La coopération au développement du commerce triomphant
Placé devant le choix de dire ce qu’il sait des bananes ou des ACP, un maçon normalement constitué, qui n’a de compétence professionnelle en aucun de ces deux sujets, choisira vraisemblablement de parler un peu de la banane.
C’est plus concret. La banane, il connaît. Un fruit jaune, délicieux flambé. C’est une des difficultés. Dans l’expression « accord de Cotonou », inévitable lorsqu’on parle des politiques de coopération de l’Union européenne, il y a déjà deux mots compliqués. Et, pire, derrière, il y en a d’autres : Stabex, Sysmin, préférences commerciales non réciproques, acteurs non étatiques, A C P, APE, AGCS, ADPIC... Charabia, à première vue. Car, comme l’a observé avec humour un grand économiste, on ne c o m p rend bien que ce dont on a une certaine expérience personnelle : « la loi de pesanteur se fait sentir à n’importe qui lorsque sa maison s’écroule sur sa tête. » (in Le Capital, Œuvre s de Karl Marx, Pléiade, t. 1, p. 606.)

Peu de gens, en ces contrées, on une expérience personnelle des ACP, les 78 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique avec lesquels l’Union européenne entretient des relations (d’ex colonisateurs) privilégiées. D’où l’intérêt, ici, de la banane. Elle est au cœur du débat.
Jusqu’il y a peu, la banane des pays ACP bénéficiait d’un accès privilégié dans l’Union (quotas d’importation, prix supérieur au marché). Le gendarme du marché, l’Organisation mondiale du commerce, y a mis fin, multipliant les sanctions à la suite des plaintes que les Etats-Unis ont déposées à l’instigation des multinationales de la banane. Europe et Etats-Unis se sont mis d ’ a c c o rd sur une ouverture progressive à la libre concurrence dudit marché. Et, partant, sur une politique de pression à la baisse des prix et, donc, des salaires et conditions de travail des ouvriers de la banane dans le Sud (voir Alternatives économiques de septembre 2002). La banane, ce n’est pas neutre . Elle offre en résumé tout ce que l’accord de Cotonou raconte, en des mots plus difficiles, sur l’évolution des politiques de coopération de l’Union européenne. La banane et Cotonou, même combat. Un enjeu lourd de conséquences pour tous. Au N o rd comme au Sud.

C’est une des raisons pour lesquelles le Gresea a organisé au Parlement européen un colloque international sur le sujet à la fin du mois de mai, avec l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs (Paris) et avec l’aide de la Confédération européenne des syndicats et du groupe des Verts du Parlement européen. On en trouvera ici les actes. Ces interventions, toutes éclairantes, trouveront également un prolongement dans l’ouvrage collectif « Les nouveaux habits de la servitude » que l’asbl 6 Novembre (Editions Colophon) publient, avec le GRESEA, en ce mois de septembre, à la veille de l’ouvert ure des négociations entre Union européenne et pays ACP en vue de libéraliser les économies de ces dernier s . Cruciales, ces négociations exigent en effet plus que jamais la constitution d’une plate-forme citoyenne. De vigilance et de contre - proposition .
Quoi, dans le cadre de la coopération au développement, on veut libéraliser les économies des pays ACP ? Et contre leur gré, encore bien - le 20 juillet dernier, l’Echo titrait « tir groupé des ACP contre la mondialisation »... C’est que l’accord de Cotonou est peut-être surtout cela. Un dispositif qui vise à mettre un terme, credo de l’Organisation mondiale du commerce oblige, aux mécanismes par lesquels, jusqu’ici, les exportations des pays ACP bénéficient d’un régime de faveur dans l’Union européenne. Terminé. Libre-échange, libre commerce et libre concurrence seront désormais les moteurs du développement.

Et que le meilleur gagne ?
L’ affaire est un des grands débats du moment. On veut dire la question : est-ce que le commerce (le marché mondial), et non le protectionnisme (la souveraineté des Etats), est chose bénéfique pour le développement ? Elle a déjà donné lieu à toute une littérature démontrant que les pays développés le sont devenus en étant protectionnistes, justement. Et il reste à démontre r que, en ouvrant leur marché aux produits agricoles du Sud et en se privant donc du droit de définir eux-mêmes leur politique agricole, les pays développés ne se dépossèdent pas d’un énième instrument d’autodétermination. C’est loin d’être simple. Cotonou, et c’est un de ses arguments de vente majeurs, en appelle à la participation de la société civile. Pour faire quoi ?

Un grand ingénieur, lui aussi enclin à s’exprimer avec humour, a eu, sur les moyens de changer le monde, ces mots : « La fissure qui apparaît dans l’unité organique d’une œuvre d’art, on tente de la boucher avec de la paille ; mais afin d’apaiser sa conscience on prend la meilleure paille. » (in Remarque s mêlées, Ludwig Wittgenstein). Il serait bon de trouver autre chose que de la paille.

Sommaire :

  • La coopération au développement du commerce triomphant (E. Rydberg)
  • Colloque international : Parlement européen 23 et 24 mai 2002
  • Atelier 1 : L’Etat des lieux : (Bienvenue à Cotonou (Gérard Karlshausen)
    • Les raisons d’une ratification (Didier-Claude Rod)
    • L’éligibilité des acteurs de coopération (Aya Kasasa)
    • Radioscopie à haute altitude (JamesMackie)
    • Le Débat
  • Atelier 2 : La perspective sociale : Il n’est de développement social sans mouvement social (G. Fonteneau)
    • Blues du syndicaliste africain (Claude Akpokavie)
    • Le Débat
  • Atelier 3 : La frontière économique : Les formes nouvelles du colonialisme européen (Raoul Jennar)
    • Small is beautiful (Placide Muamba)
    • Le Débat
  • Atelier 4 : L’horizon politique et démocratique : La société civile n’est pas un nain (Pierre Castella)
    • ONG et syndicats devoir d’alliance (G. Fonteneau)
    • Sept chemins de traverse (Gustave Massiah)
    • Le Débat.

 

Pour consulter la revue en ligne : https://issuu.com/gresea/docs/ge35reduit

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