui allait former le fil conducteur du premier cycle de formation de nos Universités des alternatives en 2004 - et celui du Gresea Échos que vous tenez entre vos mains -, il y a eu hésitations et tâtonnements. C’est que la chose n’est pas simple. Par approximation, en effet, le thème cherche à répondre à la question : "Comment est-ce que le Nord s’intéresse au Sud ?". Le langage courant pourrait encore reformuler cela en s’interrogeant sur les manières avec lesquelles le Nord "s’occupe" du Sud.
Dans leur exquise banalité, ces deux verbes rendent bien compte des rapports entre le Nord et le Sud. Le Nord s’intéresse beaucoup au Sud, il s’en occupe beaucoup. Il y envoie des coopérants, il y dépêche des C- 130, il y investit, il y mène des programmes de lutte contre la pauvreté, il en fait des sujets de colloques et de collectes de fonds, il en étudie les indices de développement humain, il y trouve matière à dénoncer des violations des droits de l’homme, il lui fait offrande de tables des lois qui, sous le nom de gouvernance, d’ajustements structurels ou de compatibilité avec l’Organisation mondiale du commerce, entendent guider ou se substituer aux processus législatifs locaux, on a failli dire indigènes.
C’est ainsi que, pour condenser le thème de cette Université des alternatives, le terme d’"ingérence" s’est tout naturellement imposé. Une des caractéristiques des relations entre le Nord et le Sud est en effet son caractère unilatéral. Bagdad n’ira jamais bombarder Washington. Kinshasa n’envoie pas de coopérants dans le Hainaut. Tripoli n’organise pas des collectes de fond pour les petits pauvres de Droixhe ou de Cureghem. Bamako ne participe pas à l’entrée en bourse de Belgacom. Kabul n’organise pas de colloque pour tirer les leçons des occupations d’usine à Tihange, Cockerill Sambre ou Sigma Coatings.
Serait-ce une main invisible ? Seul le Nord peut "s’occuper" du Sud. Prière de respecter le sens unique ! Règle numéro un du code de la route mondial. L’Occident construit son histoire à travers ses ingérences de par le monde. L’ingérence se fait du Nord vers le Sud, jamais l’inverse. On ne s’ingère pas dans les affaires des États-Unis ou de la Grande-Bretagne...
C’est tellement vrai que même un document comme le rapport annuel du Programme des Nations unies pour le développement, qui n’a de mots, de diagrammes et de tableaux que pour le Tiers-monde, est un recueil de signatures prestigieuses dont presque aucune ne provient des pays du Sud. L’étude du Sud ? Voyez Harvard.
Cet envahissant "amour du Nord pour le Sud" - présent, pour le meilleur et pour le pire, dans tout regard, toute "ingérence" que nous déportons sur le Tiersmonde - prête à analyse critique et, forcément, autocritique, car il ne nous appartient pas de juger, en lieu et place des peuples de la périphérie, comment cet amour singulier doit être accepté ou combattu par ceux qui en font l’objet ; il nous appartient, par contre, de voir clair dans les actes et paroles qui font de nous des complices.
Cet exercice passera, par approximation à nouveau, par un découpage à grands traits invitant à découvrir les fils conducteurs qui traversent et unissent l’amour colonisateur, l’amour humanitariste, l’amour touristique et l’amour commercial que le Nord a témoigné et témoigne pour le Sud. Car il y a de la constance dans ce sentiment, et des manières toujours renouvelées pour chérir brutalement le Sud. Dernière en date, la préoccupation que, à l’unisson, des personnalités aussi peu diverses que Javier Solana, Jean-Claude Juncker ou Louis Michel marquent à l’égard du problème des "failed states" du Sud, ces États "échoués" ou "ratés" que le Nord se doit de remodeler, par la force si nécessaire.
Citons le dernier nommé, notre ministre des Affaires étrangères, qui évoquant le spectre du terrorisme, des armes à destruction massive et des "failed states", s’exclame ainsi : "C’est pour cela que l’Union européenne doit rapidement se doter, en sus de son nouveau concept stratégique, d’une capacité militaire qui lui permette d’exercer un droit minimal d’ingérence." Ben tiens.
Sommaire :
- Edito : On s’ingère ce soir ? (E. Rydberg)
- Ingérence:ce que je crois (Béchir Ben Yahmed)
- Les pionniers belges du Congo...(Erik Rydberg)
- Les limites du "droit d’ingérence humanitaire" (Olivier Corten)
- Le tourisme Nord-Sud, les uns voyagent les autres pas (Mimoun Hillali)
- On remet ça avec des charters (Nadine Braglia)
- Investir c’est s’immiscer ? (entretien avec Walter Coscia)
- Tout privatiser SVP (Denis Horman)
- Listes des interventions militaires des Etats-Unis
- Du droit d’ingérence des peuples du Sud dans les affaires des multinationales (René De Schutter)
- Pour en savoir plus (F. Wilvers)
- Feuilles de route du GRESEA
- Action contre la spéculation
- A lire.
Pour consulter la revue en ligne : https://issuu.com/gresea/docs/ge41
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