Délocalisé en haut d’un arbre...
L’histoire a plus de cent ans, c’est une fable écrite par Robert Louis Stevenson, elle s’était trouvée enfouie
dans un tas de papiers et, en les rangeant, on est tombé dessus. C’est une jolie histoire.
Elle raconte la visite d’un étranger, venu d’une autre planète. Il est accueilli par un grand philosophe qui lui sert de guide. Ils arrivent, pour commencer, dans une forêt.
Qui sont ces gens ? demande l’étranger.
Ce ne sont que des végétaux, lui répond le philosophe, ce sont des êtres vivants mais sans intérêt.
Je n’en sais trop rien, dit l’étranger, ils semblent avoir de très bonnes manières. Ne leur arrive-t-il jamais de parler ?
Ils n’ont pas ce talent, dit le philosophe. Pourtant, je les entends chanter, dit l’étranger. Ce n’est que le vent qui joue avec les feuilles, répond le philosophe, je vais tout vous expliquer au sujet des différents vents, c’est très intéressant.
Cela est possible, dit l’étranger, mais j’aurais bien aimé savoir ce qu’ils pensent. Ils sont incapables de penser, lui dit le philosophe. Je n’en sais trop rien, rétorque l’étranger. Et puis, posant la main sur le tronc d’un arbre, il ajoute : j’aime ces gens. Ce ne sont en rien des gens, lui dit le philosophe, suivez moi !
Ils arrivent ainsi à un pré où paissent des vaches. Ce sont des gens très sales, dit l’étranger. Ce ne sont pas du tout des gens, dit le philosophe, qui décrit ensuite la vache en des termes très scientifiques que tout le monde depuis a oubliés. Là-dessus, ils arrivent à une ville. Les rues sont pleines d’hommes et de femmes.
Ce sont des gens fort étranges, dit l’étranger. Ce sont les citoyens de la plus grande nation du monde, dit le philosophe. Cela est-il vrai ? dit l’étranger, ils n’en ont pas du tout l’air ; je préfère quant à moi les gens avec les têtes vertes. De ceci, on peut tirer deux, trois leçons. On a toujours intérêt à avoir de grandes piles de papiers et donc à ne rien jeter. On ne doit jamais craindre de perdre son temps en rangeant des tas de papier même si cela ne conduit qu’à bâtir de nouveaux tas qui resteront, jusqu’à la prochaine tentative de rangement, aussi insondables que les premiers. Cette fois, nous cherchions des documents sur les délocalisations. Stevenson est sorti comme cela. C’est un heureux effet du hasard. D’abord parce que l’histoire est jolie. Ensuite parce qu’elle rappelle une vérité profonde. Il faut, lorsqu’on veut bien comprendre quelque-chose, s’efforcer d’adopter le regard de l’étranger et se demander s’il n’y a pas lieu de regarder les choses différemment. Le mot d’ordre des nouvelles contestations citoyennes, aujourd’hui, est de revendiquer un autre monde. Pour cela, il faut penser autrement.
Penser différemment les délocalisations, par exemple. Au Nord, c’est une hémorragie d’emplois. Aux Etats- Unis, les projections voient 3,3 millions d’emplois disparaître dans la période 2000-2015 [1] et, en France, l’inventaire fait état de 150.000 suppressions dans les ateliers et les chaînes de production ces trois dernières années [2]. Ce sont des pans entier de savoir-faire qui disparaissent. Et au Sud ? Par une sorte d’effet miroir, on assiste au même scénario, mais à rebours : pour satisfaire les besoins de main d’œuvre bon marché des entreprises du Nord, le Sud doit éliminer tout ce qui, chez lui, y fait obstacle, barrières tarifaires, entreprises publiques, politiques industrielles autonomes. Evoquant "la marche forcenée de la liquidation du patrimoine national" de l’Algérie [3], Rachid Tlemçani en fait bien ressortir l’évolution suicidaire puisque, après avoir dans un premier temps espéré éviter le bradage des secteurs stratégiques de l’économie, on s’est peu à peu orienté vers le postulat voulant que "tout est privatisable".
Là, aussi, ce sont des pans entiers du tissu économique qui s’effondrent.
N’est-il pas impératif, aujourd’hui, de "penser" différemment cette évolution ? Et d’abord en partant du principe qu’il n’y a, là, aucune fatalité.
Sommaire :
- Edito : Délocalisé en haut d’un arbre… (E. Rydberg)
- Contre la logique du bain de sang social (FGTB)
- Le choix antiglobaliste (CNE)
- Une responsabilité dite sociale (CNE)
- Quelle contrôle, quelle entreprise ? (E. De Keuleneer)
- Délocalisation d’entreprises et mise en concurrence des salariés (C. Pottier)
- Défis majeurs de l’économie tunisienne (B. Abdeljelil)
- Pour en savoir plus (F. Wilvers)
- Feuilles de route du GRESEA
- A lire
- Site.
Pour consulter la revue en ligne : https://issuu.com/gresea/docs/ge40reduit
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