Un mal ronge la planète. Non, ce n’est pas le coronavirus. Certes, cette épidémie peut avoir un effet déclencheur sur la crise économique que nous analysons dans ce numéro. Mais deux problèmes plus graves, liés à la surexploitation capitaliste, menacent le monde.

Le premier concerne la nature. Les firmes multinationales et tout leur environnement (sous-traitance Sous-traitance Segment amont de la filière de la production qui livre systématiquement à une même compagnie donneuse d’ordre et soumise à cette dernière en matière de détermination des prix, de la quantité et de la qualité fournie, ainsi que des délais de livraison.
(en anglais : subcontracting)
, pouvoirs publics, institutions internationales...) polluent aux quatre coins du globe et contribuent fortement au réchauffement climatique. C’est un problème majeur que ces entreprises et leurs dirigeants essaient de faire supporter aux populations à travers des stratégies souvent cyniques : « à moi les profits, à vous les coûts ». Ce ne sera pas le thème central de ce numéro.

Le second porte sur les êtres humains, les salariés, principalement, qui fournissent le travail dont le résultat est capturé par les propriétaires, en échange d’un salaire qui ne représente qu’une partie de la valeur de ce labeur effectué. Non seulement ces travailleurs sont exploités par le simple fonctionnement du système, mais en outre, ils sont souvent pressurés par la concurrence à outrance que se mènent les firmes. Pour emporter cette compétition désormais planétaire, les entreprises rognent sur tous les coûts, dont ceux du travail. Elles recherchent constamment la flexibilité maximale pour ne devoir payer que les heures réelles de labeur. Résultat : on atteint aujourd’hui des niveaux de surexploitation du travail inégalés dans l’histoire.

Or, c’est ce mécanisme qui est à la base des crises économiques, comme nous l’expliquerons au fil de ce numéro : d’un côté, les capitalistes, dans leur obsession de bénéfices, veulent toujours vendre plus et donc produire davantage ; ils investissent dans des capacités de fabrication de plus en plus excédentaires. De l’autre, une population qui voit croître son pouvoir d’achat moins vite que la production, en particulier en période de surchauffe de l’économie. Le déséquilibre s’installe, c’est la surproduction Surproduction Situation où la production excède la consommation ou encore où les capacités de production dépassent largement ce qui peut être acheté par les consommateurs ou clients (on parle alors aussi de surcapacités).
(en anglais : overproduction)
.

Cette explication des récessions présentée succinctement ici fait partie du substrat du courant économique marxiste. À côté de lui, il existe deux grandes interprétations des crises, celle des néoclassiques et celle des keynésiens.

Pour les premiers, prépondérants dans le monde universitaire occidental et qui alimentent toutes les thèses néolibérales, l’économie de marché de libre concurrence est l’univers parfait et idéal vers lequel toute économie devrait tendre. Le marché parviendrait par ses propres forces à la meilleure solution possible. S’il y a crise, c’est parce qu’un grain de sable aurait déséquilibré ce merveilleux mécanisme. Ces économistes pointent en particulier l’inefficacité des interventions étatiques. Selon eux, seuls les agents privés actifs, en recherche de leurs intérêts personnels, seraient en mesure d’opérer rationnellement. La main invisible, ce terme malheureux d’Adam Smith, le père de l’économie, ferait le reste.

Les keynésiens ont le bon goût de critiquer cette théorie en affirmant que le marché n’est pas capable d’arriver à la meilleure solution possible par son seul fonctionnement, car les capitalistes ont tendance à surréagir aux évènements. Dès lors, il faut, selon eux, à la fois canaliser le secteur financier en période de surchauffe économique, et relancer la consommation, soit par des mesures monétaires, soit par des travaux publics, en période de récession.

Dans les pages qui suivent, nous n’allons pas débattre complètement de ces interprétations. Nous allons par contre essayer d’expliquer le plus en profondeur possible ce qui caractérise une crise économique sous le capitalisme, à partir d’un point de vue ouvertement marxiste.

Nous débuterons en soulignant ce qu’on entend exactement par récession. Dans le second article, nous définirons pourquoi la forme prise par les crises sous le capitalisme est celle de la surproduction. En troisième lieu, nous montrerons que les krachs financiers révèlent souvent des déséquilibres plus profonds dans l’économie réelle. Le quatrième article est écrit par un économiste marxiste britannique, Michael Roberts, qui montre qu’une nouvelle crise est en train de se former. Ensuite, nous discuterons l’hypothèse de cet auteur : la récession provient selon lui d’une contraction des investissements, elle-même issue d’une baisse du taux de profit. À l’intérieur de chaque courant, il existe des divergences dans les interprétations et donc des débats. C’est le cas du marxisme. Enfin, nous terminerons sur l’apparition de longues périodes de croissance économique faible, voire négative, des crises structurelles. Celles-ci nous amènent à réfléchir à des sorties de récessions et/ou à des issues au système capitaliste.

 


Édito Gresea Échos N°101 Crise, Récession, Dépression - Des clés pour comprendre, mars 2020

 


Pour citer cet article : Henri Houben "Jeu de maux, jeu de vilains", Gresea, mars 2020, texte disponible à l’adresse : [http://www.gresea.be/Crise-Recession-Depression-Des-cles-pour-comprendre]