La pratique diplomatique a opéré une mutation majeure dans les dernières décennies, voyant ses objectifs se tourner vers l’économie, le commerce et les intérêts du secteur privé. De nouveaux acteurs ont également fait leur entrée sur la scène diplomatique, à l’instar de l’Union européenne. Tentative de décryptage.
La diplomatie a connu d’importantes évolutions au cours des siècles. Les thématiques économiques sont désormais devenues centrales, tant et si bien que le terme de diplomatie économique est aujourd’hui fréquemment utilisé dans la presse ou par les institutions et représentants politiques. Si la pratique de la diplomatie fut longtemps le monopole des États, de nouveaux acteurs internationaux comme l’Union européenne
Union Européenne
Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
ont depuis fait leur apparition. Comment la pratique de la diplomatie a évolué au cours des siècles ? Comment définir la diplomatie économique ? Comment caractériser la diplomatie économique européenne ? C’est à ces trois questions que nous allons tenter de donner quelques éléments de réponse.
De la diplomatie traditionnelle à la diplomatie économique
La diplomatie, tout d’abord peut-être définie comme la « science et la pratique des relations politiques entre les États, et particulièrement de la représentation des intérêts d’un pays à l’étranger [1] ». Il s’agit d’une pratique ancienne dont l’apparition a accompagné celle des États.
On observe des formes de diplomatie dès l’Antiquité, bien que celle-ci fût principalement itinérante et peu structurée [2]. C’est plus tard, au détour du XVe siècle qu’une diplomatie permanente et organisée va se mettre en place avec la République de Venise notamment. Les traités de Westphalie de 1648, après la guerre de Trente Ans, marqueront pour les siècles suivants la reconnaissance des États comme entités souveraines et acteurs principaux de la diplomatie.
Pendant longtemps, la tâche diplomatique a été assumée par le monarque ou le souverain du fait du caractère personnel des régimes politiques en place. Les agents diplomatiques ne pouvaient agir qu’en son nom. Au XVIIe et XVIIIe siècle, les questions territoriales d’une part, mais également les questions matrimoniales et les relations interétatiques liées à des droits de succession dans l’Europe des monarchies constituent les éléments principaux de la diplomatie. Celle-ci demeure largement du domaine du secret, se pratique dans les sphères princières et échappe alors à tout contrôle. L’économie n’est encore qu’une préoccupation secondaire à ce moment.
À partir du XIXe siècle, est mis en place un véritable service
Service
Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
public de la diplomatie. Le Congrès de Vienne de 1815, qui établit le « concert des nations européennes », se charge de répartir les territoires repris à Napoléon. Guerre et paix sont alors les préoccupations principales de la diplomatie qui vit son âge d’or [3]. Un âge d’or qui prendra fin avec la Première Guerre mondiale.
Woodrow Wilson, président des États-Unis entre 1913 et 1921, poussera pour la création d’une association générale des nations dans le but de garantir l’indépendance et l’intégrité territoriale des États lors du traité de Versailles au sortir de la Grande Guerre. Les sanctions économiques à l’encontre de l’Allemagne préfigurent alors la montée en puissance des questions économiques dans la pratique diplomatique. En 1945, la charte des Nations-Unies précise : « les membres règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationale ainsi que la justice ne soient pas mises en danger », la diplomatie se mondialise.
Plusieurs organisations internationales sont instituées après de la seconde Guerre mondiale, tels le FMI
FMI
Fonds Monétaire International : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
ou la Banque Mondiale
Banque mondiale
Institution intergouvernementale créée à la conférence de Bretton Woods (1944) pour aider à la reconstruction des pays dévastés par la deuxième guerre mondiale. Forte du capital souscrit par ses membres, la Banque mondiale a désormais pour objectif de financer des projets de développement au sein des pays moins avancés en jouant le rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et les pays détenteurs de capitaux. Elle se compose de trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID) et la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’agit que lorsque le FMI est parvenu à imposer ses orientations politiques et économiques aux pays demandeurs.
(En anglais : World Bank)
qui se mueront peu à peu en fora où s’exerce une certaine forme de diplomatie économique, et qui tendront progressivement à en devenir des acteurs à part entière. Le plan Marshall
Plan Marshall
Ensemble de dons et de crédits fournis par les États-Unis aux pays européens à partir de 1948 en vue de reconstruire le territoire dévasté par la guerre. Ce programme a été lancé par le secrétaire d’État de l’époque, le général George Marshall, le 5 juin 1947. Washington se donnait le droit de regard sur l’utilisation de ces fonds, ce qui lui permit de favoriser les investissements américains sur le vieux continent, ainsi que l’adoption des produits et habitudes de consommation américains. L’Est européen refusa ses conditions, ce qui coupa alors (et non auparavant) l’Europe en deux. L’aide était gérée à partir de l’Organisation européenne de coopération économique, dont étaient aussi membres les États-Unis et le Canada. Celle-ci deviendra l’OCDE en 1960.
(En anglais : Marshall plan)
, les prémices de la construction européenne avec la CECA (Communauté économique du charbon et de l’acier) seront des signes d’une diplomatie économique de plus en plus prégnante. Les États demeurent tout de même les acteurs principaux de la diplomatie au pendant de la Guerre froide. Le système Westphalien fondé sur les États se maintient au cours de la période. Les deux grandes puissances stabilisent le monde par la tension globale liée à la course aux armements et la crainte du déclenchement d’un nouveau conflit mondial. La « fin de l’Histoire », selon l’expression de Fukuyama, la chute de l’URSS et du mur de Berlin correspondront au passage d’une diplomatie traditionnelle de plus en plus teintée d’économie à une diplomatie et une action des États quasi essentiellement économique.
Diplomatie économique : définitions
La diplomatie s’oriente de manière croissante vers l’économie. Reste à définir un peu plus précisément la notion de diplomatie économique. Le dictionnaire de diplomatie de Berridge et James [4] nous propose deux définitions. Il s’agit d’abord de la « diplomatie qui concerne les questions de politique économique
Politique économique
Stratégie menée par les pouvoirs publics en matière économique. Cela peut incorporer une action au niveau de l’industrie, des secteurs, de la monnaie, de la fiscalité, de l’environnement. Elle peut être poursuivie par l’intermédiaire d’un plan strict ou souple ou par des recommandations ou des incitations.
(en anglais : economic policy).
, incluant le travail des délégations à des conférences telles que celles organisées par des organismes comme l’Organisation mondiale du commerce
Organisation mondiale du Commerce
Ou OMC : Institution créée le 1er janvier 1995 pour favoriser le libre-échange et y ériger les règles fondamentales, en se substituant au GATT. Par rapport au GATT, elle élargit les accords de liberté à des domaines non traités à ce niveau jusqu’alors comme l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les investissements liés au commerce… En outre, elle établit un tribunal, l’organe des règlements des différends, permettant à un pays qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre de déposer plainte contre celui-ci, puis de prendre des sanctions de représailles si son cas est reconnu valable. Il y a actuellement 157 membres (en comptant l’Union européenne) et 26 États observateurs susceptibles d’entrer dans l’association dans les prochaines années.
(En anglais : World Trade Organization, WTO)
. Bien que distincte de la diplomatie commerciale ayant cours lors de missions diplomatiques, elle englobe également l’activité de suivi et le rapportage sur les politiques économiques dans les pays tiers ainsi que les conseils sur les meilleurs moyens de les influencer ». Une deuxième acception de la diplomatie économique renvoie à la « diplomatie qui utilise les ressources économiques - tant les récompenses que les sanctions - dans l’optique de la poursuite d’objectifs particuliers de politique extérieure. »
La limite entre la diplomatie « politique » traditionnelle et la diplomatie économique est parfois complexe à distinguer si bien qu’il devient difficile de déterminer l’existence d’une ligne de division pertinente entre les deux [5]. Comme l’évoquent Lee et Hocking [6] : l’origine de la diplomatie dans beaucoup de pays, dès le Moyen-âge, est liée à l’entretien de relations cordiales en vue, notamment, de faciliter le commerce. Une caractéristique ô combien valable aujourd’hui : pour preuve, ministères des Affaires étrangères et ministères du Commerce ont été fusionnés dans plusieurs pays à l’instar de l’Australie, du Canada ou de la Belgique, témoignant du rapprochement des missions de ces deux entités et de l’effacement de la frontière entre diplomatie traditionnelle et diplomatie économique.
Du point de vue des États
Voyons comment différents États définissent leur diplomatie économique. Pour le Service public fédéral « Affaires étrangères, commerce extérieur et coopération au développement » belge, la diplomatie économique consiste à « promouvoir les intérêts économiques belges à l’étranger » par plusieurs moyens , comme « le soutien du secteur privé belge lors d’activités internationales », de « missions économiques princières » ou de « visites d’État et ministérielles.[…] La Belgique est également promue sur le plan international en tant que lieu propice à y effectuer des affaires » Le ministère des affaires étrangères français apporte également quelques éléments : « La diplomatie économique française […] poursuit trois objectifs principaux, qui sont complémentaires : soutenir nos entreprises sur les marchés extérieurs ; attirer vers notre pays des investissements étrangers créateurs d’emplois, mieux adapter le cadre de régulation européen et international à nos intérêts économiques défensifs et offensifs. ».
La définition de van Bergeijk et Moons [7] précise les domaines concernés : « la diplomatie économique consiste en un ensemble d’activités visant les méthodes et procédés de la prise internationale de décision et relatives aux activités économiques transfrontières dans le monde réel. […] Elle a comme champs d’action le commerce, l’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
, les marchés internationaux, les migrations, l’aide, la sécurité économique et les institutions qui façonnent l’environnement international, et comme instruments les relations, la négociation, l’influence ».
Le département d’État américain expose également sa vision : « La diplomatie économique consiste à la fois en la captation des dynamiques de l’économie mondiale pour améliorer la politique étrangère américaine et aussi à utiliser les outils de la politique extérieure pour consolider notre force économique » [8].
Au regard de ces définitions, nous pouvons déjà recenser un certain nombre d’éléments. La diplomatie économique aurait trois fonctions principales : faciliter les débouchés des entreprises nationales à l’étranger, attirer les investisseurs extérieurs sur le territoire domestique et infléchir les règles internationales dans le sens des intérêts domestiques. La diplomatie économique touche à des domaines divers et variés comme le commerce, l’investissement, les migrations, l’aide au développement, et utilise comme outils les relations, l’influence et la négociation.
L’UE comme acteur de la diplomatie économique
Qu’en est-il de la diplomatie économique au sens européen ? Peut-on parler de diplomatie économique européenne ou est-ce toujours le monopole des États ? Et si une telle diplomatie existe, quels sont les organes compétents à sa formulation et à sa mise en œuvre et comment se manifeste-t-elle ?
Le terme apparait dans diverses communications européennes sans jamais être précisément défini. Le commissaire européen aux affaires économiques Jyrki Katainen donnait quelques éléments lors d’une réunion préparatoire à la révision à mi-parcours du mandat de prêt extérieur de la BEI (Banque européenne d’investissement). Selon lui, la diplomatie économique « consiste à utiliser tous les leviers à disposition pour promouvoir nos [ndlr : ceux de l’Europe] intérêts économiques propres hors des frontières de l’Union » [9]. Nous sommes donc dans une définition assez proche de celle qu’en donnent les différents États.
L’Union, selon le traité de fonctionnement de l’UE
UE
Ou Union Européenne : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
(TFUE), dispose de compétences exclusives dans plusieurs domaines. Il s’agit de l’Union douanière, des règles de concurrence internes, de la politique monétaire pour les pays de la zone euro, de la protection des ressources biologiques marines dans le cadre de la politique commune de la pêche, de la politique commerciale commune et de la conclusion d’accords internationaux (concernant les domaines précités). Les compétences sont partagées pour l’agriculture, les transports, l’énergie, la coopération au développement et l’aide humanitaire notamment. En ce qui concerne l’industrie, la culture, la protection civile, l’éducation, l’UE est compétente pour appuyer ou compléter les politiques des États membres. Pour l’emploi, la politique économique et les politiques sociales, le rôle de l’UE consiste à garantir que les États membres coordonnent leurs politiques.
Quels organes disposent de compétences en matière de diplomatie économique au sein de l’UE ?
La Commission européenne, tout d’abord, est mandatée pour mener la politique commerciale communautaire, elle conduit les négociations d’accords commerciaux comme le précise l’article 207 du TFUE. Le Conseil européen, qui réunit les chefs d’État des pays membres définit la politique extérieure de l’Union et mandate la Commission pour négocier les accords commerciaux avec les régions et pays tiers. Les domaines de la politique extérieure (commerce, coopération, développement, énergie, environnement, sécurité, justice, santé, droits de l’homme…) se confondent souvent avec ceux de la diplomatie économique. L’intervention européenne dans tous ces domaines vise également à procurer des bénéfices, directs ou indirects, aux entreprises européennes.
Un autre organe dispose de compétences en termes de diplomatie économique : le service européen d’action extérieure (SEAE) institué par le traité de Lisbonne en 2008. Selon son site internet, il « soutient la stabilité, promeut les droits de l’Homme et la démocratie et apporte son support au renforcement de l’État de droit et de la bonne gouvernance ». Des éléments invariablement repris dans les négociations commerciales et les dialogues politiques menés par l’UE avec les régions tierces. L’autorité sur le SEAE est assurée par la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité qui s’exprime, hors de l’Union, au nom de la Commission et du Conseil. Le SEAE est indépendant de la Commission et du Conseil. La promotion des investissements européens ne fait pas partie du mandat du SEAE.
L’Union européenne dispose également de 139 délégations implantées dans le monde, sous la coupe du SEAE. Ces délégations de l’Union européenne assurent le service diplomatique de l’Union sur le terrain, en cohabitation avec les représentations des États membres. Les chefs de délégations ont théoriquement un rôle d’ambassadeur, bien que celui-ci ne soit pas tout à fait reconnu par tous les États membres qui disposent de services consulaires nationaux en parallèle et de leurs propres ambassades. La promotion de l’UE comme « puissance économique globale répondant à la crise et utilisant le commerce comme moteur du changement » [10] est visée par les délégations européennes. Celle-ci assure les relations avec les médias, les sociétés civiles locales, mais également avec le secteur privé. Des partenariats avec les chambres de commerce, les entreprises, les exportateurs et négociants européens sont encouragés – le parrainage direct étant « pour le moment » prohibé [11]. La tenue d’évènements sur des thématiques comme le commerce ou de séminaires avec les parties prenantes (en particulier le secteur privé) fait également partie des objectifs des délégations.
La Banque européenne d’investissement (BEI), ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) peuvent également être considérées comme des acteurs de la diplomatie économique, par l’octroi de prêt dans les pays en développement à des acteurs économiques européens.
On comprend assez facilement le but de la diplomatie économique pour un pays, mais cela s’applique-t-il de la même manière à un ensemble de pays tels que ceux de l’UE qui partagent un tarif douanier et une politique commerciale commune, mais qui sont en concurrence dans un certain nombre d’autres domaines ?
Si traditionnellement, la notion de diplomatie s’applique plutôt à des acteurs étatiques, la fin de la guerre froide et l’avancement de la mondialisation ont conduit à l’affirmation dans les relations internationales et le jeu diplomatique de nouveaux types d’acteurs [12] : les organisations économiques multilatérales (OMC
OMC
Organisation mondiale du Commerce : Institution créée le 1er janvier 1995 pour favoriser le libre-échange et y ériger les règles fondamentales, en se substituant au GATT. Par rapport au GATT, elle élargit les accords de liberté à des domaines non traités à ce niveau jusqu’alors comme l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les investissements liés au commerce… En outre, elle établit un tribunal, l’organe des règlements des différends, permettant à un pays qui se sent lésé par les pratiques commerciales d’un autre de déposer plainte contre celui-ci, puis de prendre des sanctions de représailles si son cas est reconnu valable. Il y a actuellement 157 membres (en comptant l’Union européenne) et 26 États observateurs susceptibles d’entrer dans l’association dans les prochaines années.
(En anglais : World Trade Organization, WTO)
, FMI, Banque mondiale, etc.) en sont une première catégorie. Elles défendent des positions propres et poussent à la mise en œuvre d’un cadre et de politiques économiques. La seconde catégorie regroupe des institutions qui avaient plutôt vocation à l’origine à tenir un rôle consultatif, de production de connaissances et de partage, comme l’OCDE
OCDE
Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
, le Forum économique mondial ou la Chambre de commerce international. Ce deuxième type d’acteur a largement été influencé et poussé par le secteur privé et les grands groupes transnationaux et propose également des modifications du cadre économique international.
L’UE pourrait être classée dans la première catégorie d’acteurs. Reste à voir dans quelle mesure celle-ci peut être considérée comme complémentaire ou en contradiction avec celle mise en œuvre par les États.
Une diplomatie économique essentiellement commerciale
En ce qui concerne le commerce, la position européenne est unique et les membres adoptent une position commune : le libre-échange. L’UE dispose par exemple d’un seul siège au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), occupé par la Commission européenne qui mène les discussions au nom des États membres. Les pays participent néanmoins aux réunions de l’OMC en tant qu’observateurs. On peut considérer l’UE dans ce cas comme un acteur à part entière, défendant une position unie [13] et à même de mettre en pratique une forme de diplomatie économique.
Mais pour d’autres sujets, tout aussi « économiques », on ne pourra distinguer de position commune clairement établie. Lorsqu’il s’agit de finance, chaque membre va défendre une position particulière, allant de la dérégulation complète à des formes de réglementation et de contrôle public. De même sur les questions fiscales, le Luxembourg ou l’Irlande ne tiendront par exemple pas le même discours que leurs voisins. Même chose pour la question des services publics ou pour tous les sujets n’ayant pas fait l’objet d’un consensus au niveau européen. La crise de la zone euro, le cas grec et la position des différents pays européens sur la question illustrent parfaitement ce phénomène.
Au sein du Fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
monétaire international ou dans les organes de l’ONU
ONU
Organisation des Nations Unies : Institution internationale créée en 1945 pour remplacer la Société des Nations et composée théoriquement de tous les pays reconnus internationalement (193 à ce jour). Officiellement, il faut signer la Charte de l’ONU pour en faire partie. L’institution représente en quelque sorte le gouvernement du monde où chaque État dispose d’une voix. Dans les faits, c’est le Conseil de sécurité qui dispose du véritable pouvoir. Il est composé de cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France et Grande-Bretagne) qui détiennent un droit de veto sur toute décision et de dix membres élus pour une durée de deux ans. L’ONU est constituée par une série de départements ou de structures plus ou moins indépendantes pour traiter de matières spécifiques. Le FMI et la Banque mondiale, bien qu’associés à ce système, n’en font pas officiellement partie.
(En anglais : United Nations, UN)
, chaque pays membre dispose également d’un siège pour le représenter et fait valoir ses propres intérêts en fonction de sa taille, de sa situation géographique, de son rapport à l’intégration européenne ou encore de sa tradition de politique étrangère [14]. Et dans ce cas, la diplomatie économique sera bien le fait des États. L’UE pourra alors être considérée comme un forum plutôt qu’un acteur à part entière défendant une position commune, comme le fait remarquer Woolcock [15].
En matière de coopération au développement, l’Union via plusieurs outils, dont le Fonds européen de développement [16] (FED), l’instrument de coopération au développement ou l’instrument européen de voisinage dispose d’une politique commune. Cependant, l’UE ne gère en réalité qu’une part minime des fonds dédiés au développement - inférieure à 20% - le reste étant le fait des États à titre
Titre
Morceau de papier qui représente un avoir, soit de propriété (actions), soit de créance à long terme (obligations) ; le titre est échangeable sur un marché financier, comme une Bourse, à un cours boursier déterminé par l’offre et la demande ; il donne droit à un revenu (dividende ou intérêt).
(en anglais : financial security)
individuel.
C’est logiquement dans ses domaines de compétence exclusive que l’UE pourra prétendre être un acteur de la diplomatie économique. Le commerce demeure le véritable dénominateur commun des politiques extérieures européennes - qui s’appuient à la fois sur des politiques communautaires, des politiques nationales et des accords intergouvernementaux – et de la diplomatie économique européenne.
Comme l’explique Franck Petiteville [17] : « La politique commerciale « irrigue » enfin l’ensemble du dispositif d’action internationale de l’UE, car toutes les politiques externes intègrent des accords commerciaux : les politiques de coopération (avec la Russie et la Chine, par exemple) ; l’aide au développement (à travers le « système de préférences généralisées » en faveur de cent soixante-dix-huit pays en développement et l’initiative « tout sauf les armes » pour les PMA) ; les politiques d’élargissement (à travers les accords de libre-¬échange avec les PECO dans les années 1990) ; les politiques d’association en général (union douanière avec la Turquie, accords euro¬méditerranéens de libre-échange, convention de Cotonou) ; enfin les politiques de sanctions qui s’appuient notamment sur la suspension des concessions commerciales de l’UE. Dire de la politique commerciale qu’elle est au cœur du dispositif d’action internationale de l’Europe n’est donc pas qu’une métaphore. »
La diplomatie traditionnelle a depuis quelques décennies été éclipsée par la diplomatie économique. Les stratégies des États ne reposent plus sur l’expansion territoriale, mais sur la conquête de nouveaux marchés et de débouchés pour leurs entreprises. Dans ce contexte la diplomatie s’oriente de plus en plus vers la triple mission (i) de soutien aux exportateurs (ii) d’attraction des investissements sur le sol national et (iii) sur l’inflexion des règles internationales dans le sens des intérêts domestiques. L’Union européenne ne disposant de compétences exclusives que dans un nombre restreint de domaines - dont, en matière de politique extérieure principalement le commerce – et la diplomatie communautaire étant encore récente et balbutiante, c’est logiquement par l’entremise de la diplomatie commerciale que l’Union européenne assure sa diplomatie économique, dans l’intérêt du secteur privé et des grands groupes originaires des États membres européens [18]. Les outils de la diplomatie économique - relations, négociation, influence - vont en revanche plus loin que la simple négociation des accords commerciaux.
Pour citer cet article :
Romain Gelin, "Diplomatie économique : qu’est-ce que c’est ?", Gresea, décembre 2016, texte disponible à l’adresse :
http://www.gresea.be/spip.php?article1560