L’entreprise est un sport de combat

En 2012, dans son livre vert sur la gestion des restructurations d’entreprise, la Commission européenne recommandait ceci : « Les entreprises doivent être capables de s’adapter à la mondialisation de la production et de répondre à l’enjeu de compétitivité. Tout obstacle à un tel ajustement pourrait, à long terme, nuire à la compétitivité et à l’emploi » [1]. Par obstacle, il faut entendre celui d’un État qui voudrait s’opposer à la liquidation d’une entreprise ou celui de travailleurs "turbulents" face à la disparition de leur gagne-pain. Énième exemple du dogme néolibéral visant à la "naturalisation de l’économie". La valeur pour l’actionnaire et la compétitivité des entreprises sont les seules voies de développement possible pour nos sociétés. L’entreprise qu’elle soit restructurée, fermée ou fusionnée doit être un lieu pacifié. Pour le reste, circulez, il n’y a rien à voir…

N’en déplaise aux idéologues de la Commission européenne, dans l’hémisphère Sud, des travailleuses ont développé une tout autre conception de l’entreprise. Comme le montre, à partir d’une longue recherche de terrain, Natalia Hirtz dans ce 82e numéro du Gresea Échos, les ouvrières de l’usine textile Brukman ont transformé leur entreprise en lieu de lutte. Une lutte pour l’emploi et le salaire tout d’abord, une lutte pour la démocratie économique ensuite.

Ceci n’est pas un "modèle"

Depuis 2001, le nombre d’entreprises récupérées en Argentine n’a cessé de croitre pour atteindre plus de 300 usines dans divers secteurs industriels. Contrairement au modèle de l’entreprise "compétitive", les fabriques sans patrons argentines relèvent d’un bricolage constant et précaire. L’avenir de ces frêles esquifs "hors-la-loi" est constamment soumis à la pression externe de la concurrence et de l’État.

Cette "exigence du marché" explique en partie la revendication originelle des ouvrières de Brukman pour une étatisation sous contrôle ouvrier des entreprises. En interne, l’autogestion requiert des adaptations constantes afin de faire vivre l’expérience de la démocratie dans une économie qui la nie. C’est donc une entreprise traversée par les clivages politiques et sociaux que nous donnent à voir les "Brukmanes". L’entreprise récupérée n’est définitivement pas un modèle à "copier-coller" tant elle est l’enfant d’une conjoncture historique précise : celle de l’Argentine en crise, celle du débordement démocratique de mai 1968 en Europe.

Par contre, par leur refus de l’adaptation au changement, leitmotiv des institutions européennes, ces travailleuses démontrent deux choses. Tout d’abord que le travail reste le seul facteur de production de la richesse. On peut donc produire de la valeur ajoutée sans actionnaires ! Ensuite, l’entreprise ne peut être pacifiée. C’est un sport de combat qui doit permettre l’émancipation des travailleurs et des travailleuses. En cela, la démocratie économique est le marchepied vers la démocratie politique. En ces temps "technocratiques", la leçon vient, encore une fois, du Sud.

Bruno Bauraind


 

Sommaire

Gresea Echos N°82, 2e trimestre 2015 : Entreprises récupérées en Argentine ; l’exemple Brukman : l’usine aux usineuses…et aux usineurs !

Étude de Natalia Hirtz

  • Edito : L’entreprise est un sport de combat. Bruno Bauraind
  • Le mouvement des entreprises récupérées
  • Les ouvrières de Brukman
  • Les « brukmanes » et le patriarcat
  • Organisation et division du travail : ruptures et continuités
  • Les entreprises récupérées : esquisse d’un essai sur le travail, la connaissance et l’espoir
  • Pour en savoir plus
  • A lire

 

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Notes

[1Livre vert de la CE, Restructurations et anticipation du changement : quelles leçons tirer de l’expérience récente, 17 janvier 2012